Elle avait subi les brimades de sa belle-mère pendant vingt ans, mais ses derniers mots lavaient glacée dhorreur.
Il ne fallait pas crier comme ça sur elle, Marie. Elle est vieille, maintenant, dit Pierre en posant sa tasse sur la table, le regard coupable.
Vieille ? Et quand elle me pourrissait la vie, elle était jeune, peut-être ? Marie se retourna brusquement vers la fenêtre. Vingt ans, Pierre ! Vingt ans que je supporte ses caprices !
Mais elle est malade maintenant…
Malade ! ricana Marie. Malade quand ça larrange. Mais pour critiquer la voisine Claudine ou me briser les nerfs, là, elle est en pleine forme.
Pierre acheva son thé en silence. Il était fatigué de ces querelles éternelles entre sa femme et sa mère. Chaque jour, la même rengaine. Sa mère disait quelque chose, Marie senflammait, puis les portes claquaient, les mots blessants fusaient.
Quest-ce quelle ta dit, au juste ? demanda-t-il, bien quil sût quil valait mieux ne pas poser la question.
Marie ferma les yeux, comme pour rassembler ses forces.
Elle a dit que jétais une mauvaise ménagère. Que ma soupe était immangeable, que la maison était sale, que les enfants étaient mal élevés. Et puis elle a ajouté que je ferais bien de minspirer de Sophie, la femme de ton frère. Elle, au moins, sait cuisiner et tenir une maison.
Maman… elle a juste besoin de tout contrôler.
Besoin ! la voix de Marie dérapa en cri. Et moi, alors ? Je nai pas besoin, peut-être ? Je nai pas besoin de préparer le dîner après le travail, de laver, de ranger ? Je nai pas besoin dentendre chaque jour que je ne vaux rien ?
Pierre se leva, voulut prendre sa femme dans ses bras, mais elle se déroba.
Tu sais ce quelle ma dit pour finir, aujourdhui ? Marie essuya ses yeux avec la manche de sa robe de chambre. Que quand tu ne seras plus là, je resterai seule quand même. Parce que personne ne voudra de quelquun comme moi.
Pierre resta figé, les bras tendus.
Elle na pas dit ça…
Si ! Exactement ces mots-là ! Et puis elle a claqué la porte si fort que le plâtre a craqué.
Des pas résonnèrent dans le couloir. La porte grinça doucement, et Élodie, dix ans, passa la tête dans la cuisine.
Maman, mamie est partie ? Elle ne ma rien dit, la fillette sapprocha de sa mère, lentourant de ses bras.
Elle est partie, ma chérie. Rentrée chez elle, Marie caressa les cheveux de sa fille.
Pourquoi vous vous disputez encore ? Jai peur quand vous criez.
Marie saccroupit devant sa fille, plongea son regard dans le sien.
Pardonne-nous, mon soleil. Les grandes personnes ne savent pas toujours sentendre. Mais ça ne veut pas dire quon ne saime pas.
Mamie ne taime pas, dit Élodie, innocemment. Elle est toujours fâchée contre toi. Ça me rend triste.
Marie serra sa fille contre elle. Les larmes coulaient à nouveau.
Va faire tes devoirs, Élodie. Papa et moi avons encore à discuter.
Une fois la petite partie, Pierre sassit près de sa femme.
Marie, je vais parler à maman. Lui expliquer…
Quest-ce que tu vas lui expliquer ? demanda Marie, épuisée. Tu expliques depuis vingt ans. Ça ne change rien.
Alors, que faire ?
Marie resta longtemps silencieuse, contemplant ses mains. Ces mains qui avaient lavé la vaisselle, repassé le linge, caressé les vêtements des enfants. Ces mains qui travaillaient huit heures par jour au supermarché, puis encore à la maison jusquau soir. Et sa belle-mère osait dire quelle était une mauvaise ménagère.
Tu te souviens de notre rencontre ? demanda-t-elle soudain.
Pierre la regarda, surpris.
Bien sûr. À la salle des fêtes. Tu portais une robe bleue.
Bleu ciel, corrigea Marie avec un sourire triste. Je croyais que tu étais le plus bel homme du monde. Et ta mère ma détestée dès le premier jour.
Elle avait juste peur que je me marie trop jeune…
Arrête de la justifier, Pierre ! senflamma Marie. Elle ma détestée parce que je ne venais pas dune famille riche. Parce que mes parents habitaient un petit appartement, que mon père était plombier, pas ingénieur comme le tien.
Cétait il y a si longtemps…
Si longtemps ? Et notre mariage, tu ten souviens ? Ta mère a fait la tête toute la soirée. Et quand nous avons emménagé ici, elle ma tout de suite dit que cétait sa maison, ses règles.
Marie se leva, alla à la cuisinière, mit la bouilloire en marche.
Vingt ans, Pierre. Vingt ans que jessaye de lui plaire. Je cuisine comme elle aime, je range comme elle exige, jélève les enfants selon ses conseils. Et en échange ?
Maman tapprécie…
Mapprécie ? éclata-t-elle dun rire amer. Elle me tolère. Ce nest pas pareil.
La bouilloire siffla. Marie prépara le thé, revint sasseoir.
Tu sais de quoi je rêve ? murmura-t-elle. Me lever le matin sans craindre son jugement sur mon petit-déjeuner. Rentrer du travail sans redouter quelle trouve de la poussière sur une étagère. Offrir des bonbons aux enfants sans entendre que je ruine leur estomac.
Marie…
Laisse-moi finir. Je rêve de vivre dans notre propre maison. Sans critiques constantes. Sans que les enfants entendent nos disputes.
Pierre prit la main de sa femme.
Mais maman est seule. Qui soccupera delle ?
Et qui soccupera de moi ? la voix de Marie trembla de colère. Quand jai eu une pneumonie, ta mère ne ma même pas apporté une tasse de thé. Mais elle exigeait que je prépare le dîner parce que sa soupe ne lui plaisait pas.
Cétait il y a cinq ans…
Et il y a quatre ans, quand jai été opérée. Et il y a trois ans, quand je me suis cassé le bras. Toujours, Pierre ! Toujours coupable de ne pas pouvoir remplir mes «devoirs».
On sonna à la porte. Pierre revint avec la voisine, tante Lucie.
Bonsoir, Marie ! tante Lucie sassit, refusant le thé. Je passais, je me suis dit que je ferais un saut. Jai vu Louise rentrer toute contrariée.
Contrariée, oui, grogna Marie.
Ne lui en veux pas, ma petite. Elle est vieille, malade. À son âge, le caractère se gâte.
Tante Lucie, vous savez ce quelle ma dit aujourdhui ?
Quoi donc ?
Marie répéta les mots de sa belle-mère. Tante Lucie hocha la tête.
Allons, Marie ! Louise a parlé sous le coup de la colère. Elle sait bien quelle ne pourrait pas se passer de toi.
Elle le sait ? Marie se raidit. Alors pourquoi ne me montre-t-elle jamais ?
Elle tapprécie, elle ne sait juste pas lexprimer. Combien de fois ma-t-elle vanté la femme que tu es ? Tes soins pour les enfants, ta manière de tenir la maison ?
Marie regarda la voisine, étonnée.
Elle a dit ça ?
Bien sûr ! Et que tu élevais bien tes enfants, que







