Je suis la fille dun agriculteur et certains pensent que cela me rend inférieure. Jai grandi dans une ferme de pommes de terre à une dizaine de kilomètres de la ville, où les matins commencent avant laube et où « vacances » signifie la foire régionale. Mes parents ont la terre sous les ongles et plus de ténacité que quiconque je connais. Je croyais que cela suffisait pour mériter le respect des gens.
Puis, jai intégré ce prestigieux programme de bourse dans un lycée privé en ville. Cétait censé être mon grand tournant. Mais le premier jour, je suis entrée en classe avec un jean qui sentait encore un peu létable, et une fille avec une queue-de-cheval impeccable a chuchoté : « Beurk. Tu vis dans une ferme ou quoi ? » Je nai même pas répondu. Je me suis assise et jai baissé la tête. Je me disais que jimaginais tout. Mais les remarques ont continué : « Cest quoi ces chaussures ? » « Attends, vous navez pas le Wi-Fi chez toi ? » Un garçon ma demandé si je venais à lécole en tracteur.
Je suis restée silencieuse, jai travaillé dur et je nai jamais parlé de chez moi. Mais au fond de moi, je détestais avoir honte. Parce quà la maison, je ne suis pas « la fille du paysan ». Je suis Aurélie. Je sais réparer un pneu, moccuper des poules et vendre des produits comme personne. Mes parents ont bâti quelque chose de tangible de leurs propres mains. Pourquoi avais-je limpression de devoir le cacher ?
Le déclic est venu lors dune vente organisée par lécole. Chacun devait apporter quelque chose à vendre. La plupart des élèves sont arrivés avec des biscuits achetés en supermarché ou des bricolages aidés par leurs nounous. Moi, jai apporté ma tarte aux pommes de terre, la recette familiale. Jen ai préparé six, et elles se sont toutes vendues en vingt minutes.
Cest là que Mme Lefèvre, la conseillère pédagogique, ma prise à part et ma dit quelque chose que je noublierai jamais. Mais avant quelle ne finisse sa phrase, quelquun que je naurais jamais cru madresser la parole est arrivé Cétait Théo. Le garçon que tout le monde admirait. Pas parce quil était bruyant ou flamboyant : il avait une assurance tranquille. Son père siégeait au conseil dadministration, ses chaussures étaient toujours impeccables, et il se souvenait vraiment des prénoms des gens. Même du mien.
« Hé, Aurélie, » a-t-il dit en regardant les assiettes vides. « Cest vraiment toi qui as fait ça ? »
Jai hoché la tête, incertaine de ses intentions.
Il a souri. « Je peux en prendre une pour ma mère ? Elle adore tout ce qui est fait avec des pommes de terre. »
Je crois que jai cligné des yeux deux fois avant de réussir à dire : « Euh, oui, bien sûr. Je tapporte ça lundi. »
Mme Lefèvre ma lancé un sourire complice, comme pour dire : « Je te lavais dit », et a ajouté : « Je disais juste : cette tarte ? Cest un morceau de toi. Tu devrais en être fière. »
Cette nuit-là, je suis restée éveillée à réfléchir. Pas à Théo, mais à toutes les fois où javais caché mes racines, croyant quelles me diminuaient. Et si, au contraire, elles me rendaient plus forte ?
Alors lundi, je nai pas juste apporté une tarte. Jai imprimé des flyers. Jai inventé un nom « Les Racines dAurélie » et distribué des cartes avec écrit : « Tartes fermières, fraîches chaque vendredi. Demandez les saveurs de saison. » Je pensais que peut-être quelques camarades seraient curieux.
À la fin du déjeuner, javais déjà douze commandes et un message dune certaine Chloé qui me demandait si je pouvais préparer des desserts pour lanniversaire de sa grand-mère.
Ensuite, ce fut la folie. Les professeurs me commandaient des mini-tartes pour leurs réunions. Une fille ma même proposé déchanger une veste de marque contre trois tartes. (Jai dit non. Avec respect. Elle était moche.)
Mais ce qui ma vraiment frappée, cest le message de Théo avec une photo de sa mère en train de prendre une bouchée, les yeux écarquillés. La légende disait : « Elle dit que cest meilleur que la tarte de sa sœur et pour elle, cest un sacré compliment. »
Jai ri à haute voix. Mon père a levé les yeux et a demandé : « Cest une bonne ou une mauvaise chose ? »
« Très bonne, » ai-je répondu. « Je crois quon se développe. »
On a commencé à cuisiner ensemble chaque jeudi, après les devoirs. Parfois juste des tartes, dautres fois des biscuits ou du pain. Jai appris plus de recettes familiales pendant cette période que jamais auparavant. Et jai commencé à raconter ces histoires dans mes exposés et mes dissertations, parlant de la terre, de mes grands-parents, des années de sécheresse difficiles.
Lentement, les gens ont commencé à écouter.
La fille à la queue-de-cheval parfaite ? Elle ma demandé la recette. Je lui ai donné une version simplifiée sans les astuces du four à bois mais ça ma fait du bien.
En terminale, quand il a fallu réaliser un projet final sur ce qui a façonné notre identité, jai tourné un documentaire sur notre ferme. Jai filmé ma mère en train de laver des carottes dans un seau, mon père donnant les croûtes de pain aux chiens. Jai conclu avec moi à la foire locale, derrière mon stand de tartes sous une enseigne peinte à la main.
Quand ils lont projeté devant toute lécole, jétais terrifiée. Jai fixé le sol tout du long. Mais à la fin, les applaudissements ont éclaté. Forts. Certains se sont même levés.
Après, Théo est venu vers moi et ma serrée dans une étreinte rapide. « Je tavais dit que ton histoire comptait. »
Jai souri. « Il ma fallu du temps pour le croire. »
La vérité, cest que je pensais que les gens ne me respecteraient pas sils savaient doù je venais. Maintenant, je sais quon apprend aux autres comment nous voir. Quand tu tappropries ton histoire, elle devient ta force pas ta honte.
Alors oui je suis la fille dun agriculteur. Et ça ne me rend pas moins.
Ça menracine.
Si cette histoire ta fait sourire ou ta rappelé dêtre fier de tes origines, mets un et partage-la avec ceux qui en ont besoin.







