Maman les a placés en orphelinat juste après le Nouvel An…

La mère les a placées en orphelinat juste après le Nouvel An… Les filles pleuraient. Elles avaient toujours vécu comme des enfants choyés. Quand leur mère organisait sa vie sentimentale et elle le faisait sans cesse les sœurs, Élodie et Chloé, vivaient chez leur grand-mère. Mais à Noël, la grand-mère est partie, et leur mère les a envoyées à lorphelinat. Non, elle nétait pas une femme légère, elle ne buvait pas, ne fumait même pas. Mais est-ce juste que son ex-mari vive comme il lentend pendant quelle doit soccuper seule de ces deux « petits fardeaux » ?

La mère déboutonnait le manteau de Chloé en murmurant : « Arrêtez de pleurer, les circonstances ont voulu ça, cest pas ma faute ! Vous serez bien ici, vous me remercierez plus tard ! » Chloé, à peine trois ans, suffoquait de sanglots, ne comprenant pas bien ce qui se passait. Mais en voyant le regard dur de sa mère et le visage terrifié de sa grande sœur Élodie, sept ans, elle sentait que tout allait mal. La mère siffla : « Ne me faites pas honte, je ne vous abandonne pas. Je vais minstaller et je reviendrai vous chercher. À Pâques, je viendrai ! » Les filles, tout en reniflant, se calmèrent un peu : maman avait promis de revenir !

Sadapter à lorphelinat fut difficile, même si les éducatrices les aimaient pour leur douceur, leur intelligence et leur tendre complicité. Élodie impressionnait avec ses grands yeux noirs sérieux, tandis que Chloé ressemblait à un petit nuage rond et joyeux. Chloé tirait Élodie par la manche : « Dis, quand est-ce que Pâques arrive ? Est-ce que Pâques viendra nous chercher pour aller avec maman ? » Élodie répondait patiemment : « Pâques, cest une fête, elle arrive au printemps, tu te souviens quand mamie peignait les œufs ? » Chloé hochait gravement la tête, puis, en repensant à mamie, des larmes perlaient. Élodie aurait bien voulu savoir, elle aussi, quand Pâques arriverait. Elle posa la question à une éducatrice, qui fut surprise : dhabitude, les enfants attendent Noël ou leur anniversaire. Elle offrit à Élodie un petit calendrier : « Tu vois, Pâques est ce jour-là, je lai entouré. Chaque chiffre, cest un jour. Moi, à lécole, je barrais les jours jusquaux vacances. » Élodie fit de même, et la file des chiffres jusquau retour de sa mère raccourcissait chaque jour.

Au matin de Pâques, Chloé courut vers Élodie, serrant un œuf rouge dans ses petites mains : « Élo ! Élo ! Aujourdhui maman vient, je suis sage, tellement sage ! Et toi, tu es sage ? » Élodie trépignait aussi dimpatience. Mais après la sieste, lattente devint pesante. Chloé ne cessait de geindre. Le soir, quand Élodie comprit que leur mère les avait trahies, elle consola Chloé : « Elle a dû prendre le bus, et il est resté bloqué. Les routes sont affreuses en ce moment, tout le monde le dit. Ne pleure pas, ils vont le dégager, et maman viendra demain. En attendant, elle dormira à la campagne ! » Chloé avala ses larmes en acquiesçant. Mais leur mère ne vint jamais, bien que les sœurs inventèrent chaque jour une nouvelle excuse.

Un matin, Élodie ne trouva plus Chloé. Les éducatrices lui dirent que sa petite sœur avait été reprise par leur mère. Bien plus tard, Élodie apprit que sa mère avait signé un abandon pour elle. Pourtant, la chance lui sourit : deux ans après, une tante paternelle la retrouva. Tante Valérie était une femme douce, et sans sen rendre compte, Élodie se mit à lappeler « maman ». La bonté de sa tante pansa lentement les blessures de son cœur. Elle évitait de penser à sa mère et à sa sœur… même si elle savait que Chloé, trop petite, ny était pour rien.

Les années passèrent. Élodie devint infirmière, se maria, eut un fils. La vie était modeste, mais heureuse. Puis un jour, une lettre arriva. De Chloé !

