LE FIDÈLE COMPAGNON DU TRAÎTRE

**L’AMI FIDÈLE DU TRAÎTRE**

Cet automne-là, les automobilistes qui empruntaient la route nationale remarquèrent un chien, immobile sur le bas-côté près de la sortie menant à un village de vacances. Jour après jour, il restait au même endroit. Dabord debout, puis assis une semaine plus tard, et enfin allongé, affaibli par la faim, suivant chaque voiture du regard.

Les habitants du coin commencèrent à sarrêter pour lui donner à manger. De loin, ce bâtard ressemblait à un berger allemand, sans sa queue touffue, enroulée en escargot et posée sur son dos. Il se montrait aimable avec ses bienfaiteurs, mais ne les laissait pas trop sapprocher. Pourtant, il mangeait ensuite avec voracité, jusquà la dernière miette. Il ne quittait son poste que brièvement, pour ses besoins.

Parmi tous, cest le jeune Théo, qui vivait dans le village, qui prit le plus à cœur ce malheur. Chaque jour, il venait réconforter ce pauvre mâle, quil avait baptisé Fidèle. Il lui expliquait que son maître avait dû lui arriver quelque chose et quil ne reviendrait pas, essayant de convaincre le toutou de le suivre.

La tête penchée, le pauvre chien lécoutait avec méfiance, refusant tout contact. Mais peu à peu, une amitié naquit, et bientôt, ils sassirent ensemble au bord de la route, observant les voitures filer.

Lautomne passa, puis lhiver sannonça avec ses gelées. Sur les insistances de Théo, son père construisit une niche isolée avec un abri pour protéger les gamelles de la pluie et de la neige. Le nouveau locataire apprécia son logis, mais retournait toujours sur la route une fois réchauffé.

Bientôt, les tempêtes ensevelirent la route, les champs alentour et même la niche. Après chaque chute de neige, Théo et son père venaient déblayer lentrée pour le chien. Son abri était maintenant une grotte avec une tranchée menant à la route. Et comme toujours, Fidèle, après avoir mangé, reprenait son poste, scrutant lhorizon.

Mais toutes les fins dhiver arrivent un jour. Les gouttières chantèrent, la neige fondit, la terre sécha. Les oiseaux gazouillèrent, les papillons voltigèrent. La route sanima : les vacanciers revenaient vers la nature.

Ce jour-là, Théo arriva comme dhabitude. Ils jouèrent, coururent un peu. Épuisés, ils sassirent sur le bord de labri, baignés par le soleil printanier.

Soudain, Fidèle se raidit, bondit sur ses pattes et fonça vers une voiture noire qui venait de tourner sur la route secondaire.

La Clio freina sec, les pneus crissant. Un homme trapu dune trentaine dannées en sortit en jurant et leva la main sur le chien. Celui-ci, jappant de joie, sauta pour lécher son visage. Ne réussissant pas, il tourna autour de lui en sautillant, puis posa ses pattes sur sa poitrine.

Lhomme, surpris, le repoussa, puis hurla : « Manon, regarde, cest Hunter ! Je croyais quil avait clamsé depuis longtemps. Sacré numéro, ce cabot ! »

Cest votre chien, monsieur ? demanda Théo en arrivant.

Ouais, enfin, cétait le mien. Javais acheté un berger allemand, mais cétait un vulgaire corniaud avec une queue en tire-bouchon. Si jétais rentré avec ça, mes potes mauraient ri au nez. Alors je lai laissé ici à lautomne. Il avait couru derrière la voiture jusquici, puis il a lâché.

Il vous attend depuis six mois, sans jamais bouger.

Ah ouais ? Jaurais pas cru fit lhomme en lui tapotant la nuque. Le chien gémissait, le fixant avec insistance, Bon, écoute, jai acheté un vrai berger de lEst avec pedigree, tu veux voir ? Il plongea dans la voiture et en sortit un chiot aux pattes interminables. Regarde ces pattes, bientôt grosses comme mon poing. Une vraie bête !

Fidèle, voyant cela, saffaissa. Il séloigna, sassit, le regard plein de tristesse.

Désolé, mon vieux, jpeux pas prendre deux chiens. Qui aurait cru que ça tournerait comme ça ? marmonna lhomme en évitant son regard. Il fourra le chiot dans la voiture, monta, et la Clio rugit avant de disparaître.

Le chien abandonné courut un instant, puis sarrêta, fixant les feux arrière. Finalement, tête basse, il retourna vers sa niche.

Théo le suivit, les larmes aux yeux.

Fidèle, mon ptit gars, pleure pas ! Il ne mérite pas ton amour. Tinquiète, tous les hommes ne sont pas des traîtres, tas juste pas eu de chance, dit-il en le serrant contre lui. Arrête de ten faire, tas pas besoin de lui, tas moi, non ? On est potes ? Je serai ton maître, promis, je te laisserai jamais. Allez, viens à la maison.

Le garçon se leva et fit signe au chien. Celui-ci hésita, puis le suivit, sarrêtant par moments, son regard semblant demander : « Tu me mentiras pas, toi ? »

Viens, tu verras, ça ira mieux chez nous, répondit Théo.

Enfin rassuré, Fidèle courut le rejoindre. Ils entrèrent dans la cour ensemble. Après lui avoir montré son nouveau domaine et lavoir nourri, Théo resta longtemps assis sur le perron avec lui.

Le chien reconnaissant lui léchait les mains, et le garçon murmurait : « Tes le plus beau, le plus malin. Tes pas un corniaud, cest lui qui savait pas. Y a une race qui sappelle «lami fidèle», et cest toi. »

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