La vie a toujours son propre jeu de cartes

**Journal intime 15 Juillet**

La vie a toujours ses propres plans.

« Élodie, jai une nouvelle pour toi ! Raphaël revient de larmée demain. On va bientôt se marier, tu viendras à notre mariage ? » bavardait Anaïs avec excitation.

« Comment le sais-tu ? Vous ne vous écriviez même pas quand il est parti. Vous étiez juste amis, non ? Et comment tu sais quil arrive demain ? »

« Ma mère a croisé tante Isabelle. Enfin on verra bien si on est juste amis. Cest ce quil croyait, et tout le monde aussi, mais moi, je laime depuis longtemps. Cette fois, je ne le laisserai pas filer. »

« Hum, hum, réjouis-toi Mais je doute que tu parviennes à lattraper. Raphaël a toujours eu son franc-parler. Et maintenant, après larmée, il a sûrement mûri. Au lycée, cétait un vrai casse-cou. » Élodie eut un petit rire moqueur, et Anaïs en fut presque vexée.

Anaïs avait toujours aimé Raphaël, même sil était un peu turbulent. Un garçon vif, charmant. En quatrième, il avait grandi plus vite que les autres, dépassant tous les garçons en taille. Mais surtout, il ne semblait jamais remarquer aucune fille. Toutes étaient ses amies, il plaisantait avec chacune, traînait le soir avec sa bande de copains. Mais jamais il ne distinguait personne, ne raccompagnait personne après le cinéma.

Anaïs se retrouvait souvent près de lui, apprenant quil allait au ciné avec ses amis, et elle se précipitait aussitôt à la salle communale. Raphaël lui parlait, riait, la taquinait, même lenlaçait parfois Mais rien de plus. Les filles laimaient en secret, mais chuchotaient entre elles :

« Raphaël est bizarre Tous les garçons sortent avec des filles, les raccompagnent, mais lui, il rentre toujours seul le soir. »

Quand Raphaël partit pour larmée, certaines filles se mirent à attendre en silence. Chacune espérait quà son retour, il jetterait enfin son dévolu sur lune delles. Après tout, il finirait bien par se marier un jour.

Clémence travaillait à lécole du quartier, transférée depuis un petit village il y a quatre ans. Elle était arrivée là juste après luniversité. Elle vivait avec sa mère, Élisabeth, son père étant mort jeune. Sa mère fut soulagée quand sa fille quitta le village pour la ville. « Au moins, je ne serai plus seule » pensa-t-elle, même si elle se demandait :

« Je suis contente que Clémence vive avec moi, mais un jour, elle se mariera »

Ce matin-là, Clémence accompagna sa mère jusquà larrêt de bus. Élisabeth partait à la campagne chez sa sœur aînée, lété venait de commencer. Puis elle se dirigea vers lécole. Les vacances avaient débuté, mais les enseignants avaient encore du travail.

Rien de neuf dans la vie de Clémence. Elle sétait brûlée une fois, trompée par Mathieu, un camarade de promo. Il lui avait promis de lemmener dans sa ville, lui avait même fait une demande Mais au dernier moment, il avait lâché :

« Je change davis, Clémence. Mes parents mattendent seul. Alors adieu. »

Elle avait surmonté ça et était partie enseigner au village. À vingt-huit ans, elle navait plus jamais aimé personne.

Assise dans le bureau du directeur, Clémence discutait du planning estival quand la directrice adjointe passa la tête :

« Clémence, un jeune homme vous demande. »

« Tiens, tiens Qui est-ce donc ? » sourit le directeur. Clémence haussa les épaules.

« Je me le demande aussi. »

En sortant, elle aperçut au bout du couloir un homme en uniforme militaire, dos tourné, regardant par la fenêtre. Quand il se retourna avec un sourire, elle nota :

« Oh là là, un parachutiste Costaud, solide. Qui ça peut bien être ? »

Ils se rencontrèrent à mi-chemin.

« Bonjour, Mademoiselle Clément. »

« Bonjour Cest vous qui mattendez ? »

« Bien sûr. Qui dautre ? »

« Excusez-moi, mais nous nous connaissons ? »

« Si bien, et depuis longtemps. » Il sourit largement, des fossettes creusant ses joues.

« Raphaël ? » Elle reconnut son ancien élève et porta ses mains jointes à ses lèvres.

« Oui, cest moi. Jai tant changé ? »

« Mon Dieu cest un euphémisme. » Ils sétreignirent.

Elle lui tapota le dos avant de reculer, lobservant.

« Laisse-moi te regarder Quel homme tu es devenu ! Épaules carrées, visage mûr Si je tavais croisé en ville, jamais je ne taurais reconnu. » Devant elle se tenait un bel homme, le rêve de nimporte quelle femme.

