Jamais il n’aurait imaginé finir ses jours en EHPAD : C’est à l’heure du crépuscule que l’on reconnaît la qualité de l’éducation donnée à ses enfants.

Ah, écoute ça, mon pote… Jamais il naurait cru finir comme ça, tu vois ? Cest quand le soleil se couche quon comprend si on a bien fait les choses avec ses mômes.

Pierre Dubois, trois enfants à son actif, se retrouvait là, dans cette maison de retraite perdue du côté de Chartres. Il fixait la fenêtre, incrédule. Dehors, la pluie fine normande glissait sur les pavés, et dans son cœur, cétait le désert. Lui qui avait tout eu : une belle baraque en ville, une femme, Amélie, trois gosses adorables, des fous rires à nen plus finir. Ingénieur toute sa vie, bagnole, appart spacieux et surtout, une famille qui le rendait fier. Maintenant, tout ça lui semblait aussi lointain quun vieux film en noir et blanc.

Pierre et Amélie avaient élevé Gabriel, laîné, et deux filles, Margaux et Anaïs. Leur maison était toujours pleine à craquer, les copains, les voisins, toute la smala. Ils avaient tout donné à leurs gamins : amour, éducation, valeurs. Mais voilà dix ans quAmélie était partie, et depuis, Pierre traînait cette plaie ouverte. Il sétait dit que ses enfants seraient son rocher. Grave erreur.

Les années passant, Gabriel avait filé bosser au Portugal. Là-bas, marié, deux mioches, une carrière de dingue en architecture. Une lettre par an, une visite vite fait, et depuis quelque temps, plus un signe. « Le boulot, papa, tu sais comment cest » Pierre hochait la tête, serrant les dents.

Les filles ? Pas loin, à Chartres, mais noyées dans leurs vies. Margaux avec son mari et ses gosses, Anaïs accro à son taf. Un coup de fil par-ci, une visite éclair par-là. « Désolée, papa, on est débordées. » Ce soir-là, Pierre regardait les gens rentrer avec leurs paquets. 23 décembre. Demain, Noël et son anniversaire. Le premier seul. Pas un mot, pas un geste. « Je suis devenu transparent », souffla-t-il en fermant les yeux.

Il revoyait Amélie décorant le sapin, les cris des gamins déballant leurs cadeaux. Leur vie, autrefois bourdonnante, maintenant muette. Pierre se demandait : « Où est-ce que jai merdé ? On a tout fait pour eux, et maintenant je suis là, comme un vieux meuble. »

Le lendemain matin, la maison sanimait. Familles, rires, chocolats chauds Pierre, dans sa chambre, tripotait une photo jaunie. Quoi ? On frappait ? « Entrez ! » bafouilla-t-il.

« Joyeux Noël, papa ! Et bon anniv ! »

Gabriel. Grand, quelques cheveux blancs, mais ce même sourire de gamin. Il la serré si fort que Pierre a cru rêver. Les larmes coulaient, les mots se coinçaient.

« Gabriel Cest bien toi ? » murmura Pierre, la voix tremblante.

« Bien sûr, papa ! Jai débarqué hier, je voulais te surprendre. » Gabriel le secouait gentiment. « Pourquoi tu mas rien dit que tes sœurs tavaient mis ici ? Je tenvoyais des sous tous les mois, une blinde ! Elles ont rien dit. Je savais pas ! »

Pierre baissait les yeux. Pas envie de faire des vagues. Mais Gabriel, lui, ne lâchait rien.

« Allez, pris tes affaires. Ce soir, on prend le TGV. Je temmène. On reste chez les parents de ma femme dabord, ensuite on sinstalle. Tu viens avec moi, au Portugal. On sera ensemble ! »

« Quoi ? Le Portugal ? Mais je suis trop vieux pour ça »

« Arrête avec ça ! Ma Sofia, elle est top, elle tattend. Et notre gamin, Tiago, il veut connaître son papi ! » Gabriel parlait avec une telle conviction que Pierre a commencé à y croire.

« Mon fils Cest trop beau pour être vrai » Il essuyait ses larmes du revers de la main.

« Finis les conneries, papa. Tas mérité mieux. Allez, on rentre à la maison. »

Dans le couloir, les résidents chuchotaient : « Ce Dubois, il a de la chance davoir un fils comme ça ! » Gabriel a aidé son père à plier ses quatre chemises, et le soir même, ils partaient. Là-bas, sous le soleil portugais, Pierre a recommencé à vivre. Entre rires et tendresse, il sest senti utile à nouveau.

On dit toujours que cest à la fin quon sait si on a bien élevé ses enfants. Pierre a compris que son fils était exactement lhomme quil espérait. Et ça, cétait le plus beau cadeau du monde.

Оцените статью
Jamais il n’aurait imaginé finir ses jours en EHPAD : C’est à l’heure du crépuscule que l’on reconnaît la qualité de l’éducation donnée à ses enfants.
Oh là là, mon fils est de retour — s’est réjouie Évodia.