**Le Mariage Impromptu**
Lété était torride, et Élodie arpentait son appartement en maillot de bain. Pourquoi se gêner ? Elle vivait seule, libre de faire ce quelle voulait. Enfin en vacances, elle attendait avec impatience que ses deux amies obtiennent une semaine de congé pour filer vers la Méditerranée.
Un matin, en entrant dans la cuisine pour faire chauffer leau, elle eut soudain la sensation dêtre observée. Son regard se porta vers limmeuble den face, à une vingtaine de mètres. Un homme dâge mûr, installé sur son balcon, la fixait avec insistance. Bien quelle ne fût pas nue, elle se couvrit instinctivement avec une serviette. À partir de ce jour, linconnu ne la quitta plus des yeux. Finie la liberté : même sous cette chaleur étouffante, il fallait enfiler un peignoir.
Un après-midi, elle sortit et leva les yeux vers le cinquième étage. Lhomme était là, comme toujours. Elle lui fit signe de descendre. Lui, interloqué, pointa son doigt vers sa poitrine. *Moi ?* Elle acquiesça. *Bien sûr, toi.*
Il arriva en quelques minutes. Il était rondouillard, les cheveux bouclés, mais avec une calvitie naissante. *Mon Dieu, il est encore moins attirant quà travers la fenêtre*, pensa-t-elle.
Bonjour, dit-il en inclinant légèrement la tête.
Salut. Pourquoi tu mespionnes ?
On se tutoie déjà ? répondit-il, déstabilisé.
Après mavoir vue en maillot, tu nas plus le choix : tu dois mépouser.
Je ne dis pas non, répliqua-t-il avec désinvolture.
On va signer les papiers quand, alors ?
Tout de suite. Jai ma carte didentité. Il tapota la poche de son gilet et la dévisagea.
Élodie fouilla dans son sac.
La mienne aussi est là.
Alors, on y va ?
On y va, répondit-elle en haussant les épaules.
*Quest-ce que je suis en train de faire ?* se demanda-t-elle dans le taxi. Pourtant, elle nannula rien. Ce nest quà la mairie quils échangèrent leurs noms. Lui, cétait Thierry. Thierry Morel.
On va où maintenant ? Dommage, ma voiture est au garage
Nulle part. Rentrons. Et ne fais pas cette tête : pas de période romantique. Après la signature, cest la vraie vie qui commence.
Mais pourquoi tépouser, ce type ? sexclamèrent ses amies quand elle leur annonça la date du mariage. Tu es folle ou quoi ?
Voyons, on peut toujours annuler.
Et lui ? Tu y as pensé ? Il va souffrir.
Ses problèmes. Il navait quà ne pas me mater.
Tu es célibataire, pas interdite. Élodie, tu ne laimes pas.
Et toi, tu as épousé le tien par amour ?
Et maintenant, je le déteste.
Eh bien, moi, je commence sans amour. Peut-être quun jour, je ne pourrai plus me passer de lui.
Thierry continuait de lobserver, fasciné par son comportement étrange. Lui-même nétait pas très logique : prêt à tout pour une inconnue, simplement parce quelle était belle. Il remarqua quelle évitait désormais la cuisine. Alors, il se cachait derrière le rideau, mais ne cessait pas de la suivre.
Un jour, il la vit partir précipitamment avec une valise. *Elle fait une dernière fugue avant le mariage ? Bon, je vais voir si elle mérite vraiment ça.*
Il attrapa quelques billets, enfila un pantalon léger et se précipita à laéroport. Il la repéra rapidement, en compagnie de ses deux amies. Elles prirent un vol pour Nice. Thierry réserva le même trajet, mais partit quelques heures plus tard.
*Où est-ce que je vais la trouver ? Il y a des milliers dendroits où elles peuvent être* songea-t-il, assis sur une plage de la Côte dAzur. *Pourquoi suis-je venu ?*
Soudain, il reconnut son maillot de bain. Élodie était là. *Quelle chance !*
Les filles buvaient du vin rosé, insouciantes. Elle ignorait totalement que son futur mari était dans les parages. Il découvrit le nom de leur hôtel et sy installa sans problème. La surveiller était facile, et elle ne se doutait de rien. Aucun homme dans son entourage : Thierry en fut rassuré.
Puis un jour, ils se croisèrent dans la rue. Élodie, jouant loffensive, lança :
Alors, cest comme ça quon se prépare au mariage ? On traîne sur les plages ?
Toi non plus, tu nes pas là pour le travail.
Je ne te voyais nulle part, alors je suis partie seule.
Jai vu ta valise, alors je tai suivie.
Tu mespionnes ?
Non, je prends juste du bon temps avant de me marier.
Moi aussi. Tu étais marié avant ?
Oui.
Des enfants ?
Non. Et toi ?
Divorcée. Pas denfants non plus. Tu veux mépouser par dépit ?
Non. Mais vu ma tête, cest plutôt toi qui veux te venger.
Pas du tout.
Alors, pourquoi ?
Jen ai marre des beaux gosses et des athlètes. Et si jessayais avec un homme ordinaire ?
Un conducteur de grue.
Exactement. Dailleurs, ta grue ne sennuie pas sans toi ?
Je suis à la retraite.
Quoi ?!
Jai travaillé en usine. Retraite anticipée à quarante-cinq ans.
Dieu merci. Moi, jen ai trente-huit.
Élodie, tu ne regretteras jamais davoir épousé un simple ouvrier.
Jespère bien.
Dix ans plus tard.
Tu te souviens de notre rencontre ? murmura Élodie en enlaçant son mari.
Bien sûr ! sesclaffa Thierry.
Chut, tu vas réveiller les garçons.
Je tavais promis que tu ne regretterais pas. Cest toujours vrai ?
Plus que jamais. Mes amies en crèvent de jalousie.
Cest normal, elles cherchent lamour
Et elles ont raison. Nous, ce nest pas comme les autres.
Peu importe. Lessentiel, cest quon soit heureux.
