« Quand tu auras ton propre appartement, tu y feras entrer qui tu veux ! Pour linstant, dégage dici avec ta sœur ! »
Élodie avait toujours considéré son deux-pièces au septième étage comme une forteresse. Pas la plus grande, ni la plus luxueuse, mais la sienne. Chaque mètre carré avait été gagné après des nuits blanches dans une agence de design, chaque meuble choisi avec soin et goût. Les serviettes immaculées de la salle de bain étaient alignées par taille, les produits de beauté rangés en rangées impeccables sur létagère, et dans le placard, ses robes étaient classées par nuances, des plus claires aux plus sombres.
Gabriel était entré dans sa vie en novembre, quand les premiers flocons de neige dansaient derrière la vitre. Grand, avec des cheveux bruns ébouriffés et un sourire qui lui faisait perdre pied. Ils sétaient rencontrés dans un café des Champs-Élysées il avait bousculé sa table en passant, renversant son café sur sa blouse blanche.
« Désolé, je suis un vrai maladroit », avait-il murmuré en lui tendant des serviettes. « Laissez-moi au moins payer le pressing. »
La blouse nétait jamais redevenue immaculée, mais peu importait. Gabriel était photographe, spécialisé dans les mariages et les événements dentreprise, et vivait dans un studio en banlieue. Il parlait de ses projets avec une passion qui la faisait rêver pendant des heures.
Les premiers mois avaient filé comme un rêve. Il venait presque chaque soir avec un bouquet ou une boîte de macarons. Ils cuisinaient ensemble, regardaient des films, parlaient davenir. Pour la première fois, Élodie se sentait complète.
En février, alors quune tempête de neige faisait rage dehors, elle lui avait proposé demménager.
« Pourquoi payer ce studio minable ? » avait-elle dit en lenlaçant dans la cuisine. « Jai assez de place pour deux. »
Il avait dabord hésité, parlant dindépendance, de ne pas vouloir être un fardeau mais avait fini par accepter. Il était arrivé en mars avec deux valises et son matériel photo.
Le premier mois fut idyllique. Gabriel faisait des efforts pour ne rien laisser traîner, aidait au ménage pas toujours aussi méticuleusement quelle, mais elle mettait cela sur le compte de la négligence masculine.
Une seule chose la troublait : il navait jamais proposé de partager les charges ou même les courses. Quand elle abordait le sujet, il plaisantait ou évoquait des clients rares et des fins de mois difficiles. Elle ne insistait pas après tout, lappartement était le sien, et elle pouvait bien lassumer seule.
Mais mi-avril, tout changea.
Ce jour-là, Élodie rentra épuisée. Un client avait rejeté sa troisième maquette de site en exigeant « plus de créativité », et son patron lui avait fait des sous-entendus sur des heures supplémentaires non payées. Elle ne rêvait que dun bain chaud et dun verre de vin.
En montant lescalier, elle entendit des voix derrière sa porte : celle de Gabriel, et une autre, féminine. Elle fronça les sourcils. Il ne lui avait pas parlé dinvités.
Dans lentrée, elle simmobilisa, saisie. Sur son canapé beige préféré du salon était assise une inconnue dune vingtaine dannées. Des cheveux blonds en chignon négligé, un pyjama à fleurs clairement pas une tenue pour recevoir. La jeune femme se vernissait les ongles dun rose vif en regardant distraitement une télénovela brésilienne.
« Salut », lança-t-elle sans lever les yeux. « Tu dois être Élodie ? Je suis Chloé, la sœur de Gab. »
Élodie resta plantée là, dépassée. Gabriel navait jamais mentionné de sœur juste une vague parenté en province.
« Élo, te voilà ! » Gabriel apparut depuis la cuisine avec une tasse de thé. Il avait lair légèrement coupable, mais souriait comme si de rien nétait. « Je te présente Chloé, ma sœur. Je ten ai parlé, non ? »
« Vaguement », répondit-elle sèchement. « Elle fait quoi ici ? »
Il posa la tasse sur la table basse et lenlaça.
« Elle a des problèmes avec son logement. Sa propriétaire veut récupérer lappart pour son fils qui revient de larmée. Elle navait nulle part où aller, alors je lui ai proposé de rester ici. Juste quelques jours, le temps quelle trouve. »
« Chez nous ? » La colère monta en elle. Cétait son appartement, son territoire. Personne navait le droit dy inviter qui que ce soit sans son accord.
« Tu aurais pu me demander. »
« Allons, Élo, cétait une urgence. Je ne pouvais pas la laisser à la rue. »
Chloé leva enfin les yeux et toisa Élodie avec un sourire narquois.
« Tinquiète, je ne te dérangerai pas. Je suis discrète comme une souris. »
Son ton faussement désinvolte exaspéra Élodie plus encore que sa présence.
« Daccord », dit-elle en serrant les dents. « Pour combien de temps ? »
« Deux-trois jours max, jai déjà des visites. »
Gabriel sourit, soulagé, et lembrassa sur la joue.
« Tu vois ? Ce ne sera rien. Viens, je te fais du thé. »
Dans la cuisine, Élodie découvrit une pile de vaisselle sale et des miettes partout. Sur la plaque, une casserole de soupe à loignon celle quelle avait préparée la veille pour deux repas.
« Gab, cétait mon soupe ? »
« Euh oui, désolé. Chloé avait faim, et il ny avait rien dautre. Jirai faire les courses demain. »
Élodie hocha la tête, bouillonnant intérieurement. Elle se tut par éducation, par peur du conflit. Mais chaque détail lirritait davantage.
Cette nuit-là, elle craqua.
« Gab, cétait très soudain. »
« Quoi donc ? »
« Ta sœur. Tu aurais pu me prévenir. »
Il sassit sur le lit et lui prit les mains.
« Je sais que cest maladroit. Mais que voulais-tu que je fasse ? Elle a débarqué en larmes ce matin. Je ne pouvais pas la laisser tomber. »
« Je ne parle pas de la laisser tomber. Je parle de me consulter. Cest mon appart, Gab. »
« Notre appart », rectifia-t-il. « On vit ensemble, non ? »
« Mais cest moi qui paie tout. »
Son visage se ferma.
« Cest ça le problème ? Tu vas me le reprocher souvent ? »
« Je ne reproche rien. Je veux juste quon prenne ces décisions ensemble. »
« Daccord, la prochaine fois, je te demanderai. Mais pour linstant, cest trop tard. Deux jours, cest rien, non ? »
Le lendemain, elle partit tôt pour éviter Chloé. Mais le soir, même scène : la jeune femme, toujours en pyjama, grignotait une pomme celles quÉlodie réservait pour son dessert.
« Alors, ça va au boulot ? »
« Bien. Tas trouvé un logement ? »
« Pas encore. Mais je cherche. »
Son ton était si désinvolte quÉlodie serra les poings. Elle senferma dans la chambre.
Les jours passèrent. Chloé ne bougeait pas du canapé, ne cherchait rien, mais Élodie remarqua dautres choses : son sérum visage avait diminué, sa serviette de bain était hum







