Tu peux retourner dans ton village» – m’a dit mon mari quand j’ai perdu mon emploi

« Tu peux retourner dans ton village, si tu veux », lança son mari, les yeux froids, quand elle perdit son emploi.

« Élodie, tu ne dis rien ? La soupe refroidit. » Julien tapota le bord de son assiette avec sa cuillère, le regard dur.

Élodie releva lentement la tête, posa son téléphone. Elle avait passé la journée à appeler des connaissances, cherchant désespérément un travail. Partout la même réponse : pas de poste, crise économique, licenciements.

« Désolée, jétais dans mes pensées. » Elle prit sa cuillère, goûta la soupe au pistou. Elle lavait préparée spécialement pour Julien, avec des haricots blancs, comme il aimait. Maintenant, chaque cuillerée lui semblait vide de sens.

« À quoi tu penses, alors ? » Julien soufflait sur sa soupe brûlante, la fixant par intermittence. « Toujours le boulot ? »

« Et à quoi dautre ? » Elle poussa son assiette. « Sophie dit quils licencient dans son service. Et Amandine, de la compta, est sans emploi depuis trois mois. »

« Arrête un peu ! » Julien fit un geste agacé. « Tu trouveras bien quelque chose. Tas le temps. »

« Julien, jai quarante-trois ans. Qui voudra de moi à cet âge ? Ils recrutent des jeunes, diplômés, avec de lexpérience en informatique. Moi, je sais faire quoi ? Jai travaillé toute ma vie en épicerie, derrière un comptoir. »

« Et alors ? Cétait un travail honnête. » Il termina son assiette, attrapa du pain. « Dailleurs, il est rassis. Tu las acheté quand ? »

Élodie garda le silence. Le pain datait davant-hier. Elle économisait sur tout depuis son licenciement. Le salaire de Julien, sur les chantiers, était maigre, et souvent en retard.

« Tu pourrais aller chez ta sœur, non ? » proposa-t-il soudain. « Passer une semaine ou deux, changer dair. Ici, je me débrouillerai. »

Clémence, sa cadette, vivait à Paris, cadre dans une grande entreprise. Elles ne se parlaient quaux fêtes.

« Pourquoi jirais ? Elle a sa vie, sa famille. Et je nai pas largent pour le train. »

« On trouvera. » Julien se leva, sapprocha de la fenêtre. « Écoute, et si tu allais chez ta mère ? Dans le village. Au moins, tu aurais des légumes du potager, du lait frais. »

Élodie serra sa cuillère. Sa mère vivait à Saint-Julien-le-Montagnier, à cent kilomètres de Marseille. La dernière fois quelle y était allée, cétait pour lenterrement de son oncle. Le village se vidait, ne gardant que les vieux.

« Tu es sérieux ? Retourner là-bas ? » Elle le dévisagea, incrédule. « Et toi ? »

« Moi, je dois travailler. Je peux pas tout plaquer pour te suivre. Je suis le seul à ramener de largent. »

« Pour linstant. »

« Quest-ce que tu cherches ? » Julien se retourna brusquement. « Je te propose pas ça pour toujours. Reste un mois ou deux, le temps que ça se tasse ici. Plutôt que de tourner en rond. »

« Tourner en rond ? » Élodie se leva, commença à débarrasser. « Qui nettoie la maison ? Qui fait la lessive, la cuisine ? Qui a fait la queue à lhôpital pour toi quand tu avais mal au dos ? »

« Ça, cest normal. » Il haussa les épaules. « Cest pas ce que je voulais dire. Juste » Il hésita, se gratta la nuque. « Si tu veux, tu peux retourner au village. Ce sera plus simple. Sans ces tracas demploi. »

Les mots la frappèrent comme une gifle. *Retourner au village.* Comme si Marseille navait pas été son foyer pendant vingt ans. Comme si elle y était une étrangère.

« Mon village ? » répéta-t-elle lentement. « Et cette maison, elle nest pas à moi ? Jy ai vécu vingt ans en invitée ? »

« Mais quest-ce que tu racontes ? » Julien parut surpris par son ton. « Ce nest pas ce que je voulais dire. »

« Tu as eu honte, cest ça ? Une femme sans emploi, qui ne rapporte rien. Mieux vaut lenvoyer loin, pour ne plus la voir. »

« Arrête tes conneries ! » Il alluma la télé. « Jsuis crevé, et toi tu fais des scènes. »

Elle fit la vaisselle en silence. Les mots de Julien tournaient dans sa tête. *Tu peux retourner dans ton village.* Et ce ton indifférent, presque soulagé.

Le soir, Julien sendormit devant la télé. Élodie resta éveillée longtemps. Elle repensait à leur rencontre. À vingt-trois ans, elle venait darriver en ville, partageait un studio, travaillait comme vendeuse. Julien était manutentionnaire, beau, attentif. Il lavait courtisée six mois, offrant des fleurs, lemmenant au cinéma. Après le mariage, ils avaient acheté un appartement. Elle était devenue responsable de rayon.

Et maintenant ? Il lui proposait de partir, comme une chose encombrante.

