La Bourse Nomade : Un Trésor Mobile à la Française

**LE SAC À DEUX FANCS**

Je ne me suis jamais considérée comme une beauté. Joliette, peut-être, mais guère plus. On ne peut pas toutes défiler sur les podiums Pourtant, à lécole, mes amies étaient toutes des ravissantes. Au début, cela me surprenait avec joie, jusquà ce que ma grand-mère préférée mouvre les yeux :

Ma pauvre petite, tes copines trouvent bien pratique de traîner avec une « souris grise » comme toi ! Tu ne leur voleras jamais leurs prétendants. Qui voudrait dune fille comme toi ?

Ces mots mavaient blessée jusquaux larmes. Mais après réflexion, elle mavait consolée :

Ne ten fais pas, ma chérie. Les gâteaux, ce nest pas une question de visage. Souviens-toi : les couleurs trop vives passent vite. Ne pleure pas, ma colombe. À chaque poire, son couteau.

Les « couteaux » se firent attendre jusquà mes vingt-sept ans. En attendant, jétudiais, je travaillais, consciente que je ne pouvais compter que sur moi-même.

Cest ma meilleure amie, Élodie, qui ma présenté Théo. Elle le trouvait « pire que la grippe » avec ses avances incessantes.

Prends-le, Irène ! Qui sait, ça pourrait marcher entre vous. Moi, je me marie, ma-t-elle dit.

Théo ma plu tout de suite. Javais envie de le noyer sous ma tendresse. Et puis, je commençais à faire tapisserie. À quoi bon jouer les difficiles ?

Jai même cru percevoir un soulagement dans son regard quand il sest retrouvé dans mes bras. Nous nous sommes mariés rapidement.

Ma grand-mère mavait pourtant avertie :

Méfie-toi, ma puce. Je sens que ton Théo na pas fini de courir. Il aurait dû se défouler avant de se ranger. Ne te vante pas dun mariage de trois jours, mais de trois ans

Mais à lépoque, tout me semblait rose. Nous étions comme deux tourtereaux, inséparables. Le mariage mavait donné des ailes immenses !

Notre petit Louis est né. Théo la adoré sans réserve. Il lui lisait des histoires, chantait des berceuses, le gâtait sans mesure.

En grandissant, Louis sest davantage attaché à son père quà moi, sa propre mère. Je nen ai jamais été jalouse. Lessentiel était que notre famille reste unie.

Nous avons vécu cinq ans de bonheur sans nuages. Mais le malheur frappe toujours à limproviste

Était-ce la jalousie dÉlodie ? Ou un reste damour pour Théo ? Toujours est-il quelle la repris dans ses filets. Jai appris par des connaissances quelle avait divorcé et navait pas denfant.

Je me suis sentie vidée de tout éclat. Mes ailes se sont brisées. Mon bonheur navait pas tenu bon. Mes sanglots semblaient ne jamais devoir sarrêter. Expliquer la situation à Louis fut une torture. Cest moi qui lui racontais désormais des histoires sur son père. Mais les larmes sèchent, et il fallait bien élever mon garçon. Au fond de moi, jespérais que Théo reviendrait à la raison, ne serait-ce que pour Louis.

Théo est revenu pour récupérer son passeport. Il marmonnait quÉlodie voulait un mariage officiel. Jai refusé de le lui donner. Il a haussé les épaules, sans insister, et est parti. Peu après, il en a obtenu un duplicata.

Je ne sais ce quÉlodie lui a promis, mais Théo nous a oubliés, Louis et moi. Pourtant Je dois admettre quelle était la plus belle de notre classe. Éclatante, rieuse, insouciante et envoûtante. Elle savait tisser des mots comme de la dentelle. Mais souvent, elle disait une chose et en pensait une autre. Cela ne mavait jamais inquiétée. À tort. On dit des femmes comme elle : doux regard, mais cœur de venin.

Jaurais dû comprendre quÉlodie ne me prêtait Théo que temporairement. Elle avait bien dit : « Je me marie. » Une fois son mariage terminé, elle réclamait ce quelle mavait « prêté ».

Jai reçu deux convocations au tribunal pour le divorce. Je ny suis pas allée. Je retardais léchéance et prolongeais mon tourment.

Le temps a passé. Théo, semble-t-il, a commencé à revenir à lui. Il sennuyait de Louis. Il ma demandé la permission de le voir. Je nai pas refusé. Mes pensées obsédantes pour lui sétaient estompées. Louis et moi avions appris à vivre seuls. Il avait maintenant douze ans.

