C’est dur. Dur et amer, amer et douloureux, douloureux et blessant.
Pas de larmes pour pleurer.
Pourquoi ? Pourquoi ma-t-il fait ça ?
Sept ans, sept années heureuses.
Main dans la main, jamais un mot méchant, et dun coup il est parti.
Non, pas parti, il sest enfui comme un lâche.
Le téléphone sonne et sonne, mais qui peut bien mappeler maintenant ?
Maman.
« Allô, ma chérie ma chérie, quest-ce que tu fais ?
Rien, maman. » Il faut garder la voix calme et posée.
« Tant mieux, tu ne pleures pas, jespère ? Pas la peine de gaspiller tes larmes pour un imbécile.
Un imbécile reste un imbécile, même en Afrique ! » Maman rit de sa propre blague, quelle trouve hilarante. « Ma chérie, je voulais tinviter à la maison de campagne ce vendredi. Ta tante Sophie vient avec son neveu, Antoine, tu ne le connais pas, mais moi si. Un garçon très bien, tu sais, la vie ne la pas gâté.
Il est tellement gentil, mais sa femme une vraie bonne à rien. Heureusement quil sen est débarrassé.
Il la étouffée ?
Quoi ? Qui a étouffé qui ?
Sa femme, puisque tu dis quil sen est débarrassé.
Ah, pouah ! Quelle blague macabre mais cest bon signe, ma chérie, ris un peu Ça aide, tu sais. Quand Julien ma quittée, je tai raconté ?
On était ensemble au conservatoire, moi au violoncelle, lui au cor dharmonie. Un garçon aux grandes oreilles, blondinet, si mignon Je laimais tellement, et lui le salaud ma laissée pour cette clarinettiste, Nathalie. Ah, ma puce comme jai pleuré ! Jai même séché un cours, jai erré sur les quais de la Seine, je voulais me noyer
Maman je ne suis pas vraiment en état de parler là.
Ah bon ? Daccord, ma chérie. Alors, tu viens vendredi ? On tattend.
Je ne sais pas, maman, je ne sais pas.
Non, Élodie, ce nest pas une réponse. Promets-moi, tu mentends ?
Daccord, maman je viendrai, mais pas longtemps.
Parfait, je tembrasse. Maman est toujours là, tu entends ? Papa aussi, tiens, Michel, dis-le-lui toi-même ! Allô, Élo, tu mentends ? Papa taime et maman aussi »
Senrouler dans une couverture et sallonger sur le côté, lumière éteinte.
Pas de larmes, plus la force de pleurer.
Une seule question.
Une seule.
Pourquoi ?
Pourquoi moi ?
Le téléphone.
Encore.
Ma sœur.
Ne pas répondre, mais si je ne décroche pas, elle va mettre toute la famille en émoi.
« Allô ?
Ma sœur, tu fais quoi ? Tu pleures ou quoi ?
Non, pourquoi je pleurerais ? Mon mari vient juste de me quitter, rien de grave, lhomme avec qui je voulais avoir des enfants, avec qui jai tout traversé.
Et alors ? Arrête de geindre pour un minable. Quand Jérôme ma larguée, jai cru que jallais crever, tu te souviens de Jérôme ? Ce beau gosse, on est restés six mois ensemble, je ladorais Et regarde-moi maintenant, hein ?
Tout passe. Bref, on part en rando ce week-end, en couples, et Antoine, le cousin de Sophie, vient de se faire quitter par sa femme. Allez, viens avec nous, peut-être que ça matchera entre vous.
Ton ex, de toute façon, je ne lai jamais aimé
Élo ? Alors, tu viens ?
Je réfléchis, Lili Réfléchis bien, ma puce »
Froid, froid et douleur. Une douleur physique, elle ne peut même pas ouvrir les yeux, brûlés par les larmes.
Le téléphone sonne.
Grand-mère.
Mon Dieu.
« Allô
Élodie, ma petite Viens me voir, je tai préparé tes beignets préférés, du chocolat chaud, et on boira un petit verre ensemble, hein ? Pépé ira au jardin, et nous, on trinquera Je te comprends, quand Nicolas ma quittée, ah, comme jai souffert Jai même commencé à fumer, pas longtemps heureusement. Puis jai rencontré ton grand-père et il ma vite remonté le moral
Daccord, mamie je verrai. »
Et ainsi toute la journée, quelquun appelait pour raconter comment ils avaient été quittés et à quel point ça avait fait mal
Le soir, alors quÉlodie sombrait enfin dans le sommeil, on sonna à la porte.
Encore qui ? Je nouvre pas.
Mais la sonnerie insistait, encore et encore.
Élodie se leva et alla ouvrir.
Étrange, personne. Elle allait fermer quand une voix grognonne retentit.
« Eh bien, vous allez bouger ou quoi ? Laissez-moi passer. Cest ça, aider les gens »
Élodie baissa les yeux.
Mon Dieu, quest-ce que cest ?
Une procession entrait chez elle
« Euh vous êtes qui ?
Nous ? Ça ne se voit pas ? Des chats.
Qu quels chats ?
