**Journal intime 15 octobre**
*Ce nest pas à toi de décider où vivra mon fils*, a lancé mon ex-femme en franchissant le seuil.
*Papa, quand est-ce que maman vient ?* a demandé Lucas, posant son cahier de maths.
Jai levé les yeux de mon journal, observant mon fils. Huit ans à peine, et déjà cette tristesse trop mûre dans son regard.
*Je ne sais pas, mon grand. Elle a dit ce weekend, mais on est seulement mercredi.*
*Elle viendra vraiment ? La dernière fois, elle avait promis, puis elle a appelé pour dire quelle était trop occupée.*
Jai soupiré. Comment lui expliquer que sa mère vivait désormais à Lyon avec un autre homme, et que Lucas nétait plus quune obligation mensuelle ? Un jouet acheté à la va-vite, un goûter au café, puis disparue à nouveau.
*Elle viendra, mon chéri. Certainement.*
*Daccord*, a-t-il murmuré en reprenant son livre. *Je peux regarder des dessins animés après ?*
*Dabord tes devoirs.*
Jai tenté de relire *Le Monde*, mais impossible de me concentrer. Trois ans depuis le divorce, et ma vie tournait en rond : boulot, maison, Lucas. Mes amis me conseillaient de *me remettre en couple*. Mais comment, quand ton fils attend sa mère chaque soir ?
À la nuit tombée, Lucas a enfin fermé ses cahiers.
*Papa, on mange quoi demain ?*
*Des raviolis. Tu les aimes bien.*
*Et de la salade ?*
*Avec des tomates.*
On a préparé le dîner ensemble, Lucas perché sur un tabouret, racontant sa journée.
*Léo a glissé en sport aujourdhui. Il saignait du genou ! La maîtresse la emmené à linfirmerie.*
*Rien de grave ?*
*Non, un pansement. Dis, papa pourquoi les parents de Léo viennent toujours ensemble aux réunions, et pas toi et maman ?*
Le couteau a tremblé dans ma main.
*On a des emplois du temps différents.*
Il a hoché la tête, sceptique.
—
Le lendemain au bureau, mon collègue Théo a repris son refrain.
*Écoute, Marc, elle a quasi abandonné le gamin ! Une visite par mois, et encore. Lucas tadore, cest lessentiel.*
*Tu ne comprends pas. Lécole, les devoirs, le dîner, lhistoire du soir Et le weekend, les courses, le ménage*
*Trouve une femme qui taidera ! Une bonne âme. Une belle-mère ne lui ferait pas de mal.*
*Et si ça lui plaît pas ? Si sa mère revient en hurlant ?*
*Elle ne reviendra pas*, a-t-il haussé les épaules.
Jai gardé le silence. Au fond, je savais quil avait raison.
—
Ce soir-là, on a sonné à la porte. À travers le judas, jai reconnu Amélie.
*Salut*, a-t-elle soufflé. *Je peux entrer ?*
*Bien sûr. Lucas ! Maman est là !*
Il sest précipité dans ses bras, quelle a refermés avec maladresse.
*Comme tu as grandi !*
*Maman, tu restes longtemps ? Tas apporté un cadeau ?*
*Bien sûr. Mais dabord, je dois parler à papa.*
Une fois seuls au salon, elle a siroté son thé. Nouvelle coupe, tailleur chic. Lyon lui réussissait.
*Alors, Marc Julien et moi, on se marie.*
*Félicitations.*
*Et je veux que Lucas vienne vivre avec nous.*
La tasse a failli méchapper.
*Pardon ?*
*Jai un travail stable, Julien lapprécie. Toi ? Tu es toujours au bureau, il est seul.*
*Tu délires ! Il a son école, ses copains ici. Et toi, tu as passé trois ans à lignorer !*
*Jai des droits ! Je suis sa mère !*
*Une mère ? Celle qui se lève la nuit quand il est malade ? Qui laide en maths ? Toi, tu as *choisi* de tenfuir.*
Elle a serré son sac à main.
*Réfléchis jusquà demain. Sinon, ce sera le tribunal. Julien paiera les avocats.*
*Ce nest pas toi qui décideras pour mon fils*, ai-je articulé.
—
Le lendemain, en chemin pour lécole, Lucas ma regardé :
*Papa si maman memmène, tu seras triste ?*
Je me suis accroupi à sa hauteur.
*Personne ne tenlèvera. On est une famille, tu comprends ?*
*Et maman ?*
*Elle fait aussi partie de la famille. Mais elle vit ailleurs.*
*Comme tonton Pierre ?*
*Un peu, oui.*
—
Le soir, Amélie est revenue. Lucas sest jeté vers elle, mais elle la écarté.
*Parle, Marc. Ta décision ?*
*Il reste avec moi.*
*Pense à lui ! Jai un meilleur salaire, un appartement spacieux*
*Et plus damour ?*
*Bien sûr que je laime !*
*Alors pourquoi trois ans dabsence ?*
Ses yeux se sont embués.
*Je Je ne sais pas. Jai peur de ne pas y arriver. Quil ne maime pas.*
*Maman, je taime déjà*, a murmuré Lucas. *Mais je veux rester avec papa.*
Elle la étreint, les larmes aux joues.
*Daccord. Mais je peux venir plus souvent ?*
*Quand tu veux*, ai-je soupiré.
—
Un mois plus tard, au parc, jai rencontré Claire et sa fille Élodie. Divorcée, comme moi. Lucas et elle ont joué aux échecs sous les marronniers.
En rentrant, il a chuchoté :
*Claire est gentille. Et Élodie aussi.*
*Oui.*
*On peut les revoir ?*
*Bien sûr.*
Et jai souri. Théo avait raison : la vie continuait. Pourvu que Lucas soit heureux. À voir son rire en parlant dÉlodie, ça commençait bien.







