Prends ta mère et partez, exigea la belle-fille dans la maternité.
Allô, Ludivine, ça va ? demanda Véronique en serrant le téléphone contre son oreille, assise au bord du lit. Les contractions ont commencé ?
Maman, tout va bien pour linstant, répondit la voix fatiguée de sa belle-fille. Le médecin a dit que cétait encore tôt. Mais on devrait aller à lhôpital, au cas où.
Bien sûr, bien sûr ! Jai déjà préparé mon sac. Olivier rentre du travail ?
Oui, il est en route. Maman, juste ne vous inquiétez pas trop. Tout ira bien.
Véronique sourit dans le combiné. Ludivine pensait toujours aux autres, même quand elle avait besoin de soutien.
Daccord, ma chérie. On arrive bientôt.
Elle raccrocha et shabilla en hâte. Dans son sac, elle avait glissé des oranges, des biscuits et une thermos de thé chaud. Tout ce qui pouvait être utile pour une longue attente dans les couloirs de lhôpital.
Olivier arriva une demi-heure plus tard, nerveux et agité.
Maman, dépêche-toi, dit-il en laidant à monter dans la voiture. Ses contractions sont toutes les dix minutes maintenant.
Calme-toi, mon fils, murmura Véronique en lui tapotant la main. Les premiers accouchements ne sont jamais rapides. On a le temps.
Mais elle était tout aussi inquiète que lui. Ludivine était menue, fragile, et sa grossesse avait été difficile. Nausées, œdèmes, tension instable. Les médecins assuraient que tout était normal, mais le cœur dune mère ne se calme pas si facilement.
À la maternité, une infirmière sévère dune cinquantaine dannées les accueillit.
La parturiente, cest qui ? demanda-t-elle sans lever les yeux de son registre.
Cest elle, répondit Olivier en guidant Ludivine.
Vos papiers, votre carte de suivi, tendit linfirmière. Les proches attendent dans le couloir, pas au premier étage.
Ils emmenèrent Ludivine tandis que Véronique et son fils restaient dans le hall. Il y avait beaucoup de monde : des maris avec des fleurs, des femmes avec des sacs, tous avec la même expression anxieuse.
Maman, tu crois que ça va prendre longtemps ? demanda Olivier en arpentant nerveusement les rangées de chaises en plastique.
Je ne sais pas, mon chéri. Chaque accouchement est différent. Pour toi, jai souffert dix-huit heures.
Dix-huit heures ? Il pâlit.
Ce nest rien. Regarde le beau bébé que tu étais, essaya de le rassurer Véronique.
Les heures passèrent. Olivier appelait toutes les trente minutes, mais linfirmière répondait toujours la même chose : «Tout se passe bien, attendez.»
Peut-être que tu devrais rentrer à la maison ? suggéra Véronique. Te changer, manger un peu. Je reste ici.
Non, maman, je ne peux pas. Et si quelque chose arrivait ?
Quest-ce qui pourrait arriver ? Ludivine est forte, elle sen sortira.
Mais il refusa. Il sassit, tapota du pied, sortit fumer toutes les demi-heures et revenait les joues rougies par le froid.
En fin daprès-midi, une sage-femme apparut.
Famille Lefèvre ? appela-t-elle dans le couloir.
Véronique et Olivier bondirent.
Nous ! Olivier arriva le premier. Elle a accouché ?
Pas encore. La dilatation est lente, les contractions faibles. On va stimuler.
Cest dangereux ? sinquiéta Véronique.
Non, cest courant, répondit la sage-femme avant de repartir, les laissant avec de nouvelles inquiétudes.
Maman, et sil faut une césarienne ? Olivier recommença à marcher de long en large.
Si cest nécessaire, ils la feront. Limportant, cest que la maman et le bébé aillent bien.
La nuit tomba. Véronique sassoupit sur une chaise, enroulée dans son manteau. Olivier, lui, ne dormit pas, fumant et appelant sans cesse.
Au petit matin, une sage-femme revint.
Félicitations, papy et mamie ! Vous avez une petite fille, trois kilos deux cents.