Tous genres confondus. On est là pour aider. Allez, malade, rentrez et fermez la porte, il ne manquerait plus que vous attrapiez froid.
Nous, cest la famille.
La famille Chaton.
Notre nom de famille est aussi Chaton.
Maman, regarde un peu létat de la tête de la patiente.
Mon petit, vérifie son cœur. Deuxième petit, prends le pouls. Ma fille, prépare le thé.
Asseyez-vous, asseyez-vous. »
Élodie sassit, comprenant quelle perdait la raison, mais les chats couraient dans son appartement avec un air affairé.
« Mamie chat, la malade a besoin dune histoire.
Meeeuuuuh, ma chérie que le mauvais sen aille et que le bon arrive Papa chat, couche-la sur le lit, tante chat va plumer loreiller pour notre petite.
Petit chat, sois sage. Pose ce truc précieux. Ma belle, confisque-lui son téléphone. »
Élodie, comme dans un rêve, regarda le petit Chaton Chaton prendre des selfies avec son portable.
« Papi chat, massez les mains de notre chérie, et tonton chat, les pieds. »
Et les chats, après lavoir allongée, se mirent à lui masser les mains et les pieds. Élodie sendormit.
À travers son sommeil, elle entendait encore le frottement des pattes sur le sol
À son réveil, Élodie fut surprise de se sentir mieux.
Elle alla à la cuisine, mais où étaient les Chatons ? Dommage, ce nétait quun rêve.
Elle regarda par la fenêtre : le soleil se levait. Une si belle journée dautomne
Cest ridicule, prendre des jours pour pleurer Alors cest vendredi, elle avait promis à maman daller à la maison de campagne.
En sortant de limmeuble, Élodie entendit un petit miaulement.
Qui est-ce ?
Mon Dieu.
Assis tout seul près de la porte Chaton Chaton, mais quest-ce que cest que ça ?
« Où sont les autres, petit ? » demanda Élodie en se penchant, mais il ne répondit pas, ouvrant seulement son petit museau rouge en un miaulement plaintif.
Elle chercha autour delle, personne. Elle prit le chaton et le cacha sous sa veste. Elle irait à la maison de campagne et verrait bien. On ne laisse pas un bébé seul.
Elle ne vit pas la famille Chaton Chaton lobserver depuis langle de la rue.
Ils se tapèrent victorieusement les pattes et repartirent, prêts à sauver dautres âmes en détresse.
Et Élodie partit avec le chaton.
Elle descendit à la gare, où un jeune homme, visiblement perdu, regardait autour de lui.
« Vous allez où ? demanda Élodie.
Moi ? À Lumigny. Cest ma première fois ici
Venez, je vais là-bas. »
En chemin, ils bavardèrent. Thomas, cétait son nom, prit le sac dÉlodie. Arrivés à Lumigny, ils étaient déjà amis.
Élodie ne voulait pas quil parte, mais les convenances
« Élo, vous savez où se trouve la maison 37, par hasard ?
La 37 ? Vous vous êtes le neveu de tante Sophie ?
Et vous êtes la fille de tante Elisabeth »
Ils rirent en franchissant le portail
« Quest-ce que vous cachiez si tendrement sous votre veste ? Je me suis demandé si vous nétiez pas enceinte.
Cest mon fils.
Votre fils ?
Oui, voici Chaton Chaton !
Vraiment Chaton ? » Thomas regarda Élodie avec amusement.
« Oui, et alors ? Ça ne vous plaît pas, son nom ?
Au contraire, cest un nom magnifique. Permettez-moi de me présenter, Thomas Chaton. »
Quand la tante de Thomas et les parents dÉlodie sortirent, les deux jeunes riaient aux larmes Et sur le sol, un adorable chaton les observait en penchant la tête.
***
Un gros chat gris est assis sur le rebord de la fenêtre et regarde dehors.
« Et ils sont où ? Ronronne-t-il. Le bébé a deux mois et ils le trimbalent dehors, quel scandale »
Lui aussi était petit, autrefois.
Élodie se demandait souvent comment Chaton Chaton avait pu prendre des photos avec son téléphone.
Elle et Thomas avaient échafaudé des théories. Élodie croyait que tout cela nétait quun rêve
Mais lui était venu, oui.
Avec une bouteille de champagne, une boîte de chocolats.
Élodie nétait pas là, elle et Thomas nétaient pas encore mariés, mais ça allait venir.
Et lui était venu, pensant quelle lui pardonnerait et le reprendrait. Comme si
Chaton Chaton sortit et demanda dune voix grave ce quil voulait.
Lautre en resta coi.
Alors Chaton Chaton leva une patte et montra la porte.
« File, ordonna-t-il. Et ne tapproche plus jamais de notre Élodie. »
Puis, ne pouvant résister (il était encore jeune, après tout), il lui fit pipi dans la chaussure. Tant pis.
Bonjour, mes chers.
Allez, vite une histoire, avant que les Chatons narrivent
Je vous embrasse,
Je vous envoie des rayons de bonheur.
Toujours vôtre.
La morale ?
Même dans la peine, la vie réserve des surprises. Parfois, cest un chaton qui vous montre le chemin.







