« Tu nes pas de la famille, tu nas aucun droit », lui rappela sa belle-sœur lors des funérailles de son père.
« Tu nes pas de la famille, tu nas aucun droit », murmura Amélie entre ses dents, debout près du cercueil de son père. « Alors ne compte sur rien. »
Élodie tressaillit, comme si elle venait de recevoir une gifle. Elle tenait entre ses mains un bouquet de roses blanches et peinait à croire ce quelle venait dentendre. Autour delle, les invités sapprochaient du cercueil, murmuraient des prières, se signaient, tandis que sa belle-sœur la dévisageait avec une haine à peine dissimulée.
« Amélie, je ten prie, pas maintenant », chuchota Élodie. « Papa nest même pas encore enterré. »
« Justement, *mon* papa », insista Amélie. « Mon père par le sang. Et toi, qui es-tu ? Une fille adoptive quil a prise par pitié. »
Élodie déposa les roses près de la tête du cercueil et recula dun pas. Une boule lui serrait la gorge, et ses yeux se remplirent de larmes. Léon Dubois reposait dans une chemise blanche quelle avait choisie elle-même la veille dans une boutique. Ses mains étaient jointes sur sa poitrine, son visage paisible. On aurait dit quil dormait, mais il ne rouvrirait plus jamais les yeux, ne lui dirait plus jamais bonjour, ne lui caresserait plus les cheveux comme il le faisait depuis trente ans.
« Mes filles, quest-ce qui se passe ? » intervint tante Sophie, une voisine de Léon. « Se disputer pendant des funérailles, quelle honte. »
« Personne ne se dispute », rétorqua Amélie. « Je rappelle simplement à certaines personnes leur place. »
Tante Sophie secoua la tête et séloigna. Élodie se tenait à lécart, étrangère au milieu de ces gens quelle connaissait pourtant depuis lenfance. Voisins, collègues de son père, parents éloignés tous étaient venus accompagner Léon Dubois dans son dernier voyage, et elle réalisait soudain quelle navait peut-être même pas le droit de se tenir aux côtés de sa fille.
« Élodie, comment tu vas ? » demanda Lucie, une amie de travail. « Courage, ma chérie. »
« Merci dêtre venue », répondit Élodie en lembrassant.
« Pourquoi Amélie te regarde comme si tu étais son ennemie ? »
« Elle pense que je naurais pas dû venir. »
« Comment ça ? Tu as vécu avec ton père depuis tes cinq ans. Cest lui qui ta élevée. »
Élodie hocha la tête, essuyant ses larmes avec un mouchoir. Elle se souvenait encore du jour où Léon lavait ramenée de lorphelinat. Un homme imposant, aux moustaches grises et à la voix grave, qui sentait le tabac et lui avait montré une petite chambre avec un lit denfant en disant : « Maintenant, cest chez toi. »
« Élodie, viens ici », appela Amélie.
Élodie sapprocha, sattendant à de nouvelles piques, mais sa belle-sœur la prit par le bras et lentraîna vers la sortie de la chapelle.
« Nous devons parler », déclara-t-elle une fois seules dans le couloir.
« De quoi ? »
« De lhéritage. Tu comprends bien que lappartement et la maison de campagne me reviennent, nest-ce pas ? Je suis sa seule fille par le sang. »
Élodie la regarda, stupéfaite. Elle navait même pas songé à lhéritage elle ne pensait quà organiser lenterrement, les obsèques, prévenir les proches.
« Amélie, parlons de tout ça après les funérailles. »
« Non, maintenant. Pour éviter les malentendus. Papa na pas laissé de testament, donc tout sera distribué selon la loi. Et la loi dit que les héritiers de premier rang sont les enfants et le conjoint. Tu nes ni son épouse ni sa fille naturelle. »
« Mais il ma adoptée légalement », objecta Élodie. « Jai les papiers. »
Amélie grimça.
« Et alors ? Il ta adoptée par pitié. Et maintenant, tu comptes te servir ? Récupérer un appartement en plein Paris ? »
« Je ne compte rien prendre », sindigna Élodie. « Je veux juste ses livres et quelques photos. Le reste est à toi. »
« Bien sûr, je te crois. Tout le monde dit ça avant de porter laffaire en justice. »
Une vague damertume submergea Élodie. Trente ans passés dans cette famille, trente ans à considérer Léon comme son père et Amélie comme sa sœur. Et maintenant, elle découvrait quelle nétait quune intruse tolérée par charité.
« Écoute, Amélie », dit-elle calmement, « je ne vais même pas discuter. Fais ce que tu veux. Enterre papa dignement, cest tout ce que je demande. »
« Cest à toi de me dire comment enterrer mon propre père ? »
« Oui. Parce que ces dernières années, cest moi qui ai vécu avec lui, pas toi. Parce que cest moi qui me suis occupée de lui quand il était malade, pendant que tu venais une fois par mois pour trente minutes. »
Amélie rougit.
« Moi, au moins, je suis sa fille par le sang. Toi, tu nes quune enfant trouvée ! »
Les mots frappèrent Élodie plus violemment quun coup. Elle tourna les talons et retourna dans la chapelle, où reposait Léon.
Les invités commençaient à partir, ne restaient que les plus proches. Lenterrement aurait lieu le lendemain, suivi dune réception. Élodie songea à lendroit où lorganiser. Lappartement était trop petit, et réserver une salle coûterait cher. Léon avait toujours été économe, sa retraite était modeste.
« Élodie », lui dit le voisin, tonton Marcel, « je passerai demain avec ma voiture pour aider à porter le cercueil. »
« Merci, tonton Marcel », répondit-elle en lui serrant la main.
« Ne fais pas attention à Amélie. Elle a toujours été comme ça, jalouse. Je me souviens quand tu es arrivée, elle te regardait de travers sans arrêt. »
Élodie acquiesça. Elle se rappelait ces premiers mois dans la famille, combien il avait été difficile de sadapter. Amélie était déjà à la fac à lépoque, revenait le week-end et affichait une hostilité ouverte envers cette nouvelle sœur. Elle cachait ses affaires, interdisait laccès à sa chambre, était polie devant leurs parents mais pouvait la bousculer ou linsulter dès quils avaient le dos tourné.
Mais Léon voyait tout et prenait toujours la défense de sa fille adoptive. Il rappelait à Amélie quÉlodie faisait désormais partie de la famille et quelle devait laimer comme une vraie sœur.
« Papa, tu viens ? » demanda Amélie en prenant son bras. « Il faut encore aller à la pompe funèbre. »
« Bien sûr, ma chérie », répondit-il en lembrassant sur le front. « Élodie, tu viens avec nous ? »
« Non, je rentre à la maison. Demain, il faut se lever tôt. »
« Cest vrai. Repose-toi, demain sera une journée difficile. »
Léon serra sa fille adoptive dans ses bras et murmura à son oreille :
« Ne ten fais pas pour Amélie. Elle est bouleversée, alors elle se défoule. Avec le temps, tout sarrangera. »
Mais le temps passa, et rien ne sarrangea. Amélie grandit, se maria, eut des enfants, mais continua







