La Bourse Nomade : Trésor des Voyageurs d’Autrefois

**LE SAC À DOUBLE FOND**

Je ne me suis jamais considérée comme une beauté. Joliette non plus, on ne pourrait pas dire ça. Mais bon, tout le monde ne peut pas défiler sur les podiums En revanche, à lécole, mes amies étaient toutes des petites beautés. Au début, cela me surprenait, jusquà ce que ma grand-mère préférée mouvre les yeux :
« Eh, ma petite ! Tes copines sont bien contentes de sortir avec toi, leur «souris grise» ! Tu ne leur voleras jamais un garçon. Qui voudrait de toi ? »

Ces mots mont blessée jusquaux larmes. Puis, après réflexion, elle a tenté de me consoler :
« Ne ten fais pas. Ce nest pas sur un visage quon imprime les brioches. Rappelle-toi, ma fifille, les couleurs trop vives passent vite. Ne pleure pas, ma colombe, il y aura bien quelquun pour ton gâteau. »

Les « gourmands » se sont fait attendre jusquà mes 27 ans. En attendant, jai étudié, travaillé dur, comprenant quil ne fallait compter que sur moi-même.

Cest ma copine, Chloé, qui ma présenté Antoine. Il la harcelait de ses « attentions insupportables », pire quun radis trop fort.
« Prends-le, Marion ! Peut-être que ça marchera entre vous. Moi, je me marie », ma-t-elle lancé.

Jai accepté Antoine sans hésiter. Javais envie de lengloutir damour. Il me plaisait tant. Et puis, javais assez traîné dans le célibat. Pourquoi faire des manières ?
Jai même cru quAntoine avait soupiré de soulagement en tombant dans mes bras. Le mariage fut vite organisé.

Ma grand-mère mavait avertie :
« Méfie-toi, ma Marion, tu vas en baver avec lui. Je le sens, ton Antoine na pas fini de courir. Il aurait dû samuser avant de se ranger. Ne te vante pas dun mariage de trois jours, mais de trois ans »

Mais à lépoque, je nen avais que faire. Antoine et moi étions comme deux veaux, collés lun à lautre. Le mariage mavait donné des ailes immenses !

Notre petit Louis est né. Antoine la adoré sans réserve. Le soir, il lui lisait des contes, chantait des berceuses, le gâtait.
En grandissant, Louis sest davantage tourné vers son père que vers moi. Je nai pas jaloux. Pourvu que la maison reste paisible.

Nous avons vécu cinq ans dans un bonheur sans nuages. Puis le malheur a frappé à notre porte

Est-ce que Chloé ma enviée ? Ou navait-elle jamais vraiment oublié Antoine ? Toujours est-il quelle la repris dans ses filets gluants. Jai appris par dautres quelle avait divorcé, sans enfants.

Je me suis sentie délavée. Mes ailes se sont affaissées. Mon bonheur nétait pas bien accroché. Mes sanglots semblaient ne jamais devoir cesser. Expliquer à Louis fut insupportable. Cest moi, désormais, qui lui racontais des histoires sur son père. Mais les larmes ont séché. Il fallait élever mon garçon et rester une mère digne. Au fond, jespérais quAntoine reviendrait à la raison, ne serait-ce que pour notre Louis.

Antoine est revenu pour récupérer son passeport. Il a balbutié que Chloé voulait un vrai mariage. Jai refusé net. Il a haussé les épaules, est parti sans discuter. Peu après, il en a obtenu un duplicata.

Je ne sais pas ce que Chloé lui a promis, mais Antoine nous a complètement oubliés, Louis et moi. Pourtant Je reconnais quelle était la plus belle de notre classe. Éclatante, rieuse, insouciante et envoûtante. Elle savait tisser des mots doux. Mais souvent, elle disait une chose et pensait linverse. Ça ne mavait jamais dérangée. À tort. On dit de ces femmes-là : regard tendre, cœur de cendre.

Jaurais dû comprendre quelle ne me prêtait Antoine que pour un temps. Elle avait bien dit : « Je me marie. » Une fois divorcée, elle réclamait ce quelle mavait « prêté ».

Jai reçu deux convocations au tribunal pour le divorce. Je ne me suis pas présentée. Je retardais léchéance et prolongeais ma souffrance.