Et Ludivine ? demandèrent-ils en chœur.
Tout va bien. Elle est fatiguée, mais elle a été courageuse. On va la suturer et la transférer en chambre.
Olivier serra sa mère dans ses bras, et tous deux pleurèrent de joie et dépuisement.
Papy répéta Véronique en essuyant ses larmes. Tu te rends compte, Olivier, tu es papa !
Et toi, mamie, sourit-il. Notre petite est là !
Ils ne purent monter voir Ludivine quen début daprès-midi. Elle était pâle mais rayonnante, un petit paquet dans les bras.
Regardez comme elle est belle, chuchota-t-elle en leur montrant le bébé.
Véronique sapprocha et contempla ce petit visage rose et fripé.
Ma petite perle, murmura-t-elle. Elle ressemble à son papa.
Maman, voyons, rit Ludivine. Elle a à peine quelques heures.
Je le vois. Ses yeux, son petit nez. Nest-ce pas, Olivier ?
Son fils restait fasciné, nosant pas toucher lenfant.
Prends-la, proposa sa femme.
Je ne vais pas la casser ? Elle est si petite.
Non, sourit Ludivine. Tu es son papa, maintenant.
Olivier prit délicatement sa fille dans ses bras. Elle bâilla et se rendormit.
Comment on lappelle ? demanda-t-il.
On avait dit Élodie, répondit Ludivine.
Élodie, répéta Véronique. Cest un joli prénom.
Ils restèrent jusquau soir, à tour de rôle pour la bercer, prendre des photos, faire des projets. Véronique imaginait déjà acheter un landau, un berceau, se promener avec sa petite-fille au parc.
Ludivine, je pourrais venir chez vous les premiers temps ? proposa-t-elle. Taider avec le bébé. Jai de lexpérience.
Sa belle-fille sourit.
Bien sûr, maman. Je me sentirai plus rassurée avec toi.
Parfait. Demain, je préparerai la chambre. Olivier, il faudra repeindre, les murs sont trop vifs pour un bébé.
Maman, pas maintenant, dit prudemment son fils. Ludivine nest même pas rentrée. Cest tôt pour tout organiser.
Pourquoi ? Elle sortira dans une semaine, et la chambre ne sera pas prête. Il faut sy mettre.
Une infirmière entra.
Les visites sont terminées.
Véronique embrassa le front de Ludivine.
Repose-toi, ma chérie. On reviendra demain.
À la maison, lexcitation lempêcha de dormir. Une petite-fille ! Elle avait une petite-fille ! Élodie, quelle chérirait plus que tout.
Le lendemain, elle courut dans les magasins : bodys, gigoteuses, jouets Elle dépensa presque toute sa pension, mais sans regret. Rien nétait trop beau pour Élodie.
Olivier, voyant les sacs, secoua la tête.
Maman, pourquoi tant de choses ? Les parents de Ludivine vont aussi acheter des cadeaux.
Quils achètent. Tout sera utile. Dailleurs, où sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas venus ?
Ils sont en voyage, tu te souviens ? En cure pour trois semaines.
Ah oui, javais oublié. Tant pis, notre amour suffira.
Le lendemain, à la maternité, Ludivine les accueillit lair soucieux.
Quest-ce quil y a ? salarma Véronique.
Le médecin dit quÉlodie a une jaunisse. Rien de grave, mais elle ne peut pas sortir encore.
Cest dangereux ? Olivier blêmit.
Non, cest courant chez les nouveau-nés. Mais elle doit rester cinq jours de plus.
Ce nest rien, la rassura Véronique. Elle guérira. Limportant, cest quelle soit bien soignée.
Élodie était sous une lampe spéciale, minuscule et vulnérable. Véronique ne se lassait pas de ladmirer.
Ludivine, tu allaites ?
Jessaie, mais jai peu de lait. On complète avec du lait en poudre.
Ça viendra. Ne stresse pas, ça affecte la lactation.
Je sais, maman. Jessaie de ne pas minquiéter.
