La vieille dame se leva péniblement du lit. Elle s’appuya contre le mur pour atteindre la porte. Dans la cuisine, elle prit un bol rempli de miettes de pain et sortit dans le jardin.
« On dirait que je me dérouille un peu. Les poules caquettent tellement Dois-je les laisser aller dans le potager ? Le soir, je ne pourrai plus les rattraper. Mais à quoi je pense ? Bientôt, ma belle-fille va m’envoyer en maison de retraite. »
Elle ouvrit la porte du poulailler. Sept poules en sortirent, suivies d’un coq qui marchait fièrement. La vieille dame éparpilla les miettes par terre pour elles. Puis elle se dirigea vers les toilettes.
En sortant, elle jeta un coup d’œil à son potager.
« Élodie ! » entendit-elle la voix de sa voisine derrière la clôture. « Toujours aussi active ? Tu vas bientôt avoir quatre-vingt-dix ans ! »
« Comment faire autrement, Josiane ? » répondit-elle en s’approchant. « Il reste encore les choux et les carottes à récolter. Heureusement que Théo et sa femme, Léa, ont déjà pris les pommes de terre. »
« Tu as un petit-fils bien attentionné ! »
« Cest dur pour lui, maintenant, sans son père » La vieille dame se mit à pleurer.
« Allons, allons, Élodie, assez de larmes, » la voisine tenta de la réconforter. « Ton fils ne souffre plus. Un an sans pouvoir bouger Tu crois quil était heureux ? Maintenant, il te regarde du ciel. »
« Josiane, il navait que soixante ans. Si fort, comme il était ! Et en un an, il a dépéri et »
« Bientôt, moi aussi, je rejoindrai mon fils. »
« Ne te précipite pas, Élodie ! Tu as encore du temps. Profite un peu ! »
« Oui, mais comment vivre ici ? Mes jambes me portent à peine, » soupira-t-elle lourdement. « On est fin septembre, le froid arrive. Toute seule, comment vais-je tenir ? »
« Mais tu as ta belle-fille et tes petits-enfants. »
« Oh, Josiane, de quoi tu parles ? Théo a trois enfants et sa belle-mère vit avec lui. Clara, avec ses deux petits, habite dans un studio. »
« Et Sophie, ta belle-fille ? »
« Elle ne pense quà ma mort. Après les quarante jours de deuil pour Marc, je lai entendue dire à Clara quelle voulait vendre ma maison pour lui acheter un appartement. »
« Ne laisse pas faire, Élodie ! »
« Clara est ma petite-fille, quelle vive décemment. »
« Et toi, alors ? »
« Ils finiront par menvoyer en maison de retraite, je suppose. Tu sais, Josiane, là-bas au moins, quelquun soccupera de moi. Ici, jai même peur dallumer le poêle. Je nai plus de bois. Je vais geler, et personne ne le saura. »
« Merci, Josiane ! Bon, je dois y aller, » fit-elle en agitant la main. « Jai lâché les poules. Les voilà dans le potager. Je vais ramasser les œufs ! »
La maîtresse des lieux se dirigea vers le poulailler.
Le lendemain matin, Élodie sentit que le froid sétait intensifié. Elle navait aucune envie de sortir de sous la couette. Mais il le fallait !
Elle se leva, frissonnante. Elle senveloppa dans une couverture et sortit dans le jardin. À peine eut-elle fini de nourrir les poules quelle vit la voiture de son petit-fils arriver devant la maison. Dhabitude, il venait le week-end, mais aujourdhui, cétait mercredi. La vieille dame comprit que quelque chose allait changer.
« Salut, mamie ! »
« Il se passe quelque chose ? » demanda-t-elle, méfiante.
« Ça suffit maintenant, tu ne peux plus vivre seule ici, » dit-il en montrant le ciel. « Le froid arrive. »
« Et mes poules ? Et les choux et les carottes pas encore ramassés ? » se lamenta-t-elle.
« Mamie, je moccuperai des poules. Et je vais récolter les légumes pendant que tu te prépares. Allez, dépêche-toi ! »
Élodie prit son temps. Elle avait vécu ici plus de soixante ans, depuis que Louis ly avait emmenée comme épouse. Cest là que Marc était né. Quinze ans déjà que Louis était parti. Et maintenant, Marc nétait plus là non plus. Elle sassit sur un banc et se mit à pleurer.
Elle resta un moment immobile. Puis, dun bond, elle se leva et regarda par la fenêtre. Son petit-fils avait déjà ramassé toutes les carottes et coupait les choux. Une belle récolte Quels beaux choux ! Elle soupira profondément et commença à rassembler ses affaires.
« Quest-ce que jemporte ? Tout laisser, cest dommage. Mais je ne peux pas tout prendre. Et la maison de retraite acceptera-t-elle tant de choses ? Je prendrai lalbum photo, pour me souvenir. Il faudra rassembler tous les papiers. Ils vendront la maison et sils ne trouvent pas les documents ? Il me faut des vêtements. Les nouveaux propriétaires viendront et tout finira à la poubelle. »
« Mamie, tu en as pour longtemps ? » linterrompit son petit-fils. « Jai tout ramassé. Je reviendrai ce week-end pour tout distribuer. »
Il chargea ses affaires dans la voiture, laida à monter, et ils partirent. Élodie regardait par la fenêtre, disant au revoir à son village.
La ville nétait pas loin. Bientôt, les immeubles de cinq étages apparurent. La voiture sarrêta.
« Tiens, nous voilà chez Marc, » pensa Élodie, surprise. « Est-ce que mon petit-fils ma amenée pour dire au revoir à Sophie ? »
« Bonjour, tante Élodie ! » la salua Sophie avec un sourire, en lembrassant sur la joue.
« Bonjour, Sophie ! » Mais elle pensa : « Elle a peur que je ne lui cède pas la maison, jimagine. »
« Tante Élodie, on a libéré une chambre pour toi, celle où Marc a passé ses derniers jours, » dit sa belle-fille, les larmes aux yeux.
« On la refaite à neuf, » la poussa vers la pièce, « avec un lit et une armoire neufs. »
« Sophie » La vieille dame réalisa soudain. « Alors, vous ne menvoyez pas en maison de retraite ? »
« Maman, maman, arrête, je ten prie ! »
« Mais pourquoi pleurez-vous ? »
« Mamie, doù tu sors quon allait vendre ta maison ? » rit son petit-fils. « On va en faire une résidence de vacances pour toute la famille. On y passera lété. Et la forêt est juste à côté. »
Le cœur dÉlodie se remplit de joie. Après tout, elle avait de si bons petits-enfants.
« Et quelle belle-fille jai ! Comment ai-je pu ne pas le voir pendant quarante ans ? »