Le temps a passé. Antoine a fini par revenir à lui. Il sennuyait de Louis. Il ma demandé de le voir. Je nai pas refusé. Je ne pensais plus à lui, trop occupée par notre fils. Louis et moi avions appris à vivre seuls. Il avait douze ans.

Le malheur, comme on dit, pousse même sans pluie. Un jour, Chloé est venue sonner à ma porte.
« Alors, comment ça va, ma vieille ? Toujours pas remariée ? » a-t-elle ricané.
« Quest-ce que tu veux ? » ai-je répondu, glaciale.
« Antoine veut que tu amènes Louis à lhôpital. Pour lui dire au revoir », a-t-elle lâché.

Mes jambes ont flanché, tout a tourné devant mes yeux.
« Quest-ce quil a, Antoine ? » ai-je murmuré.
« Il a une opération demain. Il a peur de ne pas sen sortir », a-t-elle dit en séloignant déjà.
« Il sen sortira ! Il doit sen sortir ! » ai-je hurlé derrière elle.

Lopération a réussi. Antoine a survécu, mais est resté handicapé à quarante ans. Il ne marchait plus seul, sappuyait sur une canne. La question sest posée : comment allait-il vivre ? Chloé la pris chez elle. Mais je savais que ce ne serait pas pour longtemps.

Jai eu envie de le reprendre tout de suite. Je ne croyais pas en Chloé. Son âme était sombre comme un puits.
Jai attendu. Laissons la boue se décanter, peut-être pourrons-nous boire une eau claire.

Trois mois plus tard, Chloé a appelé.
« Marion, Antoine ne supporte pas dêtre sans Louis. »
« Ou cest toi qui ne le supportes plus ? » ai-je rétorqué.

Bref, Antoine est revenu. Tout simplement, Chloé avait rendu sa vie impossible. Vivre avec un handicapé, ce nest pas du gâteau.
Antoine était devenu irritable, silencieux, amer.

Mais lamour endure, pardonne, nentretient pas de rancune. Louis et moi lavons entouré de soins constants. Peu à peu, il a dégelé. Mieux : il a même abandonné sa canne. Il boitait, mais il tenait debout seul.

Six mois ont passé.

Chloé est revenue. Avec un bébé dans les bras.
« On fait comment pour se partager Antoine ? Jai une fille de lui », a-t-elle déclaré.
« Chloé, tu es comme lherbe folle, tu tenroules autour des jambes. Pourquoi taccroches-tu à son âme ? Tu tes glissée comme une vipère. Quand disparaîtras-tu de nos vies ? Tu ne fais que nouer des nœuds ! Quand nous laisseras-tu respirer ? » ai-je supplié, désespérée.
« Antoine est à moi ! » a-t-elle glapi.

Et elle avait raison. Je ne lui en veux pas. Il est reparti avec elle. Apparemment, vieille amour ne soublie pas.

Ma grand-mère na pas manqué de commenter :
« Toi, ma Marion, tu nas pas un mari, mais un sac à double fond ! »

Louis et moi sommes restés seuls. Mon fils a grandi et ma consolée comme il a pu. « Ne tinquiète pas, maman, on sen sortira. »

Ah, Antoine, tu es une épine dans mon cœur.
Locéan est profond, mais le cœur de lhomme lest encore plus. Que ne contient-il pas ?

Après Antoine, mon âme sest vidée, glacée. Plus que des cendres là où il y avait de lamour. Personne dautre na croisé ma route. Personne pour me réchauffer, allumer une lumière, partager un espoir.

Le temps a filé. Louis sest marié. Il a quitté la maison.

Et un jour, jai croisé Antoine par hasard. Il était pitoyable. Ses yeux reflétaient une tristesse infinie. Comme aurait dit ma grand-mère : « Il a dansé, dansé, et fini embroché »

« Où es-tu, que fais-tu ? » ai-je demandé doucement.
« Nulle part. Je me promène », a-t-il répondu, étrangement.
Il avait lair si perdu

Bref, nous sommes de nouveau ensemble depuis sept ans. Il arrive que lété brille encore en automne. Nous élevons notre petit-fils. Sommes-nous heureux ? Oui. Peut-être est-ce ça, lamour vrai, celui qui a souffert ?

P.-S. Chloé a épousé un Américain et est partie vivre là-bas avec sa fille. En partant, elle a lancé négligemment à Antoine :
« Je te laisse entre les mains de ton ange gardien, Marion »

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