Dans la chambre, trois autres femmes étaient avec leurs bébés. Lune delles, Charlotte, était là depuis le début et était devenue amie avec Ludivine.
Cest ta belle-mère ? demanda-t-elle quand Véronique séloigna vers la fenêtre.
Oui. Une femme merveilleuse, elle maide beaucoup.
Tu as de la chance, soupira Charlotte. La mienne ne fait que critiquer. Elle dit que je tiens mal mon bébé, que je plie mal les couches.
Ma mère comprend. Elle est passée par là.
Véronique entendit et sentit une chaleur dans sa poitrine. Ses efforts étaient donc appréciés.
Les jours suivants, elle vint tôt et repartit tard. Elle apportait à Ludivine de la nourriture maison, des fruits, des magazines. Elle gardait Élodie pendant que la jeune maman se reposait. Olivier venait aussi, mais le travail lempêchait de rester longtemps.
Maman, tu ne es pas fatiguée ? demanda Ludivine. Venir chaque jour, cest épuisant.
Mais non ! Pour ma petite-fille et ma fille, rien nest fatiguant.
Le cinquième jour, le médecin annonça que la jaunisse avait disparu et quelles rentreraient demain. Véronique était au comble du bonheur.
Ludivine, jai tout préparé à la maison. Le berceau est monté, le linge lavé et repassé. Jai acheté une baignoire.
Merci infiniment, maman. Je ne sais pas ce quon ferait sans toi.
Le jour du retour, Olivier prit un congé. Ils ramenèrent fièrement Ludivine et Élodie à la maison.
Véronique saffairait comme une abeille : biberons, couches, berceuses
Maman, repose-toi un peu, proposa Ludivine. Je peux me débrouiller.
Mais non, ma chérie ! Le médecin a dit de te reposer.
Ludivine sallongea docilement, tandis que Véronique prenait Élodie dans ses bras.
Ma petite perle, murmurait-elle en la berçant. Si sage avec mamie.
Olivier observait la scène en souriant.
Maman, tu tépanouis avec Élodie.
Bien sûr ! Cest ma petite-fille, ma chair.
Les premiers jours se passèrent dans les soins et lorganisation. Véronique se levait la nuit pour que Ludivine dorme. Elle cuisinait, lavait, rangeait. Elle se sentait utile et heureuse.
Mais peu à peu, elle remarqua que Ludivine devenait silencieuse et pensive.
Ludivine, tu te sens bien ? demanda-t-elle un matin.
Oui, maman. Juste un peu fatiguée.
Mais tu ne fais presque rien ! Je moccupe de tout.
Cest justement pour ça, répondit doucement Ludivine.
Véronique ne comprit pas. Comment pouvait-on être fatigué de ne rien faire ?
Les jours suivants, la tension monta. Ludivine voulait donner le bain, mais Véronique refusait.
Pourquoi te pencher ? Tu vas te faire mal au dos. Je men occupe.
Mais cest mon enfant, protesta Ludivine.
Bien sûr. Mais jai plus dexpérience, tu peux me faire confiance.
Ludivine se tut, mais son regard trahissait une blessure.
La situation dégénéra quand Élodie pleura la nuit. Véronique, comme dhabitude, se leva la première.
Quest-ce quil y a, mon trésor ? Tu as faim ?
Mais Ludivine arriva aussi.
Maman, donne-la-moi. Elle a faim, je dois lallaiter.
Le lait en poudre ne serait pas mieux ? Tu nas pas assez de lait, elle nest pas rassasiée.
Maman, le médecin a dit que lallaitement était important. Donne-moi ma fille.
Véronique lui tendit Élodie à contrecœur. Ludivine sinstalla pour allaiter, tandis que sa belle-mère surveillait.
Ludivine, tu ne la tiens pas bien. Il faut relever sa tête.
Maman, je fais comme le médecin a montré.
Mais je vois quelle nest pas à laise. Laisse-moi ajuster.
Non, maman. Sil te plaît.
Des larmes perlaient dans la voix de Ludivine. Véronique réalisa enfin le problème.
Ludivine, quest-ce quil y a ? Tu pleures ?