Le malheur, comme on dit, pousse sans pluie. Un jour, Élodie est venue frapper à ma porte.

Comment ça va, ma vieille ? Toujours pas remariée ? a-t-elle ricané.

Quest-ce que tu veux ? ai-je répondu dune voix glacée.

Théo demande à voir Louis. À lhôpital. Pour lui dire au revoir, ma-t-elle assénée.

Mes jambes ont flanché, la pièce a tourné.

Quest-ce quil a, Théo ? ai-je murmuré.

Il a une opération demain. Il craint de ne pas sen sortir, a-t-elle répondu en se pressant de partir.

Il sen sortira ! Il DOIT sen sortir ! ai-je hurlé dans son dos.

Lopération a réussi. Théo a survécu, mais à quarante ans, il est devenu invalide. Il ne pouvait plus marcher sans canne. La question sest posée : comment allait-il vivre désormais ? Élodie la ramené chez elle. Mais je savais que ce ne serait pas pour longtemps.

Jai eu envie de le reprendre immédiatement. Je ne faisais aucune confiance à Élodie. Son âme était sombre comme un puits.

Jai décidé dattendre. Laissons la boue se déposer, peut-être pourrons-nous boire une eau plus claire.

Trois mois plus tard, Élodie ma appelée.

Irène, Théo ne supporte pas dêtre sans Louis.

Ou est-ce toi qui ne le supportes plus ? ai-je rétorqué.

Bref, Théo est revenu parmi nous. Tout simplement, Élodie avait rendu sa vie impossible. Vivre avec un invalide nest pas une partie de plaisir.

Théo est devenu irritable, renfermé, amer.

Mais lamour endure, pardonne, oublie le mal. Louis et moi lavons entouré de soins constants. Peu à peu, il sest adouci. Mieux encore, il a commencé à se passer de sa canne. Il boitait toujours, mais il marchait seul.

Six mois ont passé.

Élodie est revenue. Avec un bébé dans les bras.

Comment va-t-on partager Théo ? Jai une fille de lui, a-t-elle annoncé.

Élodie, tu es comme livraie, tu étouffes tout. Pourquoi taccroches-tu à lui ? Tu tes glissée dans sa vie comme un serpent. Quand vas-tu disparaître ? Tu ne fais que nouer des nœuds ! Quand nous laisseras-tu respirer ? ai-je supplié.

Théo est à MOI ! a-t-elle glapi.

Elle avait raison. Je ne lui en veux pas. Il est reparti avec elle. Apparemment, vieille amour ne se rouille pas.

Ma grand-mère na pas manqué de commenter :

Ma pauvre Irène, ton mari est un sac à deux fancs !

Louis et moi nous sommes retrouvés seuls. Mon fils, devenu adulte, ma réconfortée comme il a pu. « Ne tinquiète pas, maman, on sen sortira. »

Ah, Théo, tu es ma blessure secrète.

Locéan est profond, mais le cœur de lhomme lest encore plus. Que ne renferme-t-il pas ?

Après Théo, mon âme sest vidée, engourdie. Plus que des cendres là où fut lamour. Personne dautre na croisé ma route. Personne pour me réchauffer, allumer une lumière, partager un espoir.

Le temps a filé. Louis sest marié. Il a quitté la maison.

Et un jour, jai croisé Théo par hasard. Il faisait peine à voir. Ses yeux étaient emplis de tristesse. Comme laurait dit ma grand-mère : « Il a dansé, dansé, et fini par tomber sur les braises »

Où es-tu ? Que deviens-tu ? ai-je demandé prudemment.

Nulle part. Je me promène, a-t-il répondu bizarrement.

Il avait lair si perdu

Bref, cela fait sept ans que nous sommes de nouveau ensemble. Apparemment, même en automne, on peut entrevoir des jours dété. Nous élevons notre petit-fils. Sommes-nous heureux ? Oui. Peut-être est-ce cela, lamour véritable, celui qui a souffert ?

P.S. Élodie a épousé un Américain et est partie vivre avec sa fille là-bas. En partant, elle a lancé négligemment à Théo :

Je te laisse entre les mains de ton ange gardien, Irène

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Le vieux grincheux m’a offert un peigne. Ce qui s’est passé ensuite a bouleversé toute ma vie.