Quand aider n’est pas nécessaire : l’art de savoir s’abstenir

**Journal dun père Quand aider ne sert à rien**

« Ah, tu es vraiment ingrate ! On ta élevée, nourrie, et tu abandonnes ton père à larticle de la mort ! »

« Maman, ça suffit ! Je ne vous enverrai plus un seul centime tant que vous tout claquerez en alcool. Je ne financerai pas vos beuveries ! » Élodie essayait de garder une voix ferme, bien que des larmes perlaient au coin de ses yeux.

« Dans ce cas, ne nous appelle plus. Je ne veux plus te parler ! Et je linterdirai aussi à ton père », répliqua sa mère avant de raccrocher violemment.

Élodie saffala sur une chaise, posa son téléphone sur la table et se cacha le visage dans les mains. Dans la pièce voisine, son petit garçon se mit à pleurnicher. Elle retint un sanglot. Il fallait tenir. Il fallait être forte pour lui.

Mais comment rester forte quand les souvenirs te rongent ?

…Des images de son enfance lui revinrent. Lodeur écœurante dalcool et de tabac froid. La chambre aux papiers peints écaillés et aux portes cabossées. Cest là quelle se réfugiait quand ses parents, ivres, se criaient dessus et cassaient la vaisselle. Petite, elle ne comprenait pas, et cétait encore plus terrifiant. Chaque nuit, elle craignait que lun deux ne se réveille jamais.

Son seul divertissement ? Des « jouets » fabriqués avec des boîtes vides, des sacs en plastique et des bouchons de bière. Elle y jouait à la famille parfaite, simaginant un jour des parents souriants et aimants. Ou alors, elle se promettait de devenir une bonne mère, elle.

Sa mère, Justine, était pire encore. Élodie évitait son regard. Même sobre, elle était irritable, prompte à crier pour un rien. Si elle faisait tomber quelque chose, une gifle. Si elle renversait, la ceinture.

Aujourdhui, Élodie savait quelle ny était pour rien. Sa mère déversait sa colère sur elle. Mais à lépoque, la petite croyait mériter cet enfer.

Son père, Julien, avait parfois des éclairs de lucidité. Il soccupait delle, à sa manière, avant de replonger.

« Justine, tas au moins donné à manger à la gamine ? » demandait-il en rentrant du travail.

« Elle est grande ! Quelle se débrouille », rétorquait sa mère.

« Justine, elle a sept ans ! Elle ne va pas cuisiner. Fais un effort. »

Justine grognait mais préparait un repas souvent des pâtes, parfois avec des saucisses. La plupart du temps, Élodie se nourrissait seule : du pain, une carotte oubliée au frigo, des restes froids.

La peur et langoisse étaient ses compagnes. Elle sendormait au son des bouteilles qui sentrechoquaient, se réveillait aux cris. Et priait pour que ça sarrête.

Lécole fut son salut. Dès que possible, elle partit en internat à Lyon. Enfin libérée. Pourtant, la nuit, la culpabilité la rongeait : ses parents sans elle, elle aurait dû rester Elle luttait pour chasser ces pensées.

Avec sa mère, plus de contact. Ni appels, ni nouvelles. Avec son père, ce fut plus lent.

« Salut, ma puce. Alors, ça va ? » demandait-il quand il appelait.

Élodie pensait : *Je respire sans vous. Je mépuise à travailler. Jai enfin des amis qui ne me font pas honte.* Mais elle répondait :

« Oui, ça va. Et toi ? »

Elle savait que rien navait changé. Et peut-être lespérait-elle. Parce quun changement ne pouvait être que pire.

« Bof, comme dhab. »

Un silence pesant sinstallait avant quil ne raccroche, mal à laise. Peu à peu, les appels cessèrent.

Leur vie devint son fardeau, sa douleur secrète. Elle nen parla jamais. Même pas à son mari.

« Mes parents ne viendront pas au mariage », annonça-t-elle dun ton détaché, le cœur serré. « Ils vivent en campagne, cest trop loin. »

« Comment ça ? On peut leur payer les billets, insista Théo. Ce sont tes parents. Tous les parents veulent être là pour ça. »

*Tous. Sauf les miens.* Elle se mordit la lèvre pour ne pas pleurer.

« Impossible. Ma mère a des problèmes cardiaques, elle ne supporte pas les longs trajets. Écoute, je savais à quoi mattendre en partant Eux aussi. Je leur enverrai des photos. »

Théo haussa les épaules et ninsista pas.

Elle, elle ne voulait pas subir encore lhumiliation. Elle se souvenait de son anniversaire, ses dix ans, quand sa mère avait insulté sa meilleure amie, Camille, qui tentait de calmer une dispute :

« La ferme ! Tu es chez moi, tu manges ma nourriture ! »

Camille sétait enfermée dans les toilettes, refusant den sortir. Quand Élodie avait enfin pu la rejoindre, elle pleurait. Rouge de honte, Élodie navait plus jamais invité personne.

Elle ne voulait pas dun tel spectacle à son mariage. Elle ne les informa même pas. Elle tourna la page. Maintenant, elle avait une vraie famille sans cris, sans violence. Et un fils, Lucas.

Mais le passé frappa à nouveau.

« Élodie ton père va très mal », lui appela une voisine. « Il est à lhôpital. »

Son cœur se serra. Elle savait que ce jour viendrait, mais rien ne prépare à ça.

« Quest-ce quil a ? »

« Il est malade. Maigre, jaune Le foie, je crois. Mais avec leur vie Peut-être que tu devrais venir ? »

Sous-entendu : *une dernière fois.*

« Je verrai », promit-elle.

Ce soir-là, elle tout avoua à Théo. Son enfance, lalcool, les disputes. Et pourtant, laffection rare mais réelle de son père.

« Tu appelles ça de laffection ? gronda Théo. Laisser sa fille avec une mère ivre, se disputer pendant des années, pousser son enfant à fuir »

Le regard blessé dÉlodie lui fit comprendre : elle les aimait malgré tout. Comme un chien qui revient vers son maître après un coup de pied. Il soupira.

« Élodie, je ne veux pas que tu y ailles avec Lucas. Et moi, je ne peux pas rester seul avec lui »

« Je comprends. Mais on pourrait envoyer de largent pour ses médicaments ? »

« Élodie, tu les connais. Il le boira. »

« Mais Théo »

« Cest ton choix. Si tu veux priver Lucas dun jouet pour ça, à toi de voir. »

Elle envoya plus que prévu, mentant sur des dépenses coiffeur.

Son père fut soigné, sembla aller mieux. Mais deux mois plus tard, la voisine rappela.

« Élodie, je comprends, mais ce sont tes parents »

« Oui, mais je ne peux pas être là-bas »

« Mais tu pourrais au moins aider ! Cest horrible de le voir dépérir comme ça, seul ! »

Élodie resta sidérée.

« Seul ? Je leur envoie de largent ! »

En enquêtant, elle découvrit que tout partait en alcool. Sa mère se plaignait dêtre abandonnée, son père accusait sa femme de garder largent pour elle.

Sa tentative de dialogue avec sa mère avait mené à cette rupture. Du chantage. Elle savait que cétait une manipulation. Mais derrière, il y avait son père, peut-être en train de mourir.

Cette nuit-là, elle ne dormit pas

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