**Journal intime : Le Mariage de mes Rêves**
Dès que jai poussé la porte du restaurant, quelque chose ma semblé étrange. Lendroit était trop vide pour un vendredi soir, les lumières tamisées à lexcès, et le maître dhôtel souriait dune manière presque forcée. Louis, lui, paraissait calmeseules ses doigts entrelacés aux miens tremblaient légèrement.
« Votre table, » murmura le maître dhôtel en reculant une chaise, et je me suis figée devant une petite salle privée. Des centaines de bougies scintillaient dans la pénombre, projetant des ombres dansantes sur la nappe immaculée. Au centre trônait un vase de roses bordeauxmes préférées. Une mélodie douce flottait dans lair.
« Louis, » ai-je murmuré, « quest-ce qui se passe ? » Sans répondre, il sest mis à genoux. Une bague étincelait entre ses doigts tremblants. « Juliette Lefèvre, » a-t-il déclaré dune voix grave, « jai longtemps réfléchi à la manière de rendre ce moment inoubliable. Mais jai compris quune seule chose comptait Veux-tu mépouser ? »
Jai plongé mon regard dans le sien, son émotion palpable, cette mèche rebelle sur son front, son sourire timidement heureuxet mon cœur a débordé dune tendresse indicible. « Oui, » ai-je chuchoté. « Bien sûr que oui ! »
Lanneau a glissé sur mon doigt. Je me suis blottie contre Louis, respirant son eau de Cologne familière, en pensant : voilà le bonheur. Simple et lumineux comme un matin dété. Pourtant, une semaine plus tard, notre sérénité a été ébranlée pour la première fois.
« Comment ça, vous organisez tout seuls ? » sest exclamée Madame Dubois, ajustant nerveusement son chignon parfait. « Hors de question ! Un mariage est une affaire sérieuse, il faut de lexpérience, la sagesse dune femme. Jai déjà réservé une salle magnifique »
« Maman, » a tenté Louis avec douceur, « nous vous remercions, mais nous voulons tout organiser nous-mêmes. »
« Vous-mêmes ? » Elle a levé les mains au ciel. « Vous ny connaissez rien ! Regarde ta cousine Élodie »
Je suis restée silencieuse tandis quelle arpentait notre salon dun pas décidé. Elle ne cessait de parlertraditions, convenances, « ne pas faire honte à la famille ». Entre deux phrases, ses yeux balayaient la pièce, jugeant la décoration, comme si elle dressait déjà une liste de changements nécessaires.
« Maman, » a repris Louis, plus ferme, « nous avons choisi La Branche dOlivier. »
Madame Dubois a grimacé comme si elle avait mal aux dents. « Ce nouvel endroit ? Non, non, seulement Le Grand Jardin ! Lambiance, le service ! Et le directeur est un vieil ami »
La voix de Louis sest durcie : « Cest nous qui payons. Et nous choisirons lendroit où nous voulons. » Elle a serré les lèvres, menton levé : « Très bien, faites à votre guise. Mais ne dites pas que je ne vous ai pas prévenus. »
Elle est partie, laissant derrière elle un nuage de parfum luxueux et une tension palpable. « Désolé, » a murmuré Louis en menlaçant. « Elle est juste très impliquée. » Je nai rien dit. Une petite voix en moi chuchotait : ce nest que le début.