« Bonjour, ma chère sœur ! Tu ne te souviens sûrement plus de moi ? Moi, je me souviens de tes nattes et de tes pantoufles à carreaux. Jai tellement envie de te revoir ! On est revenus dans la région, on habite à Lavande. Si tu veux, je peux venir te voir ? » Élodie haussa les épaules cétait bizarre de sinviter ainsi mais elle accepta.

Chloé, dans sa veste bleue, boitillant légèrement, se précipita vers elle en agitant la main. Elle la reconnut aussitôt dans la foule de la gare, létreignit en pleurant : « Élo, dès que je tai vue, jai su : cest toi ! Tu me crois ? » Élodie grogna, disant quelle navait pas changé, toujours aussi pleurnicharde… mais ses yeux picotèrent.

Après le dîner, Chloé raconta : « Ne sois pas fâchée contre maman. Dès quelle a rencontré Serge, il a dit quil nous accueillerait. Mais elle a eu peur de prendre deux filles dun coup. Après, ils ont eu un fils, puis une petite Lili, une vraie poupée ! Oh, ne sois pas vexée… Serge gagne bien, il est ébéniste, il a toujours du travail. On part même dans le Sud parfois. Enfin… en sixième, un taureau ma attaquée, personne na été blessé, mais moi, tu vois, je boite un peu… Ton gâteau est délicieux, tu me donneras la recette ? »

Élodie demanda : « Et toi, tu travailles ? Tu fais quoi ? Tu as des amis ? Tes si jolie ! »

Chloé rougit : « Jai été longtemps soignée, ça a coûté une fortune… Jaide à la maison, parfois Serge. Maman est comptable à la mairie. Pour les amis… avec ma jambe, cest compliqué. Mais je my suis faite. »

Élodie insista pour que Chloé reste dormir, promettant de la raccompagner le lendemain. Sa sœur sendormit aussitôt. En rangeant ses affaires, Élodie remarqua que ses vêtements étaient propres, mais usés, rapiécés… À lhôpital, les filles gagnaient peu, mais personne ne porterait ça, surtout en visite !

À 3h du matin, Élodie réveilla son mari, lui demandant de la conduire durgence à Lavande. Il râla, mais obéit. En chemin, elle lui expliqua tout. Dabord grognon, il finit par approuver.

Élodie trouva facilement la maison. Son cœur battait follement en frappant à la porte. Sa mère, toujours belle malgré lâge, ne la reconnut pas. Élodie dit : « Bonjour, maman. Nous voilà réunies… » Sa mère la salua à peine, comme une voisine importune. Puis demanda, agacée : « Où est Chloé ? À létable ? Quelle rentre, les petits attendent leur petit-déjeuner, et rien nest rangé dhier. Bon, entre, puisque tu es là… »

Élodie garda son calme : « Chloé restera chez moi. Rassemble ses affaires… et donnez-lui de largent si vous en avez. Je lui trouverai un travail, elle apprendra un métier. Et il faut soigner sa jambe, une si jolie fille, boiter comme ça ! Tu mentends, maman ? »

Sa mère pinça les lèvres, comme toujours quand elle naimait pas la discussion, et lança : « Dégage, petite sainte-nitouche ! On ira chercher Chloé nous-mêmes ! Et que je ne te revoie plus près delle ! »

Élodie secoua la tête et, regardant sa mère droit dans les yeux, dit lentement : « Dabord, ce nest pas Chloé, cest Chlochotte ! Appelle Chloé ta vache, que tu trairas toi-même maintenant, madame la baronne ! Tu veux que jameute tout le village ? Quils sachent comment lirréprochable dame de la mairie a abandonné ses filles ? Les commères ont la mémoire longue… Si tu tavises de reprendre Chloé, je crierai ton histoire sur tous les toits ! »

Sa mère grimaca, claqua la porte. Une demi-heure plus tard, un homme maigre sortit avec un sac : « Bonjour, je suis Serge. Voici ses affaires… Dis à Ludivine je lappelle toujours comme ça quon laidera financièrement. Cest vrai, elle a fait assez de Cendrillon chez sa propre mère… Ne sois pas trop dure avec elle, la vie nest pas simple… »

Élodie retourna vers la voiture, songeant : non, la vie nest pas simple. Mais est-ce que « simple » veut dire difficile ? Que les hommes ne boivent ni ne trompent, que les femmes nabandonnent pas leurs enfants pour un homme, que frères et sœurs ne soublient pas ?

Juste être humain…

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