« Maman, tu appelles à cette heure ? » La voix endormie de sa fille, Chloé, résonna au téléphone.

« Désolée, je nai pas fait attention. Tout va bien ? »

« Oui. Mais pourquoi tu mappelles ? Tas une drôle de voix. »

Chloé vivait à Lyon, mariée, employée de banque. Elles sappelaient une fois par semaine.

« Rien. Je pensais à toi. Comment va Mathieu ? »

« Bien. Maman, tu es sûre que tout va bien ? »

Élodie voulut parler du travail, des mots de Julien. Elle se retint.

« Tout va bien, ma chérie. Dors. »

Le lendemain, Julien fut dune tendresse inhabituelle. Il lui apporta un café au lit, lembrassa.

« Désolé si jai dit des bêtises hier. Je veux ton bien. »

« Je sais. » Elle sourit sans chaleur.

« Jai parlé aux gars du chantier. Thomas dit que sa femme cherche une comptable. Ça te dirait ? »

« Je ne suis pas comptable. »

« Tu pourrais apprendre. Suivre une formation. »

« Les formations coûtent cher. »

« On trouvera. »

Mais chaque offre demploi la renvoyait à son âge. *Vendeuse, moins de trente ans. Manager, expérience en logiciels.*

« Marion, salut. » Elle appela une ancienne collègue. « Des nouvelles ? »

« Élodie ! Je pensais que tu mavais oubliée. Tas trouvé quelque chose ? »

« Non. Et chez vous ? »

« Ça va mal. Deux licenciements la semaine dernière. Le magasin va fermer. »

Elle raccrocha, regarda par la fenêtre. Des enfants jouaient, des mères discutaient. La vie continuait, sans elle.

« Je vais aller chez maman », annonça-t-elle à Julien le soir.

« Pour longtemps ? » Il ne leva pas les yeux.

« Je ne sais pas. Une semaine. Peut-être plus. »

« Daccord. Repose-toi. Je finirai les rangements. »

« Les rangements ? » Elle sourit amer. « Tu dis ça depuis six mois. »

« Jaurai le temps. Sans toi, ce sera plus rapide. Sans tes conseils. »

*Sans tes conseils.* Une autre phrase qui blessa.

Elle fit vite sa valise. Julien laccompagna à larrêt de bus.

« Appelle-moi », dit-il.

Le trajet dura deux heures. Plus la ville séloignait, plus elle se sentait apaisée.

« Ma petite ! » Sa mère laccueillit sur le pas de la porte. « Pourquoi tu nas pas prévenu ? Jaurais fait la soupe ! »

« Je lai décidé au dernier moment. »

Suzanne, sa mère, devina.

« Où est Julien ? »

« Il travaille. Il viendra plus tard. »

La maison était comme dans ses souvenirs. Les vieux carrelages, lodeur de lavande et de bois brûlé.

« Tu sais où sont les affaires », dit Suzanne. « Installe-toi. Je vais préparer le poulet. »

« Maman, pas la peine. »

« Mais tu as maigri ! Il ne te nourrit pas ? »

« Si. Je suis juste fatiguée. »

Suzanne caressa ses cheveux.

« Repose-toi. On parlera plus tard. »

Les premiers jours, elle se reposa. Elle aida aux tâches, rendit visite aux voisins. Le village se mourait.

« Tu te souviens de Jeanne ? » demanda sa mère un soir. « Tu allais à lécole avec elle. »

« Bien sûr. Quest-ce quelle devient ? »

« Elle est partie chez son fils à Toulouse. Il la mise en maison de retraite. Sa propre mère ! »

Élodie frissonna.

Le soir, elle croisa madame Lefèvre, son institutrice.

« Ma petite Élodie ! Tu as grandi. Tu te souviens quand tu récitais *Le Dormeur du val* ? »

« Je men souviens, madame Lefèvre. »

« Mes enfants sont à Paris. Ils viennent une fois par an. »

Élodie rentra, pensive. Ces femmes avaient tout donné. Leurs enfants étaient partis.

« Maman, tu nas jamais pensé à venir en ville ? »

« Et déranger ? Non. Je me débrouille. »

« Et si tu tombes malade ? »

« On verra. »

Les mots de Julien lui revinrent. *Tu peux retourner dans ton village.* Elle comprit quelle avait peur. Peur dentendre un jour la même chose.

Julien appela au quatrième jour.

« Quand est-ce que tu rentres ? »

« Je ne sais pas. »

« Mais et la maison ? Et moi ? »

« Tu ten es bien passé jusque-là. »

« Élodie, je me suis excuseé ! »

« Jai besoin de réfléchir. »

Il dormit chez sa belle-mère, reparti le lendemain, blessé.

« Ma fille », dit Suzanne après son départ. « Tu es sûre ? Peut-être quil a compris ? »

« Peut-être. Mais je ne suis pas prête. Jai besoin de savoir qui je suis sans lui. »

« Et tu chercheras du travail ici ? »

« Oui. Lécole cherche une femme de ménage. Et lété, il y a le potager. »

Suzanne la serra contre elle. Pour la première fois depuis longtemps, Élodie se sentit chez elle. Vraiment chez elle.

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