« Ne me faites pas rougir, Mademoiselle Clément. Tenez, des fleurs pour vous. » Il lui tendit enfin un bouquet. « Je suis un homme ordinaire. Mais vous ne seriez pas passée sans que je vous appelle. »

« Mais comment mas-tu trouvée ici ? »

« Je savais déjà avant larmée dans quelle école vous enseigniez. » Il eut un air fier. « Je viens directement de la gare. Service terminé, liberté retrouvée. »

« Où loges-tu ? Tu dois encore rentrer au village Oh, mais tu dois avoir faim ! Attends, je prends mon sac et tu viens chez moi. Ce nest pas loin. »

Pendant que Clémence réchauffait le déjeuner, Raphaël se lava, enlevant son uniforme pour rester en marinière, la chaleur étant étouffante. En entrant dans la cuisine, il demanda :

« Mademoiselle Clément, je peux aider ? »

« Non, assieds-toi. »

Clémence, tournée vers la cuisinière, était sous le choc, le regardant du coin de lœil. Ce Raphaël musclé faisait battre son cœur plus vite. Plus rien du garçon turbulent de quatrième. Un homme nouveau. Elle serra la cuillère contre ses lèvres.

« Quest-ce qui marrive ? Pourquoi ça ? »

Raphaël, assis, se retenait à peine. Comme il avait envie dembrasser Clémence, quil aimait depuis le lycée. Belle, douce Il savait quelle nétait pas mariée son ami Théo lui avait écrit (sa tante était directrice adjointe dans cette école).

« Allez, mange. On prendra le thé après. »

Ils évoquèrent lépoque où Clémence enseignait au village. Elle avait toujours senti son regard, mais ny prêtait guère attention tous les lycéens fixaient la jeune prof.

« Quoi de neuf là-bas ? Qui ma remplacée ? Jaimerais revoir tant de gens »

« Une jeune prof, Juliette. Mon frère aîné la épousée vite fait. Ils ont déjà un fils. » Raphaël marqua une pause, puis, rassemblant son courage :

« Clémence » Pour la première fois, il lappelait ainsi. « Je suis venu pour toi. Épouse-moi. Je taime depuis le lycée. »

« Mépouser ? »

« Oui. Je demande ta main. Comme tu vois, jai grandi, mais mes sentiments nont pas changé. »

« Mais Raphaël mon cher Raphaël, il y a huit ans décart. »

« Oublie ça. » Il sapprocha, prit ses mains. « Oublie ces années. Elles ne comptent plus. Avant, cétait quatorze et vingt-deux. Maintenant, cest différent. Je ne suis plus un garçon, mais un homme. Je prendrai soin de ma famille. »

Il fit asseoir Clémence, stupéfaite, sur ses genoux.

« Tout ira bien. On construira une maison au village. Grande, spacieuse, pour que les enfants aient de la place. »

Clémence, muette, hocha la tête.

« Mais je nai même pas dit oui, et tu parles déjà denfants ! »

« Je lai vu dans tes yeux. Ils mont brûlé jusquà lâme. »

« Quel romantique ! » Elle éclata enfin de rire.

Le soir, Raphaël resta chez elle. Le lendemain, ils partirent à la campagne présenter Raphaël à Élisabeth et annoncer quelle partait vivre au village avec lui.

Arrivés là-bas, Raphaël prit une bêche, retourna la terre :

« Plantez, semez ! » Il sourit, puis répara à coups de marteau le portail branlant.

Les femmes saffairaient autour de la table.

« Il est doué, ce Raphaël »

Au repas, ils annoncèrent leurs fiançailles. La mère et la tante, surprises, les félicitèrent. Raphaël vit la tristesse dÉlisabeth.

« Ne vous inquiétez pas, vous ne resterez pas seule. On vous emmènera chez nous. Le village est beau, vous aimerez. Et ma mère est adorable. Clémence le sait. »

Ils prirent le train pour le village. Raphaël appela sa mère :

« Jarrive à dix-huit heures. Je ne suis pas seul. »

« Avec qui donc ? » sétonna Isabelle.

« Arrête de spéculer, maman, dit son fils aîné, Olivier. On verra bien. » Sa femme, Juliette, ajouta :

« Mettons la table. »

Isabelle guettait par la fenêtre, mais ne les vit quà la grille : Raphaël, majestueux, et Mademoiselle Clément.

« Maman, Raphaël est là ! » Olivier courut les accueillir. Les frères sétreignirent le cadet dépassait laîné dune demi-tête.

« Sacré costaud, hein ? La légion ta forgé ! » Puis, se reprenant :

« Bonjour, Mademoiselle Clément. »

Isabelle embrassa son fils avec fougue.

« Bonjour, Clémence ! Quelle bonne idée de venir ! Tout le monde se souvient de toi ici. Mais comment vous êtes-vous retrouvés ? »

« Maman, pas de questions maintenant. On expliquera après. »

« Oh, cest vrai Entrez ! »

À table, Olivier servit le vin. Raphaël se leva.

« Vous vous demandez pourquoi nous sommes ensemble ? Clémence et moi allons nous marier. » Il but son verre seul. Tous le dévisageaient, abasourdis.

Clémence joignit les mains sur ses genoux. Raphaël posa la sienne dessus. Un silence tomba, puis Isabelle éclata de rire.

« Moi, je suis ravie ! Très ravie ! » Puis, regardant Juliette enceinte de deuxième enfant elle rit plus fort :

« Clémence a enseigné ici avant toi, Juliette. Toi, tu pars en congé maternité, Clémence te remplace puis ce sera son tour ! »

Tous rirent.

Cest alors quentrèrent Anaïs et Élodie.

« Salut ! On a entendu que Raphaël était de retour »

« Entrez donc ! » dit Olivier. Raphaël enlaçait Clémence. « On fête ses fiançailles ! »

Les filles échangèrent un regard déçu, mais sassirent un moment avant de partir en coup de vent.

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