La grand-mère
La grand-mère naimait pas Victor…
Non, elle ne laimait pas, un point cest tout. Elle le traitait de vaurien, de fainéant, de malotru.
Victor, en retour, lui tenait tête et lui jouait des tours pendables.
Elle préparait la pâte à pain, il y jetait des graines de fenouil ou danis. La pâte gonflait, débordait du pétrin, et quand la grand-mère façonnait le pain, il était parsemé de ces graines.
Mange-le, toi-même !
Jamais. Garde ton pain immangeable.
Ah, petite tête sans cervelle, tu nas pas connu la guerre, la famine !
Et toi, si ? Bien sûr !
Si, je lai connue… On ramassait les épis dans les champs, on grattait la terre pour trouver une vieille pomme de terre oubliée, et cétait une bénédiction… Au printemps, les herbes poussaient, et on faisait des soupes dortie, du pain de quinoa, des salades sauvages…
Des salades de quoi ? Vous mangiez les gens ? Les pouilleux ?
Mais non, imbécile ! Cest une plante, le poireau sauvage, délicieux… Et puis venaient les baies, les champignons… On a survécu… et toi, tu te plains…
Parfois, la paix régnait entre eux, mais plus Victor grandissait, plus ces jours devenaient rares.
Je le dirai à maman, que tu me maltraites.
Ah, je te maltraite ? Regardez-moi ce petit effronté ! Va donc chez ta mère, va !
Jirai.
Vas-y, vas-y… Comme si elle avait besoin de toi. Elle ta abandonné comme un chiot dans un fossé…
La mère de Victor, après une vie errante, sétait remariée. Le beau-père, un homme sobre, à linverse de son père qui avait péri gelé dans livresse, ne fumait pas, mais avait un cœur dur.
Son vrai père, lui, était bon. Après quelques verres, il devenait joyeux, achetait des jouets et des sucreries à Victor, malgré les reproches de sa mère. Il la soulevait dans ses bras, la faisait tournoyer… Pas comme ce nouvel homme, avare et froid.
Lorsquelle le présenta à Victor, le beau-père grimace :
Combien de temps ce gamin restera-t-il ici ?
Cest mon fils, répondit la mère. Tu savais que javais un enfant.
Il a bien vécu quelque part jusquà présent ?
Chez ma mère, pendant les vacances.
Quil y reste, alors.
Il doit aller à lécole.
Il ny en a pas là-bas ? Nous néconomiserons jamais rien si nous devons nourrir une bouche de plus. Lautre jour, il a englouti trois bonbons.
Cest faux ! protesta Victor. Je nai pris quun seul bonbon ce matin !
Les conflits senvenimèrent. Le beau-père comptait les morceaux, refusait quon achète des vêtements pour Victor. Finalement, sa mère le renvoya chez sa grand-mère.
Maman, pourquoi as-tu besoin de lui ? On était si bien toutes les deux…
Victor… Cest dur, seule. Je croyais quil serait un mari pour moi, un père pour toi… mais cest une bête féroce.
Quitte-le. Vivons ensemble, comme avant.
Je ne peux pas. La chambre est louée…
Demande-la à nouveau. Dis que tu as commis une erreur en épousant cet avare. Ils auront pitié.
Ce nest pas si simple…
La mère serra Victor contre elle et pleura.
Pourquoi tu pleures ? À cause de moi ? Si je pars chez grand-mère, il te fera moins de mal ? Alors emmène-moi…
Les visites de sa mère se firent rares. Victor la languissait. Quand elle venait, ils ne se quittaient plus, parlant sans fin.
La grand-mère souriait alors, les appelant ses petits chéris, préparant des festins.
Tu ne pourrais pas rester, Katia ?
Je ne peux pas, maman… tu comprends.
Ah, ma douleur, ma peine…
Dès que sa mère partait, la grand-mère redevenait sévère.
Elle interdisait à Victor daller jouer près de létang avec les garçons.
Va barboter dans la rivière derrière le potager.
Mais cette rivière était minuscule, ridicule. Lui voulait rejoindre ses amis, plonger du tremplin quils avaient construit, nager dans leau tiède, éclabousser les filles rieuses, puis sallonger sur le sable, regardant les vaches paître sur lautre rive…
Quel bonheur !
Mais la grand-mère ne comprenait pas. Si elle laimait, elle le laisserait partir. Tous les garçons y allaient.
Elle disait que des enfants sy étaient noyés… mais il y en avait tous les ans. Fallait-il pour autant priver Victor de ce plaisir ?
Elle refusait aussi les nuits dans les bois. Une fois, disait-elle, des enfants avaient été attaqués par un lynx… Mais cétait il y a des années !
Les mois passèrent. Sa mère ne venait plus.
Un jour, elle arriva… enflée, étrangement. Le beau-père comptait chaque bouchée, mais elle avait grossi.
La grand-mère hocha la tête.
Pour quand, Katia ?
Pour la Toussaint.
Que Dieu nous aide… Oh, nos péchés…
Grand-mère… Victor, déjà grand, sapprocha. Maman attend un bébé ?
Oui.
Et moi ? Où serai-je ?
Tu seras avec moi, mon petit. Nous vivrons ensemble. Personne ne taime, sauf ta grand-mère.
Même pas maman ?
Elle le serra plus fort, sans répondre.
La neige tomba à la Toussaint. La grand-mère emmena Victor en ville.
Sa mère, gonflée, le serra dans ses bras.
Pour combien de temps, Pélagie ? demanda le beau-père le soir même.
Pour toujours.
Il sursauta.
Comment ça ?
Victor est son fils. Je suis sa mère. Je suis vieille, lui est jeune. Je ne le laisserai pas seul sous ta coupe. À deux, tu noserais pas nous maltraiter.
Le beau-père, écarlate, seffondra sur une chaise.
Maman, ne leffraie pas ! dit la mère.
Nous vivrons ici, sans ton tyran. Jai apporté mon thé, mes gâteaux. Mange, nous navons besoin de rien. Mais tu devras assumer tes devoirs de père.
Elle plaisante, Gricha !
Drôles de plaisanteries…
Allons, Victor, achetons des vêtements. Jai un peu dargent.
Ils firent des courses, rencontrèrent des amis. Les yeux de Victor sembuèrent.
Quy a-t-il ?
Rien…
Comment la grand-mère aurait-elle compris ?
Allons à la pâtisserie. Une religieuse ?
Victor, surpris, avait cru quelle ne laimait pas.
Et toi ? demanda-t-il timidement. On a assez dargent ?
Mon petit or… Tu penses à ta grand-mère ? Jai déjà goûté ces gâteaux, délicieux…
Deux, alors ? Ou trois ?
Ils mangèrent avec plaisir. En rentrant, des gitannes vendaient des châles magnifiques.
Regarde, il passe à travers un anneau !
La grand-mère marchanda, mais le prix était exorbitant.
Va-ten !
Elle entraîna Victor, mais il avait vu son regard sur le châle. La gitane les poursuivit, baissant le prix jusquà ce quils montent dans le bus.
La