Maman, je suis épuisée. Je veux moccuper de ma fille moi-même. Et tu fais tout à ma place.
Mais je taide ! Ce nest pas bien davoir de laide ?
Laide, oui. Mais quand on ne me laisse même pas toucher mon bébé, ce nest plus de laide.
Véronique était perplexe. Elle ne comprenait vraiment pas.
Ludivine, cest pour ton bien. Je veux que tu te reposes.
Maman, je comprends. Mais je dois apprendre à être mère. Comment puis-je apprendre si tu fais tout ?
Olivier, réveillé par leurs voix, intervint.
Quest-ce qui se passe ? Pourquoi vous chuchotez ?
Olivier, parle à ta mère, pria Ludivine. Explique-lui.
Expliquer quoi ? demanda-t-il, confus.
Ludivine pense que jaide trop, dit Véronique, blessée.
Maman, ce nest pas la quantité daide, dit Olivier. Ludivine a raison. Elle doit shabituer à la maternité.
Ah bon ! sindigna Véronique. Donc, je dérange ! Je croyais bien faire, mais en réalité, je nuis.
Maman, ne prends pas ça comme ça, tenta de calmer Olivier.
Non, cest clair. La belle-mère est de trop. Excusez-moi de vous encombrer.
Elle partit dans sa chambre et verrouilla la porte. Les larmes de lamertume lui brûlaient les yeux. Elle avait tant fait, tant donné, et on ne la comprenait pas.
Le lendemain matin, Ludivine frappa.
Maman, je peux entrer ?
Entre, répondit sèchement Véronique.
Sa belle-fille sassit sur le lit. Élodie dormait dans ses bras.
Maman, je ne voulais pas te blesser. Tu fais tant pour nous, et je le sais.
Ceux qui apprécient ne disent pas quon les dérange.
Je nai pas dit que tu dérangeais. Jai dit que je voulais participer aux soins.
Véronique garda le silence.
Maman, trouvons un compromis. Tu aides pour la maison, et je moccupe dÉlodie. Mais si jai besoin, je te demanderai.
Et sil arrive quelque chose ? Si tu fais une erreur ?
Maman, je ne suis pas complètement démunie. Et le pédiatre a dit que je pouvais lappeler pour tout.
Véronique regarda Élodie, paisible dans les bras de sa mère.
Daccord, accepta-t-elle. Essayons.
Les jours suivants, elles suivirent ce nouvel arrangement. Ludivine soccupait seule du bébé, tandis que Véronique gérait la maison.
Au début, ce fut dur pour Véronique de ne pas intervenir. Ses mains voulaient rectifier la couverture, conseiller la position du biberon. Mais elle se retint, voyant Ludivine gagner en assurance.
Une nuit, Élodie pleura sans sarrêter. Elle avait de la fièvre, était apathique.
Appelez les urgences ! paniqua Ludivine.
Attends, dit Véronique en prenant lenfant. Peut-être une poussée dentaire ? Tôt, mais ça arrive.
Elle examina la bouche et sentit une gencive enflée.
Cest ça. Tôt, mais Olivier aussi a eu ses dents à trois mois. Appelons quand même le médecin, pour être sûrs.
Le pédiatre confirma : les dents poussaient, pas dinquiétude à avoir.
Ludivine regarda alors Véronique différemment non plus comme une surveillante, mais comme un pilier.
Maman, pardonne-moi, murmura-t-elle. Tu avais raison. Sans toi, on aurait paniqué.
Véronique sourit et caressa son épaule.
Ma chérie, limportant, cest quÉlodie aille bien. Le reste nest rien.
Cette nuit-là, ils veillèrent tous les trois près du berceau la jeune maman, la grand-mère attentionnée, et le père fatigué mais heureux. Chacun comprit : lespace personnel viendrait plus tard. Une vraie famille, cétait ici, maintenant, autour de cette petite fille qui les unissait pour toujours.
**Leçon :** L’amour vrai sait trouver l’équilibre entre donner de l’espace et offrir son soutien. Une famille grandit quand chacun respecte le rôle de l’autre.







