*Journal intime*
Il nest jamais trop tard pour tout réparer. Lamour peut nous faire perdre la tête, nous faire tout oublier, jusquà notre propre conscience. Cest ce qui est arrivé à Olivier. Amoureux fou dÉlodie, il a tout laissé de côté, même son devoir filial. Le choix entre le confort et la morale est souvent cruel.
« Oli, où est-ce quon va vivre, toi et moi ? » demanda Élodie dune voix douce, le regard malicieux.
« Chez moi, bien sûr. »
« Mais tu vis toujours avec ta mère », répliqua-t-elle en faisant la moue.
« Quest-ce que ça change ? Elle est gentille et discrète, ne tinquiète pas », tenta-t-il de la rassurer.
Olivier nétait plus un jeune homme. La trentaine passée, ce serait son deuxième mariage. Le premier avait échoué ils étaient trop différents. Son ex-femme avait cru quil gagnerait bien sa vie, quil monterait une entreprise, mais sans capital, cétait impossible. Elle était partie, heureusement sans enfant.
Il avait rencontré Élodie dans un café, un soir où il fêtait la naissance du fils de son ami Mathieu. Ils avaient bu un verre, puis aperçu cette jeune femme seule, lair triste.
« Mademoiselle, pourquoi cette mine sombre ? » lui avait-il demandé avec un sourire en sapprochant de sa table. « Venez donc nous rejoindre, mon ami a une bonne raison de célébrer : son fils pèse presque quatre kilos ! »
Sans hésiter, Élodie les avait rejoints.
« Félicitations, dit-elle en regardant Mathieu. Un fils, cest bien, un héritier. »
Après le café, Mathieu était rentré chez lui, et Olivier avait raccompagné Élodie jusquau foyer où elle vivait. Elle travaillait dans une usine textile et habitait non loin, originaire dun petit village. Dix ans de moins que lui. Ce soir-là, il était resté chez elle.
Ils se voyaient souvent, se promenaient, et un jour, elle avait subtilement évoqué le mariage et les enfants.
« Oli, tu as plus de trente ans et pas denfant, il faut y remédier, sinon il sera trop tard », disait-elle en riant. Lasse du foyer bruyant, elle rêvait dun vrai appartement.
Olivier, fou amoureux, lui avait fait sa demande.
« Oui, oui, je veux bien ! Quand est-ce quon va déclarer notre union ? »
« Bientôt. En attendant, viens chez moi, avec maman. »
« Non, Oli, je ne veux pas vivre avec ta mère. Tu sais ce quon dit des belles-mères et des belles-filles. Je ne veux pas commencer ma vie comme ça. Louons plutôt un appartement »
« Mais, Élodie, je ne peux pas payer un loyer, il ne nous resterait presque rien. Bon, on trouvera une solution. »
Anne était assise à la fenêtre de la cuisine, regardant les premiers flocons de neige tomber lentement. Elle ne se sentait pas bien. À la retraite après avoir enseigné les mathématiques, elle aurait aimé continuer, mais sa santé déclinait. Plusieurs fois, lambulance était venue la chercher.
Ce jour-là, Olivier était rentré avec Élodie. Ils sétaient déjà rencontrés, mais Élodie évitait Anne. Un bonjour rapide, puis elle disparaissait dans la chambre dOlivier, doù résonnait son rire. Elle partait sans un mot, sans même un regard.
« Maman, Élodie et moi allons nous marier. Elle va vivre ici », hésita-t-il avant dajouter : « Et elle ne veut pas que tu restes avec nous. Jai pris des renseignements, je vais te placer dans une maison de retraite. Cest bien, il y a des médecins Tu comprends, maman, on a besoin dintimité. »
Dans ce monde, tout est dur. On peut écarter ses parents vieillissants, les oublier dans le confort de sa vie. On peut oublier la dette envers ceux qui ont veillé, donné leur dernier sou, cru en nous. Olivier ny avait pas pensé.
« Je comprends, mon fils », murmura-t-elle, sentant quelque chose se briser dans sa poitrine.
Elle fit ses valises, et Olivier lemmena loin, dans une maison de retraite à la campagne.
Désormais, la vie dAnne se résumait à cette petite chambre, à cette fenêtre où elle passait ses journées. Sur la table de nuit, une photo dOlivier, usée, dernier lien avec son ancienne vie.
Elle espérait encore, au fond delle, quil reviendrait. Veuve à trente-six ans, elle avait élevé seule son petit Oli. Elle avait tout sacrifié pour lui, travaillant deux emplois pour quil ne manque de rien.
« Mon petit Oli », pleurait-elle souvent en regardant la photo.
