Elle va le regretter, c’est certain !

«Elle va le regretter !»

C’est ce que pensait Gérard quand sa femme, Aurélie, annonça soudainement qu’elle demandait le divorce. Hier encore, tout allait bien : elle lavait ses chaussettes, repassait ses chemises, et aujourd’hui ? Des papiers de divorce ! Et sans la moindre raison ! Gérard travaillait, ne la frappait pas, ne sortait presque jamais et buvait avec modération.

«Qu’est-ce qu’il lui manquait, cette p… ?» grognait-il entre ses dents. «Elle a trouvé un autre mec, cette s… ! Elle va le regretter ! Elle reviendra en pleurs ! Je vais lui montrer, moi ! Elle comprendra, mais ce sera trop tard !»

Pendant qu’il fulminait, Aurélie répétait ce qu’elle disait depuis des années :
«Je suis épuisée de tout porter seule ! Je travaille, je lave, je nettoie, je cuisine, je moccupe de Théo. Jen ai marre ! Tu manges plus que tu ne rapportes à la maison ! Quand tu as disparu trois jours lautre fois, jai réalisé que la vie était plus simple sans toi ! Sans toi, la maison est propre, calme. Je nai pas à cuisiner pour toi : Théo et moi, on na pas besoin de viande grillée ! Sans toi, même la cuisinière reste propre : je prépare un ragoût pour deux jours ou des boulettes, et personne ne les engloutit en une fois ! Je veux respirer ! Je suis épuisée ! Je suis devenue une femme avec des sacs plein les mains ! Je ne me reconnais plus quand tu es là ! Jai honte, cest cher, cest lourd et cest moche avec toi !»

«Quand est-ce que tu as lu un livre à Théo pour la dernière fois ? Jamais ? Quand las-tu emmené se promener ? Lui as-tu donné son bain ? Quentend-il de toi, à part « Va-ten, je suis crevé » ? Tu sais dans quelle école je lai inscrit ? Le nom de sa maîtresse ? La date de ses cours de préparation ? Tu ne tintéresses même pas à ton fils ! Vous vivez sous le même toit, mais tu ne lui parles jamais ! Il ne voit quun père ivre, affalé sur le canapé avec une bière, ou endormi avec une bière ! Quel exemple pour lui ? À quoi tu sers ? Tu te souviens de son anniversaire ? Non ? Alors à quoi bon ? Je ne veux plus vivre avec toi !»

«Elle ne se lasse pas de rabâcher la même chose ?» sétonnait encore Gérard la veille. Ces plaintes hystériques, Aurélie les ressassait chaque soir pendant quil dévorait des boulettes directement dans la poêle. «Des caprices de femme», concluait-il. «Elle sennuie, alors elle fait des drames.»

Tout allait bien ! Et aujourdhui ? Le divorce ! Comme ça, sans prévenir !

«Elle va le regretter ! Elle croit quun autre voudra delle ? Une trentenaire flétrie ! Dans deux jours, elle me suppliera de revenir ! Et je verrai si jai envie !»

«Jai fait tes valises ! Je ne te supporte plus ! Pars !»

«Daccord !» Gérard avala une saucisse. «Je men vais ! Mais quant à savoir si je reviendrai»

Il lui laissa une dernière chance : il mit lentement ses chaussures, fit bruisser les sacs, traîna devant la porte. Mais elle ne changea pas davis. «Quelle tête de mule !» songea-t-il, regrettant de ne pas avoir pris deux saucisses de plus avant de quitter lappartement.

Il dut aller chez sa mère. Elle aussi se mit à radoter : «Quest-ce qui sest passé ? Pourquoi ta-t-elle mis dehors ? Tu as fait quelque chose ? Ça ne se fait pas sans raison»

«Mais si ! Elle ma viré comme ça ! Jai tout fait pour la famille ! Jai travaillé ! Jai ramené de largent ! Mais cétait jamais assez ! Des bottes, un manteau Elle veut un mec riche ! Peut-être quelle en a déjà trouvé un ! Cest pour ça quelle ma jeté ! Elle sennuyait ! Je ne lui donnais pas assez dattention !»

Sa mère soupira et appela Aurélie. Mais visiblement, la conversation ne porta pas ses fruits personne ne rappela Gérard.

«Tant pis ! Elle va regretter ! Où va-t-elle trouver un autre mec ? Qui voudra delle avec un enfant ?» raisonna Gérard en choisissant une bière en promo.

Au premier rendez-vous au tribunal, Aurélie sétait faite belle : nouvelle coiffure ou maquillage, mais elle rayonnait. Elle souriait. Aux questions, elle répondait nerveusement : «Il ny avait plus de famille depuis longtemps. Tout était sur moi, aucune aide, aucun soutien. Il ne soccupait pas de Théo.»

