Un jour, ma grand-mère a eu des vertiges, et le médecin des urgences qui est venu a préféré ne pas prendre de risques et la emmenée à lhôpital. Là-bas, on lui a gentiment expliqué quà son âge, ce nétait plus très convenable de courir les théâtres avec ses copines du troisième âge. La mort nest plus très loin, et il vaut mieux laccueillir comme il se doit dans son lit, et pas pendant une partie de poker chez une amie.
Ma grand-mère a décidé de mourir avec style et réflexion. Dabord, elle a acheté une tonne de médicaments et les a alignés sur sa table de nuit. Lair sest vite imprégné dune odeur persistante de valériane. Ensuite, elle nous a tous mis à contribution, exigeant quon sacrifie notre temps et nos nerfs pour laider dans son processus solennel de mourir. Elle capricieuse, réclamait de nouveaux médicaments, tantôt un médecin, tantôt un notaire.
Ma mère était sur les rotules, essayant de satisfaire ses moindres désirs et de la convaincre que cétait un peu tôt pour mourir. En réponse, mamie roulait des yeux et demandait quon lui donne encore quelques gouttes de valériane.
Mais un jour, son amie de longue date, Margot, est arrivée. Heureusement, jétais chez elle à ce moment-là et jai pu assister à la scène.
On dit que tu as enfin décidé de claquer, a-t-elle lancé dune voix rauque. Bravo. Il faut bien que lune dentre nous fasse le premier pas vers lau-delà pour tout préparer. Mais dis-moi franchement tu comptes vraiment te faire enterrer dans un état pareil ?
Ma grand-mère a grogné quelle sen fichait de son apparence dans le cercueil.
Toi, peut-être, a rétorqué Margot, mais moi, je devrais regarder cette horreur ! Et pire, je devrais lembrasser ! Que penseront les gens ? Ils croiront venir à des obsèques dignes, et on les aura trompés. Je ne pourrai même pas les regarder en face !
Mais quest-ce que les gens viennent faire là-dedans ? sest exclamée mamie.
Parce quils viendront en pensant enterrer lamie de Margot, et Margot ne fréquente pas nimporte qui. Sils te voient comme ça, ils croiront quon leur a refilé un autre cadavre et ils seront vexés ! Dailleurs, pourquoi tous ces médicaments ? Tu es en train de tempoisonner avec ces saletés ?
Jessaie de soulager mes souffrances, a tenté de protester ma grand-mère.
Tu es en train de détruire ton foie et un foie malade donne un teint dégueulasse. Tu veux que les gens fuient ton cercueil en hurlant ?
Mamie a réfléchi et a admis quun bon teint dans le cercueil, cétait mieux. Son amie la encouragée et lui a proposé daller prendre lair pour se faire un joli rouge aux joues, très élégant sur un lit de mort.
Bouche bée, jai regardé ma grand-mère, qui était en train de mourir il y a deux secondes, glisser du lit et se traîner vers la douche, quelle refusait de prendre depuis trois semaines.
Pendant ce temps, Margot, le nez plissé, ma ordonné de changer tous les draps pour les laver et de leur préparer deux tasses de café bien serré, avec un petit coup de cognac, disons cinquante grammes. Parce que le cognac, cest bon pour le moral et les nerfs. Et dans un cercueil, comme tu lauras deviné, mieux vaut avoir les nerfs solides et le cœur léger
Son amie sest tellement investie dans les futurs obsèques de mamie quelle la préparée avec zèle pendant deux semaines. Elles sont allées chez le coiffeur, le masseur et linstitut de beauté. Elles ont fait du shopping, dévalisé les soldes et acheté plein de petits accessoires indispensables dans lau-delà comme un chapeau à voilette, des gants, du maquillage.
Du coup, mamie ne stresse plus pour ses obsèques, elle sait que ce sera parfait. Et pour passer le temps, elle a repris ses virées entre copines, ses parties de belote et ses pique-niques joyeux. Elle dit que si la mort la veut vraiment, quelle vienne la chercher elle-même
Pour linstant, la Camarde ne se presse pas sans doute parce que mamie na pas encore assez bon teint…
