**Une Belle-mère au Cœur de Mère**
Les festivités du mariage viennent à peine de sachever. La famille sétait rassemblée, chantant, dansant, riant, sans imaginer que ce serait leur dernière réunion. Seule la belle-mère, Marguerite, restait assise, le visage sombre. Cette petite bru frêle et délicate ne lui plaisait guère : *« Jolie, certes, mais à quoi bon ? Pourrait-elle soulever une botte de foin, porter un seau deau ou tenir une fourche ? Moi, jai trimé toute ma vie, et voilà que mon fils ramène une fée des bois plutôt quune femme solide. »* Elle ruminait sa colère, et Marie, la jeune mariée, sentait bien son regard noir.
Michel rassurait son épouse, mais lui glissait aussi : *« Maman ne te fera pas de cadeau. Elle déteste les femmes fragiles. Pour elle, la force est dans les bras, dans le dos large, dans les pas assurés. Elle couchait mon père ivre dune seule main. Quand elle attelait le cheval, même les palefreniers sécartaient. Elle labourait sans plier, les mottes de terre luisantes sous sa charrue. Et à la fenaison, elle montait une meule en une heure là où dautres peinaient toute la journée. »*
Dieu lui avait donné la force dun homme, mais lui avait ôté la douceur dune femme. La mère de Marie, Thérèse, ne tenait pas non plus à marier sa fille si tôt. Vivant à quelques lieues seulement, elle connaissait la réputation de Marguerite cette femme qui changeait seule les poutres du toit, labourait sans aide, empilait les gerbes comme un homme. Quelle bru pourrait jamais lui plaire ?
Mais Marie nécouta pas sa mère. Persuadée que sa belle-mère finirait par sadoucir avec les petits-enfants, elle se disait : *« Je ne vais pas renoncer à lhomme que jaime à cause delle ! »*
Personne ne savait que la guerre rôdait déjà, quelle apporterait non le bonheur, mais la séparation. Six mois après le mariage, les canons tonnèrent. Ce temps parut à Marie comme une épreuve. Michel la chérissait, la protégeait, ce qui exaspérait Marguerite : *« Quel homme est-ce là ? Il ne la laisse même pas porter un seau, il la couve comme un enfant. Pas étonnant, il tient de son père, ce pleutre. »*
Marguerite avait été mariée à un veuf, Jacques, par sa propre mère, désespérée. Ils vivaient dans la misère, le toit de chaume percé, sans cheval ni vache. Jacques, timide et buveur, avait accepté cette femme robuste dun simple *« Elle fera laffaire. »*
Ils ne se parlèrent guère les premières semaines. Seul le petit Michel saccrochait à sa nouvelle mère, souriant, réclamant ses bras. Avec les années, Marguerite devint une maîtresse de maison irréprochable, mais naima jamais son mari. Lui non plus ne lui montra jamais de tendresse. Seul Michel lui apporta de la joie.
Elle sétait habituée à son rôle de mère et dépouse délaissée. Avec son fils, elle pouvait parler des heures, lui enseigner la patience au travail, le récompenser dun baiser sur le front. Bien sûr, le fouet lui avait aussi cinglé les épaules, la ceinture sétait abattue plus dune fois. Mais toujours, après la colère, venaient les larmes et les pardons échangés.
