La Vieille Lutte pour Se Lever et Aller au Jardin avec un Bol de Pain.
La vieille femme se leva du lit avec peine. Elle sappuya contre le mur et atteignit la porte. Dans la cuisine, elle prit un bol rempli de miettes de pain et sortit dans le jardin.
« On dirait que je me dérouille. Les poules caquettent tant. Dois-je les laisser aller au potager ? La nuit, je ne pourrai plus les rattraper. Mais à quoi je pense ? Bientôt, ma belle-fille menverra en maison de retraite. »
Elle ouvrit la porte du poulailler. Sept poules en sortirent, suivies dun coq qui marchait fièrement. La vieille dispersa les miettes sur le sol pour eux, puis se dirigea vers les toilettes.
En ressortant, elle jeta un regard vers son potager.
« Élodie, » entendit-elle la voix de sa voisine derrière la clôture. « Tu es toujours aussi affairée ? Tu vas bientôt fêter tes quatre-vingt-dix ans. »
« Et comment ne le serais-je pas, Margaux ? » La vieille sapprocha de la clôture. « Il reste encore les choux et les carottes à récolter. Heureusement que Théo et sa femme, Amélie, ont déjà pris les pommes de terre. »
« Tu as un petit-fils si attentionné ! »
« Cest dur pour lui, maintenant, sans son père, » murmura la vieille en pleurant.
« Allons, allons, Élodie, assez de larmes, » tenta de la réconforter Margaux. « Ton fils ne souffre plus. Un an sans pouvoir bouger Tu crois quil se sentait bien ? Maintenant, il te regarde depuis le ciel. »
« Margaux, il navait que soixante ans. Fort comme il était ! Et en un an, il a dépéri et est parti. »
« Bientôt, moi aussi, je rejoindrai mon fils. »
« Ne te presse pas, Élodie ! Tu as encore du temps. Vis un peu ! »
« Oui, mais comment vivre ici ? Mes jambes me portent à peine, » soupira-t-elle lourdement. « Nous sommes fin septembre, le froid arrive. Seule, comment vais-je tenir ? »
« Mais tu as ta belle-fille et tes petits-enfants. »
« Oh, Margaux, de quoi parles-tu ? Théo a trois enfants, et sa belle-mère vit avec lui. Amélie, avec ses deux petits, habite dans un deux-pièces. »
« Et ta belle-fille, Lucie ? »
« Elle ne pense quà ma mort. Quand ils ont fait les quarante jours de Julien, je lai entendue dire, je crois, à Amélie quelle voulait vendre ma maison pour lui acheter un appartement. »
« Ne laisse pas faire, Élodie ! »
« Amélie est ma petite-fille, quelle vive décemment. »
« Et toi ? »
« Ils finiront par menvoyer en maison de retraite, je suppose. Tu sais, Margaux, là-bas au moins, quelquun soccupera de moi. Ici, jai même peur dallumer le poêle. Je nai plus de bois. Je vais geler, et personne ne saura. »
« Merci, Margaux ! Bon, je dois y aller, » fit-elle en agitant la main. « Jai lâché les poules. Les voilà qui partent dans le potager. Je vais ramasser les œufs ! »
La maîtresse des lieux se dirigea vers le poulailler.
Le lendemain matin, Élodie sentit que le froid sétait intensifié. Elle navait aucune envie de sortir de sous les couvertures. Mais il le fallait.
Elle se leva, frissonnante. Elle senveloppa dans une couverture et sortit dans le jardin. À peine eut-elle le temps de nourrir les poules que la voiture de son petit-fils arriva devant la maison. Dhabitude, il venait le week-end, mais aujourdhui, cétait mercredi. La vieille comprit que quelque chose allait changer dans sa vie.
« Salut, mamie ! »
« Il sest passé quelque chose ? » demanda Élodie, le visage fermé.
« Ça suffit maintenant, tu ne peux plus vivre ici seule, » dit-il en montrant le ciel. « Le froid arrive. »
« Et mes poules ? Et les choux et les carottes qui ne sont pas récoltés, » se plaignit-elle.
« Mamie, je moccuperai des poules. Et maintenant, je vais ramasser les choux et les carottes pendant que tu te prépares. Allez, dépêche-toi ! »
Élodie prit son temps pour se préparer. Elle avait vécu là plus de soixante ans, depuis que Louis ly avait emmenée en tant quépouse. Cest là que Julien était né. Quinze ans que Louis était parti. Et maintenant, Julien nétait plus là. La vieille sassit sur un banc et se mit à pleurer.
Elle resta assise un long moment. Puis elle bondit, regarda par la fenêtre. Son petit-fils avait déjà ramassé toutes les carottes et coupait les choux. Une belle récolte. Quels gros choux. Elle soupira profondément et commença à ranger ses affaires.
« Quest-ce que jemporte ? Tout laisser, cest dommage. Mais je ne peux pas tout prendre. Et la maison de retraite acceptera-t-elle autant de choses ? Je prendrai lalbum photo, pour me souvenir. Il faut rassembler tous les papiers. Ils vont vendre la maison, et sils ne trouvent pas les documents ? Je dois prendre des vêtements. Les nouveaux propriétaires viendront et tout sera jeté. »
« Mamie, tu en as pour longtemps ? » linterrompit son petit-fils. « Jai tout ramassé, choux et carottes. Tout est dans le cellier. Je reviendrai ce week-end pour distribuer à tout le monde. »
Il chargea ses affaires dans la voiture, laida à monter et ils partirent. Élodie regardait par la fenêtre, disant au revoir au village.
La ville nétait pas loin. Bientôt apparurent les immeubles de cinq étages. La voiture sarrêta.
« Tiens, nous voilà chez Julien, » songea Élodie, surprise. « Est-ce que mon petit-fils ma amenée pour dire au revoir à Lucie ? »
« Bonjour, tante Élodie ! » la salua Lucie avec un sourire, lui donnant même un baiser sur la joue.
« Bonjour, Lucie ! » Mais elle pensa en elle-même : « Elle a peur que je ne lui laisse pas la maison, jimagine. »
« Tante Élodie, nous avons libéré une chambre pour toi, celle où Julien a passé ses derniers jours, » dit sa belle-fille en pleurant.
« Et nous lavons refaite, » poussa doucement sa belle-mère vers la chambre. « Nous avons acheté un lit neuf et une armoire. »
« Lucie, » la vieille comprit enfin. « Alors, vous ne menvoyez pas en maison de retraite ? »
« Maman, maman, assez, je ten prie ! »
« Pourquoi pleurez-vous ? »
« Mamie, doù te vient cette idée quon allait vendre ta maison ? » rit son petit-fils. « Nous en ferons une maison de vacances pour tous. Nous y passerons lété. Et la forêt est juste là. »
Le cœur dÉlodie se remplit de joie. Après tout, elle avait de si bons petits-enfants.
« Et quelle belle-fille jai ! Comment ai-je pu ne pas le voir pendant quarante ans ? »







