**Journal dun homme Une histoire damour inattendue**
« Allez, ma fille, il est temps que tu te maries. Regarde-toi, tu es en pleine fleur de lâge. Tiens, prends Séraphin, par exemple. Un homme costaud, des mains comme des masses. Il plie des fers à cheval sans sourciller. Il te portera dans ses bras comme une reine, » disait ma mère en observant ma fille, Élodie.
Elle éclata de rire : « Bien sûr ! Il me prendra dans ses bras et me pliera par habitude, comme un fer à cheval. Je passerai ma vie à traîner le nez par terre ! »
« Pfou, idiote. Je parle sérieusement, et toi, tu rigoles. Tu devrais écouter ta mère si tu veux ton bonheur. Je sais bien pour qui tu soupires. Mais crois-moi, ce petit Aurélien ne fera pas un bon mari, » soupira-t-elle.
Élodie se retourna brusquement : « Quest-ce quil a, Aurélien ? Il est travailleur. Leur maison est la mieux entretenue du village. Tout est en ordre. Et ce sera pareil pour nous ! »
Cette fois, ce fut ma mère qui rit : « Et qui fait tout ça, tu le sais ? Son frère aîné, Grégoire. Lui, il a lart dans les mains. Tandis que ton Aurélien ne pense quà son accordéon et à la meule de foin la plus proche. Il y traîne toutes les naïves du coin pour les embrasser à tour de rôle. »
« Maman, tu parles, mais tu divagues. Grégoire est handicapé. La tête toujours penchée, le dos voûté, une jambe plus courte que lautre. Et tu crois quil fait tout ça ? » demanda Élodie.
« Va chez eux en plein jour, comme si tu aidais tante Lucie à cueillir des pommes. Tu verras par toi-même, » conseilla ma mère.
Élodie obéit et partit. En arrivant, elle trouva Aurélien endormi sous lauvent. Elle le poussa du coude : « Tu mas raccompagnée tôt hier, en disant que tu réparerais le toit avec ton père ce matin ? »
Il bâilla : « Tes venue me surveiller ? Je ne tai jamais demandée en mariage, hein. Cest trop tôt pour moi. »
« Trop tôt, daccord. Je suis juste venue aider ta mère avec les pommes. Rejoins-nous, il y en a des tonnes, » proposa Élodie.
Aurélien grogna : « Non merci. Pour quon se moque de moi ? «Regardez, Aurélien fait des tâches de femme !» Va plutôt aider maman, » et il se retourna.
Élodie, blessée, prit un panier et alla voir tante Lucie. Tandis quelle ramassait les pommes, elle entendit des coups de marteau derrière la maison. Curieuse, elle demanda : « Quest-ce quon construit ? Tout me semblait en ordre. »
Tante Lucie soupira : « Ce nest pas Pierre, cest Grégoire. Mon mari est alité, il sest fait mal au dos en soulevant une barre de fer. Grégoire, lui, ne peut pas rester sans rien faire. Pas comme Aurélien, qui ne pense quà samuser. Mais nous fermons les yeux. Grégoire ne se mariera jamais. Qui voudrait de lui ? Alors quAurélien nous donnera des petits-enfants. »
Intriguée, Élodie suivit le bruit. Grégoire, assis sur un banc, sculptait un morceau de bois. Timidement, elle dit : « Bonjour. Tu peux me montrer ? » Il sursauta mais ne senfuit pas. Il lui tendit le bois. Elle y reconnut ses propres traits.
« Cest moi ? » sétonna-t-elle. Il hocha la tête, puis la prit par la main et lentraîna derrière le potager. Effrayée, elle se retrouva dans une petite remise. Là, elle vit des sculptures delle en argile, en bois, même un dessin sur papier.
« Pourquoi ? » murmura-t-elle.
Dune voix rauque, il répondit : « Parce que tu es belle, et moi pas. » Il détourna le regard. Ses épaules tremblaient. Elle tenta de le réconforter.
« Mais pourquoi ? Je ne savais pas Tu es amoureux de moi ? » Il tourna difficilement la tête, et elle vit ses yeux bleus comme un lac dété, remplis dun amour si intense quelle senfuit, effrayée.
Plus tard, Grégoire pleurait devant sa mère : « Pourquoi mas-tu fait naître ainsi ? Aurélien, lui, est aimé. Moi, on me fuit comme un pestiféré. Elle a eu peur Je ne supporte pas quelle épouse Aurélien. »
Sa mère le serra contre elle : « Mon fils, comment pourrais-je te faire du mal ? Élodie est une bonne fille. Celui qui lépousera sera heureux. Et ne tinquiète pas pour Aurélien, il ne laime pas. Je le sens. Un jour, tu trouveras lamour. »
Pendant ce temps, Élodie ne pouvait oublier le regard de Grégoire. Jamais elle navait vu autant damour. Et, étrangement, son cœur répondait. Elle ne voyait même plus son handicap.
Quand Aurélien la taquina plus tard : « Tu es venue pour moi ou pour maman ? » Elle répondit : « Pour Grégoire. Je veux mexcuser. Va plutôt aider ta mère. Oh, non, tu dois déjà avoir un rendez-vous sous le tilleul avec Véronique. »
Personne ne crut que la belle Élodie épouserait Grégoire. On chuchota, on la plaignit, certains parlèrent même de sortilège.
Mais ils saimaient. Ils se marièrent discrètement, sans faste. Ils sinstallèrent en lisière du village, où Grégoire bâtit une maison magnifique. Ils eurent trois enfants, comblant leurs parents de joie.
Quant à Aurélien, il continua à courir les filles, même les mariées, se faisant parfois rosser.
Aujourdhui, certains disent encore : « Le bon Dieu a donné à cette beauté un mari infirme. » Mais Élodie rit : « Dans trente ans, je serai toute ridée, le dos courbé, pleine de rhumatismes. Lui, il nest comme ça quen apparence. Dans son cœur, cest lhomme le plus tendre et le plus beau. »
**Leçon :** Lamour ne se mesure pas aux apparences. Parfois, cest dans les cœurs les plus meurtris que brille la plus pure lumière.