Le temps passa, mais Olivier ne vint jamais. Avec Élodie, ils vivaient joyeusement. Mais moins de six mois plus tard, elle rentrait ivre, traînant dehors tard le soir.
« Élodie, où passes-tu tes soirées ? Tu as un mari qui tattend. »
« On sort entre filles, cest lanniversaire de Lætitia », répondait-elle, négligeant son mari.
« Je me suis marié pour avoir une épouse, pas une noctambule. »
« Oh, ne me fais pas la leçon. Je sais ce que je fais. Tu ne crèves pas de faim, tu sais cuisiner. »
Un an plus tard, Olivier divorça et se souvint de son devoir filial.
« Mon Dieu, cest ma punition Jai abandonné ma mère sans même minquiéter pour elle »
Elle se retourna et ne crut pas ses yeux.
Parfois, dans le silence dune vie trop confortable, la conscience se réveille. Olivier lavait enfin ressenti. Un jour, alors quAnne contemplait le ciel gris de sa chambre, la porte souvrit.
« Maman »
Elle se retourna, incrédule. Son fils, amaigri, les yeux cernés, était là.
« Oli, quest-ce qui tarrive ? Tu es malade ? » demanda-t-elle, oubliant toute rancune.
« Maman, pardonne-moi Je naurais jamais dû Jai été un lâche. » Sa voix tremblait. Il tomba à genoux.
« Élodie nétait pas la bonne. Elle voyait dautres hommes, sortait sans rentrer Elle ma quitté pour un autre. Jai demandé le divorce. »
Anne lécouta en silence, caressant ses cheveux.
« Maman, je tai abandonnée pour elle Pardonne-moi. » Il pleurait, serrant ses épaules fragiles.
« Ce nest rien, mon fils. Tu es revenu, tu as compris. Cest lessentiel. »
« Prépare-toi, maman, je te ramène à la maison. »
Anne retrouva son appartement, où flottait encore un léger parfum féminin. Ils vécurent de nouveau ensemble. Olivier fit tout pour se racheter.
« Maman, regarde ce que je tai acheté », disait-il en rentrant du travail. « Cette couverture te réchauffera. » Puis, une fois, ce fut un pull douillet, une autre, un oreiller orthopédique.
« Mon fils, ne dépense pas autant pour moi. »
« Maman, je veux que tu sois bien. Tu as tout donné pour moi. Heureusement, jai compris à temps. Maintenant, tout ira bien. » Sa voix était ferme. « Jai un meilleur travail, on pourra même acheter un plus grand appartement. »
« Je suis si heureuse pour toi. Mais tu dois te marier, ne vis pas que pour moi. »
« Daccord, maman. Je vais te présenter Émilie. On se voit depuis deux mois. »
Le lendemain, Olivier rentra avec Émilie, lui tenant la main.
« Bonjour, Anne, dit-elle avec douceur, ses yeux gris pleins de chaleur. Jai fait une tarte aux pommes pour vous. »
« Oh, ma chérie, ce nétait pas la peine ! »
« Ce nest rien », sourit Émilie tandis quOlivier sortait les tasses.
Plus tard, Anne demanda :
« Mon fils, Émilie accepte que je vive avec vous ? »
Il sagita.
« Bien sûr ! Quand je lui ai raconté pour la maison de retraite, elle ma sermonné. Jai eu tellement honte. Mais je préférais lui dire moi-même. »
Pour la première fois, Anne sentit une chaleur dans son cœur. Tout nétait pas perdu. Il y avait encore de belles âmes.
Bientôt, ils prirent lhabitude de boire le thé ensemble, avec les tartes dÉmilie. Ils vivaient à trois, dans lharmonie.
Si Anne sendormait dans son fauteuil, Émilie la couvrait doucement dune couverture.
« Merci, ma fille. »
Olivier comprit enfin ce quétait le vrai bonheur : un foyer, ce ne sont pas des murs, mais ceux qui vous attendent.
Un soir, Émilie annonça :
« Maman, Oli nous allons avoir un bébé. » Elle semblait craintive.
« Mon Dieu, jai tant attendu ! » Anne pleura de joie. « Quelle merveille, Émilie Et toi, Oli ? »
Olivier, incrédule, bondit pour lembrasser.
« Émilie, tu es formidable ! »
« Toi aussi », rit-elle, heureuse.
Cette nuit-là, Olivier ne dormit pas.
« Comme cest merveilleux de pouvoir réparer ses erreurs. Tant que maman est là, tout peut encore sarranger. »
Le temps passa. Émilie donna un petit-fils à Anne et un fils à Olivier. Leur appartement résonna de rires denfant. Deux ans plus tard, ils déménagèrent dans un plus grand logement, avec une chambre pour Anne.
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