En vérité, je ne comptais pas me marier. Sans les assiduités de mon futur époux, je serais restée un oiseau libre. Thibault, tel un papillon fou, voltigeait autour de moi, ne me lâchait pas des yeux, cherchait à me plaire en tout, époussetait jusquaux poussières Bref, jai cédé. Nous nous sommes mariés.
Thibault devint rapidement un homme de foyer, proche et familier. Avec lui, tout était doux et simple. Comme des pantoufles bien chaudes.
Un an plus tard, naquit notre fils Gaspard. Thibault travaillait dans une autre ville. Il ne rentrait quune fois par semaine, rapportant toujours de délicieuses gourmandises pour Gaspard et moi. Un soir, comme à mon habitude, je préparai son linge sale. Je fouillai chaque poche une habitude prise après avoir une fois lavé son permis de conduire.
Cette fois, un bout de papier plié en quatre glissa dun pantalon. Je dépliai la feuille : une longue liste de fournitures scolaires (nous étions en août). À la fin, tracé dune écriture enfantine : « Papa, reviens vite. »
Ah ! Voilà donc comment mon mari samusait en mon absence ! Un bigame !
Point de cris ni de scènes. Je pris mon sac, la main de Gaspard (il navait pas trois ans), et partis chez ma mère. Pour longtemps. Elle nous offrit une petite chambre :
Restez ici jusquà ce que vous vous réconciliiez.
Lidée de me venger germa. Je me souvins de Romain, un camarade de classe qui ne mavait jamais laissée tranquille, ni à lécole, ni après. Je lappelai.
Salut, Romain ! Tu nes toujours pas marié ? commençai-je, détournant le sujet.
Élodie ? Quelle surprise ! Marié, divorcé On se voit ? senflamma-t-il.
Cette aventure dura six mois. Thibault, chaque mois, apportait la pension à Gaspard. Il la remettait à ma mère en silence et repartait.
Je savais quil vivait avec Catherine Lefèvre. Elle avait une fille dun premier mariage, qui appelait Thibault « papa ». Ils habitaient son appartement. Dès quelle apprit mon départ, Catherine sy installa avec sa fille. Elle ladorait : tricotait ses chaussettes, ses pulls, lui cuisinait des plats réconfortants. Je lappris plus tard. Je lui en voudrais toute ma vie. À lépoque, je croyais notre mariage mort, réduit en cendres.
Pourtant, lors dun café (nous discutions du divorce), de doux souvenirs nous submergèrent. Thibault avoua son amour, se repentit. Il ne savait comment se débarrasser de Catherine.
Mon cœur fondit. Nous nous réconciliâmes. Il ne sut jamais pour Romain. Catherine quitta la ville pour de bon.
Sept années heureuses passèrent. Puis Thibault eut un accident de voiture. Opérations, rééducation, canne. Deux ans de convalescence. Lépreuve lépuisa. Il se mit à boire, perdit toute dignité, senferma en lui-même. Mes supplications ne servirent à rien.
Au travail, je trouvai un confident, Paul. Il mécoutait à la pause, me consolait. Marié, père bientôt de deux enfants, je ne compris jamais comment nous finîmes au lit. Une folie ! Il était plus petit que moi, pas du tout mon genre
Pourtant, il memmena au théâtre, aux concerts. Quand sa femme accoucha, il cessa nos sorties, changea de travail. Peut-être pour méviter ? Je ne lui en voulus pas. Il ne fut quun baume à ma peine.
Thibault, lui, sombrait. Ses amis le ramenaient ivre mort. Je le cherchais dans les rues, le trouvais endormi sur un banc, les poches vides.
Un printemps, morose, jattendais le bus. Des oiseaux chantaient, le soleil brillait, mais mon cœur était sourd à cette joie. Une voix murmura :
Puis-je soulager votre peine ?
Je me retournai. Mon Dieu, quel bel homme, élégant, parfumé ! Moi, à quarante-cinq ans, redevenir séduisante ? Je rougis comme une jeune fille. Le bus arriva, je montai précipitamment. Lhomme me fit un signe de la main.
Toute la journée, je ne pensai quà lui. Je résistai deux semaines, par principe
Mais Yves (ainsi se nommait-il) perça ma défense comme un char. Il mattendait chaque matin à larrêt. Je guettais sa silhouette de loin. Dès quil mapercevait, il menvoyait des baisers.
Un jour, il moffrit des tulipes rouges.
Où vais-je les mettre au bureau ? Tout le monde saura !
Il sourit :
Je nai pas songé aux conséquences.
Et les offrit à une vieille dame qui nous observait. Celle-ci rayonnait :
Merci, mon beau ! Puisses-tu trouver une amoureuse passionnée !
Je rougis encore.
Yves reprit :
Soyons coupables ensemble, Élodie. Vous ne le regretterez pas.
Loffre était tentante. Thibault, ivre, ne bougeait plus de notre lit.
Yves, non-fumeur, sobre, ancien sportif (cinquante-sept ans), était un causeur exquis. Divorcé. Il avait un charme irrésistible.
Je plongeai dans cette passion. Trois ans de tourmente entre lui et la maison. Mon âme sembruma. Je ne pouvais ni marrêter, ni menfuir.
Mon fils nous surprit au restaurant avec sa petite amie. Je présentai Yves. Ils échangèrent une poignée de main. Le soir, Gaspard me regarda, silencieux. Je plaisantai :
Un collègue, pour un projet.
Bien sûr au restaurant, dit-il, compréhensif.
Il me supplia de ne pas divorcer.
Je me sentais une brebis égarée. Une amie divorcée mexhorta :
Laisse tomber ces amants, calme-toi.
Je lécoutai. Mais ce fut Yves, levant la main sur moi, qui brisa le charme.
La mer est calme tant quon reste sur le rivage
La vérité maveugla. Trois ans de folie ! Enfin libre.
Yves tenta de me reconquérir. En vain. Mon amie moffrit une tasse : « Tu as bien fait. »
Thibault savait tout. Yves lavait appelé, sûr que je le quitterais.
En lécoutant, jai voulu mourir, avoua Thibault. Cest ma faute. Jai tout gâché.
Dix ans ont passé. Nous avons deux petites-filles. Un jour, attablés, Thibault me prit la main :
Élodie, ne regarde plus ailleurs. Je suis ton bonheur. Tu me crois ?
Bien sûr, mon unique.