Michel grandit beau, bon, aimant sa mère plus que tout. À la mort de son père, Marguerite lui dit simplement : *« Merci, mon fils. Je nai pas voulu être une marâtre, jai essayé dêtre une mère. »* Son sourire adoucissait ses traits masculins, ses yeux brillaient de tendresse. Ses mains larges enveloppaient les épaules de Michel, et elle murmurait : *« Le temps passe vite. Tu te marieras, tu amèneras une belle fille forte à la maison, nous bâtirons un nouveau foyer Et moi, je surveillerai tout, bien sûr ! »*
Michel souriait, pensant : *« Ma mère est la plus belle, la plus forte. Jamais je ne la laisserai seule comme la fait mon père. »*
Puis vint le mariage, puis la guerre, foulant tout sur son passage. Quand Michel partit au front, Marguerite seffondra, sanglotant dans son tablier. Marie, silencieuse, posa une main sur son épaule. Marguerite releva la tête : *« Ne me console pas. Prie plutôt Dieu quIl épargne mon fils. Sans lui, je nai plus de vie. »*
Les jours dattente furent longs. Marguerite voyait bien que Marie nétait daucun secours : un demi-seau deau, trois bûches à la fois, une pâte mal pétrie *« Malheureuse ! Tu nes bonne à rien. Ta mère sest bien débarrassée de toi. »* Mais dans son regard, Marie ne lisait pas de haine, seulement de linquiétude.
Un matin, Marguerite remarqua que Marie grignotait des cornichons du tonneau. Elle reconnut les signes. Elle-même avait perdu plusieurs enfants, trop rude au travail, trop peu ménagée par son mari. Mais cette fois, elle veillerait.
La famine approchait. Malgré les réserves cachées au grenier, la guerre ne demandait pas la permission. Marie, épuisée, ne tenait plus debout. Marguerite lui préparait du pain beurré, des pommes trempées dans le sel, du thé sucré : *« Reste assise, tu nes bonne à rien. »*
Michel écrivait souvent, commençant toujours par *« Ma chère maman et ma douce femme. »* Marguerite baisait le papier, le serrait contre son cœur. Elle interdit à Marie de parler de sa grossesse : *« Moi, je suis solide, et pourtant jai tout perdu. Toi, une sauterelle Attends que lenfant soit né. »*
Marie ne mangeait presque rien, mais son ventre grossissait. Les vertiges, les nausées lépuisaient. Elle oubliait parfois que Michel pouvait mourir, rêvant plutôt au jour où il reviendrait, où elle lui présenterait leur fils.
Un jour, elle demanda à Marguerite ce quelle souhaitait. *« Un enfant en bonne santé, qui lui ressemble. Toi tu es si frêle. Mais Dieu taidera. Moi, je suis forte, je tiendrai. »*
Les lettres se firent rares. Marguerite priait à genoux : *« Prends ma force, Seigneur, donne-la à mon fils. Pardonne-moi de lui cacher lenfant, mais je nai pas confiance en elle. »*
Puis plus rien. Chacune cachait ses larmes, espérant le lendemain. Marguerite maigrissait, son dos se voûtait. Marie voyait bien quelle ne mangeait quune croûte par jour avant de partir à la ferme.
Le jour vint. La nuit était violente, le vent arrachait les toits. La sage-femme refusait de venir. Marguerite, terrifiée mais déterminée, attela le cheval, emporta Marie dans ses bras vers la maison dAdèle. *« Sauve-la, je prierai pour toi toute ma vie. »*
Ce fut un long combat entre la vie et la mort. Cinq heures de lutte. Enfin, le cri dun ange étouffa la mort. Un garçon vigoureux reposait sur la poitrine de Marie, pâle, épuisée. La sage-femme ne promettait rien.
La mère de Marie voulut la ramener chez elle. Marguerite, vieillie, grisonnante, se tenait comme une enfant coupable. Leurs regards se croisèrent : dans lun, la gratitude ; dans lautre, lespoir. *« Je resterai avec elle, celle qui ma sauvée. Jattendrai mon mari ici. »*
Marguerite redressa la tête, comme si elle avait elle-même accouché. La nuit, elle se levait au moindre pleur. Elle tailla dans les chemises de son mari pour habiller lenfant, utilisa même le tissu réservé à son linceul. *« On ne jugera pas là-haut sur les apparences. Et puis, je nai pas envie dy aller encore. »*
Marie ne soffensait plus. Elle qui avait craint cette femme au regard perçant découvrait ses mains douces, son sourire malicieux. Marguerite