«Des mensonges de femme», expliqua Gérard, essayant de calmer le tremblement de ses mains. Il aurait bien pris un verre, mais il hésita avant laudience.

La juge une femme, bien sûr demanda avec un sourire narquois :
«Vous buvez souvent de lalcool ?»

«Je ne bois presque pas !» sindigna Gérard. «Deux bières le soir, grand maximum ! Là, cest le stress ! Ma femme ma quitté !»

«Je vois», répondit-elle.

Elle accorda trois mois pour une réconciliation. Gérard regarda son ex-future-femme : toujours pas de regrets ?

«Mais tu es ivre en permanence ?» fit-elle en grimçant de dégoût. Apparemment, non.

«Bon, jattendrai !» décida Gérard. «On verra bien comment elle chantera dans trois mois ! Sans homme, elle va ramper à mes pieds !» Il adorait imaginer Aurélie le supplier. Lui refusant. Lui imposant ses conditions.

Mais pendant trois mois, Aurélie ignora tout appel à la réconciliation le tribunal ne lui dictait rien ! Pas un appel, pas un message. Comme sil nexistait plus.

«Elle a sûrement trouvé quelquun !» Pourtant, après avoir interrogé des amis communs et fouillé les réseaux, rien. Personne.

Donc, trois mois plus tard, Gérard se préparait au triomphe : maintenant, elle avait compris à quel point la vie était dure sans lui.

«Elle va sangloter !» rêvait-il. Même à sa mère, il déclara :
«Elle va retirer sa demande, cest sûr ! Elle a compris son erreur !»

Effectivement, à cette audience, Aurélie ne souriait plus. Sérieuse, concentrée. Elle répondait brièvement. Mais elle ne renonçait pas. «Elle attend que je supplie !» comprit Gérard. «Elle peut attendre !»

Et comme par magie, ils furent divorcés. Gérard ne sy opposa pas. Mais il y eut un moment gênant. La juge demanda avec qui resterait lenfant, sil y avait des requêtes. Aurélie prit la parole :

«Avec moi. Son père ne sest jamais occupé de lui. Demandez-lui la date danniversaire de son fils.»

«Gérard Laurent, quel est lanniversaire de votre fils ?» demanda la juge, moqueuse.

Gérard chercha dans ses papiers il devait être écrit quelque part.

«Ne trichez pas !» ricana la juge une femme, évidemment. Un homme naurait pas posé ces questions, ne se serait pas laissé manipuler.

«Le 3 juin !» lança Gérard au hasard.

«Cest aujourdhui ! Aujourdhui, cest lanniversaire de Théo !» sexclama Aurélie. «Tu ne ten souviens même pas ! Cest le 6 juin ! Il a sept ans !»

«Et le 3, au moins, tu las félicité ?» persifla la juge.

Pourquoi donnait-on de tels postes aux femmes ? Ce maudit matriarcat ! Gérard ne répondit pas.

«Le père a-t-il des objections concernant la garde ?»

«Non !» cria Gérard, vexé.

Bien sûr, le tribunal attribua lenfant à son ex-femme. «Et maintenant, les pensions» songea-t-il, amer. Mais il se redressa : Aurélie allait craquer et éclater en sanglots ! Sa vie venait de sécrouler ! Elle était désormais une divorcée avec un enfant ! Personne ne la voudrait !

Mais là, il vit Aurélie sur les marches du tribunal, riant avec une femme :

«Sophie ! Tu fais ici ?»

«Une formalité, et toi ?»

«Je viens de divorcer ! Je suis libre maintenant !»

Et elle rit ! Gérard nen crut pas ses yeux ! Sa vie seffondrait, et elle riait ! «Les femmes nont vraiment pas de cervelle ! Aucun être sensé ne rirait un jour pareil ! Elle devrait passer un examen psychiatrique !»

Il courut vers son ex-femme.

«Je ne peux pas fêter ça aujourdhui, cest lanniversaire de Théo» disait Aurélie, mais Gérard linterrompit :

«Je croyais que tu pleurerais, mais tu ten fiches ?!» cracha-t-il. «Tu vas le regretter ! Je vais Je vais tattaquer en justice ! Lappartement ! Et Théo ! Tu vas voir !»

«Lappartement est à ma grand-mère», répondit Aurélie calmement. «Et depuis quand tu tintéresses à Théo ? Quest-ce qui te prend ?»

«Quest-ce qui me prend ?!» Gérard continua longtemps à lui expliquer : elle avait brisé la famille, privé son fils dun père, tout volé, tout pris, lavait jeté dehors, avait trouvé un autre homme, finirait seule avec quarante chats, personne ne la voudrait.

Et même quand Aurélie fut partie depuis longtemps, Gérard répéta : «Tu vas le regretter !»

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