Et effectivement, les semaines suivantes ont été marquées par une série de critiques et de sous-entendus. Madame Dubois trouvait à redire à toutles fleurs, la disposition des tables. « Des pivoines roses ? » Elle secouait la tête. « En septembre ? Des lys blancs, cest bien plus élégant ! Et larche doit être plus majestueuse. Quant aux musiciens Mon Dieu, vous comptez vraiment les engager ? Je connais un quatuor extraordinaire du conservatoire »
Jai tenu bon, soutenue par ma mère, la douce et sage Madame Laurent. « Ne la prends pas au sérieux, » me disait-elle lorsque jallais me confier, épuisée par ces « batailles nuptiales ». « Cest ton mariage, cest à toi de décider. Ta belle-mère refuse juste dadmettre que son fils est adulte. »
Mais lorage a éclaté à cause du gâteau. « Trois étages ? Où sont les fleurs en sucre ? Les figurines des mariés ? » La voix de Madame Dubois tremblait dindignation. « Maman, » a soupiré Louis, « nous voulons quelque chose de simple et raffiné. Sans fioritures. »
« Simple ? » Elle avait les larmes aux yeux. « Tu veux ridiculiser ta mère devant tout Paris ? Que les gens se moquentle fils de larchitecte renommée avec un gâteau de cantine ? »
Je nai pas pu me contenir : « Madame Dubois, soyons clairs. Ce mariage est le nôtre. Pas le vôtre. » Un silence glaçant a suivi. Elle est devenue livide, puis écarlate, avant de se lever brusquement : « Très bien. Je vois que je suis de trop ici. Faites comme bon vous semble ! »
Elle a claqué la porte si fort que les vitres ont vibré. Louis a soupiré : « Elle est vexée. » Je suis restée silencieuse, le cœur lourd. Deux jours plus tard, la catastrophe a frappé. Chez la couturière, jai surpris par hasard une conversation au téléphone : « Oui, Madame Dubois, votre robe sera prête à temps. Une teinte superbepresque identique à celle de la mariée »
Mon monde sest effondré. Jai quitté latelier sans terminer lessayage et, les mains tremblantes, jai appelé ma mère. « Maman, » ai-je sangloté, « elle veut tout gâcher Elle a acheté la même robe que moi »
« Calme-toi, » sa voix était étrangement ferme. « Je men occupe. Fais-moi confiance. »
Le matin du mariage, la pluie tombait doucement. Jétais à la fenêtre, le regard perdu dans les gouttes, essayant dignorer la peur qui me nouait lestomac. Derrière moi, la maquilleuse et la coiffeuse saffairaient. « Juliette, reste immobile, » a grondé la coiffeuse en domptant une mèche rebelle.
« Ma chérie ! » Ma mère est entrée, les mains sur le cœur. « Tu es radieuse ! »
« Maman Tu as fait quelque chose ? » Elle a souvi, énigmatique. « Ne tinquiète pas. Personne ne volera ton jour. »
À la mairie, tout était floumusique, discours, regards émus, flashes. Lanneau a eu du mal à glissernos doigts tremblaient trop. « Je vous déclare mari et femme ! » Notre premier baiser en tant quépoux a été maladroit, mes yeux cherchant sans cesse une robe ivoire parmi les invités. Mais Madame Dubois était absente.
« Elle ira directement au restaurant, » a chuchoté Louis. « Un problème de coiffure, paraît-il »
Au restaurant, les applaudissements ont résonné. « La Branche dOlivier » était magnifiquenappes blanches, lustres étincelants, fleurs partout. Javais presque oublié mes craintes jusquà ce quune Mercedes noire se gare devant lentrée.
Madame Dubois en est sortie, vêtue dune robe ivoire constellée de strass, presque identique à la mienne.
« Regarde » a murmuré Louis.
Mais avant quelle ne fasse trois pas, un jeune serveur a surgi, renversant un liquide rouge foncé sur sa robe immaculée.
« Oh, mille pardons ! » bafouillait-il en tentant déponger la tache. « Sauce aux griottes Quelle maladresse ! »
Madame Dubois est devenue statue. Son expression était si violente que jai détourné les yeux.
« Je Je reviens, » a-t-elle balbutié avant de fuir.
Ma mère, impassible, ajustait les fleurs sur notre table. Un sourire discret jouait sur ses lèvres.
« Tu sais, » a murmuré Louis, « je suis presque content que cela soit arrivé. » Jai levé les yeux, surprise.
Il a eu un sourire triste : « Elle veut tout contrôler, même aujourdhui. Jen ai assez. »
Je me suis blottie contre lui. Dehors, la pluie continuait de tomber, mais en moi, une paix étrange sinstallait.
Madame Dubois nest jamais revenue. Nous avons dansé, ri, et savouré chaque instant. Quant à sa robe parfois, le destin remet les choses en place. Même sil faut un peu de sauce aux griottes, un serveur maladroit, et une mère déterminée.







