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Un appartement pour notre fils, mais à une condition : je dois me remarier avec lui
Je mappelle Élodie, jai soixante ans et je vis à Bordeaux. Jamais je naurais cru que, après tout ce que jai enduré, le passé reviendrait avec une telle arrogance, vingt ans plus tard. Et le pire, cest que mon propre fils en est à lorigine.
À vingt-cinq ans, jétais éperdument amoureuse. Laurent grand, charmeur, toujours de bonne humeur semblait sorti dun rêve. Nous nous sommes mariés rapidement, et un an plus tard, notre fils Thomas est né. Ces premières années ressemblaient à un conte de fée. Nous vivions dans un petit appartement, plein despoir et de projets. Jétais professeure des écoles, lui ingénieur. Rien ne laissait présager la fin de notre bonheur.
Pourtant, Laurent a changé. Il rentrait tard, mentait, séloignait. Je refusais de croire les rumeurs, dadmettre ces retours nocturnes et ces parfums inconnus. Mais un jour, lévidence sest imposée : il me trompait. Et pas seulement une fois. Amis, voisins, même ma famille tous étaient au courant. Moi, je maccrochais, pour Thomas. Jai supporté trop longtemps, espérant quil reviendrait à la raison. Mais une nuit, en réalisant quil nétait toujours pas rentré, jai su que cétait fini.
Jai pris quelques affaires, saisi la main de Thomas, alors âgé de cinq ans, et suis partie chez ma mère. Laurent na même pas tenté de nous retenir. Un mois plus tard, il a quitté la France soi-disant pour le travail. Il a vite refait sa vie, comme si nous navions jamais existé. Pas un mot, pas un appel. Rien. Je suis restée seule. Ma mère est décédée, puis mon père. Thomas et moi avons tout surmonté ensemble : lécole, les loisirs, les maladies, les joies, les diplômes. Jai travaillé sans relâche pour quil ne manque de rien. Ma vie personnelle ? Inexistante. Il était tout pour moi.
Quand Thomas a intégré luniversité de Toulouse, je lai soutenu comme jai pu colis, argent, conseils. Mais lui offrir un appartement était impossible, financièrement. Il ne sen est jamais plaint. Il disait quil se débrouillerait. Jétais si fière.
Le mois dernier, il est venu me voir avec une nouvelle : il allait se marier. Ma joie a été brève. Il était tendu, évitait mon regard. Puis il a lâché :
Maman jai besoin de toi. Cest à propos de papa.
Jai été glacée. Il ma expliqué avoir repris contact avec Laurent. Que son père était revenu en France et lui offrait un deux-pièces, hérité de sa grand-mère. Mais à une condition : je devais lépouser à nouveau et le laisser emménager chez moi.
Jai eu le souffle coupé. Je fixais mon fils, incrédule. Il a poursuivi :
Tu es seule Tu nas personne. Pourquoi ne pas réessayer ? Pour moi. Pour mon avenir. Papa a changé
Je me suis réfugiée dans la cuisine. La bouilloire, le thé, mes mains qui tremblaient. Tout était flou. Vingt ans à tout porter seule. Vingt ans sans quil ne donne signe de vie. Et maintenant, cette «proposition».
Je suis revenue au salon et jai dit calmement :
Non. Je refuse.
Thomas sest emporté. Il a crié, ma accusée. Jétais égoïste, responsable de son absence de père, et maintenant je gâchais encore sa vie. Je nai rien répondu. Chaque mot me transperçait. Il ignorait ces nuits sans sommeil. Comment javais vendu mes bijoux pour lui acheter un manteau. Comment je me privais pour quil mange à sa faim.
Je ne me sens pas seule. Ma vie a été rude, mais droite. Jai mon travail, mes livres, mon jardin, mes amies. Je nai pas besoin dun homme qui ma trahie et revient par intérêt.
Mon fils est parti sans un mot. Il ne ma plus appelée. Je sais quil souffre. Je le comprends. Il veut ce quil y a de mieux comme je le voulais pour lui. Mais je ne vendrai pas ma dignité pour quelques mètres carrés. Le prix en est trop lourd.
Peut-être comprendra-t-il un jour. Peut-être pas encore. Mais je lattendrai. Parce que je laime. Dun amour vrai sans contrepartie, sans appartement ni conditions. Je lai mis au monde par amour. Je lai élevé par amour. Et je ne laisserai pas cet amour devenir une transaction.
Quant à mon ex-mari quil reste où il appartient : dans le passé.







