**Létrange testament de ma femme**
Ce samedi matin, mon gendre devait venir me chercher, moi, Véronique Dumont, à la maison de campagne. Dommage de quitter ce petit coin de paradis, mais fin octobre approche. Leau est coupée, il est temps de rentrer à Paris.
Vé-é-ronique ! Tu es là ? appela Léo Moreau, mon voisin, en frappant à la porte. Entre, Léo, je suis encore là. Je fais mes valises, mon gendre passe après-demain. Il va encore râler à cause des sacs, bien sûr. Mais que faire ? Ce ne sont pas mes affaires, surtout les récoltes. Jai séché des pommes, quelle année généreuse ! Des cornichons, des confitures, des ratatouilles Je ne vais pas laisser tout ça ici. Cest pour eux que je fais ça, pas pour moi.
Je comprends, Véronique. Moi aussi, je rentre bientôt, mais pas tout de suite. Lautomne est si beau ici. Éliane adorait cette saison. Dailleurs, Véronique, tu te souviens quand on fêtait tous la fin de lété ensemble ? Ton Jacques était encore là, on était jeunes, les enfants petits. Maintenant, les jardins sont envahis. À lépoque, cétait tout nu, les pommiers à peine grands comme ça. Je suis venu te demander Aujourdhui, ça fait un an quÉliane nous a quittés. Jaimerais lhonorer, murmura Léo en tripotant une enveloppe. Seul, cest dur. Si on le faisait ensemble ? Jai préparé des pommes de terre sautées. On pourrait se souvenir delle, parler un peu Et puis, jai quelque chose à te dire. Tu viens ?
Bien sûr, Léo. Tiens, prends ces cornichons. Je passe dans une demi-heure, regarde, tout est encore éparpillé ici.
Nos familles étaient amies depuis des années. Quand lentreprise nous avait offert ces parcelles, quelle joie ! On a construit nos maisons, planté des arbres, célébré les anniversaires dété ensemble. Lété, cétait une petite vie à part. Maintenant, ce sont mes petits-enfants qui viennent, alors je ne mennuie pas. Mais Jacques, lui, est parti il y a sept ans.
Léo et Éliane sont restés mes voisins. Enfin Éliane nest plus là depuis lan dernier. Elle était si fière davoir maigri, comme un mannequin. Et puis Cet été était étrange. Léo, perdu, a bêché le potager, mais pour qui ? Éliane nétait plus là. On lentendait bricoler dans son cabanon, jurer quand ça ne marchait pas. Mes petits-enfants sont venus moins souvent colonie de vacances, voyages Je me demande pour qui jai planté tout ça.
Un soupir, et me voilà partie chez Léo, comme promis.
Il mattendait. La table était mise : pommes de terre dorées, tomates, mes cornichons, un peu de saucisson.
Assieds-toi, Véronique. Demain, les enfants viennent. Mais ce soir, cest pour Éliane. Regarde, jai retrouvé des photos. Tu vois ? Jacques plante un cerisier avec toi. Et là, on rentre des champignons, paniers remplis ! Et ce barbecue la fumée, Éliane qui plisse les yeux. Léo remplit deux petits verres. À nous. À Éliane. Et à Jacques. Un silence. Un croquant de cornichon. Puis il sort lenveloppe.
Écoute, ne sois pas surprise. Lan dernier, Éliane sest éteinte sous mes yeux. En août, on a quitté la campagne. En septembre, elle ne se levait plus. Mais elle restait forte. On a revécu chaque jour de notre vie, regardé nos films préférés, parlé de tout. Un jour, elle ma dit :
*»Léo, promets-moi de faire ce que je te demande. Cest mon testament. Ne discute pas, tu comprends.»*
Et elle ma donné cette enveloppe. Lis.
Mais cest pour toi !
Lis, tu comprendras.
Jai ouvert. Lécriture dÉliane :
*Mon Léo, je pars trop tôt. Mais vis pour nous deux ! Je te lègue le bonheur. Pas question de moublier, mais je ne veux pas te voir souffrir. Naie pas peur dêtre heureux. Peut-être rencontreras-tu quelquun ? Sache que je serais contente si cétait Véronique. Elle te comprendra. Propose-lui de vivre ensemble ce sera mieux pour tous. Ne renonce jamais. Vis, malgré tout. Ton Éliane.*
Jai relu, levé les yeux vers Léo.
Jai promis. À toi de décider. Véronique, essayons. Notre amitié est précieuse. Personne na le droit de juger. La joie est une grâce, la tristesse un péché. Épouse-moi, je te promets, tu ne le regretteras pas.
Jétais sans voix. Puis jai souri :
Daccord, Léo. Je réfléchis. Je dirai à mon gendre que je reste une semaine de plus.
Cette nuit-là, je nai pas dormi. Une décision si lourde Ma vie a défilé. À laube, Jacques mest apparu en rêve, riant :
*»Arrête de te torturer. À deux, cest plus facile. Épouse Léo, un point cest tout. Je suis heureux que tu ne sois plus seule.»*
Lété suivant, on a enlevé la clôture entre nos jardins. Deux fois plus de petits-enfants ! Léo a construit une balançoire, fabriqué des arcs pour les garçons. Jai planté assez pour nourrir toute notre famille. Les petites maident, chacune a son carré de potager.
Nos enfants viennent le week-end. Ils sont contents de nous voir heureux.
Certains nous jugeront peut-être. Mais Éliane et Jacques, là-haut, sourient. Le Testament du bonheur est accompli. Et la vie, malgré tout, continue.







