– Pars, tu as tout gâché – lança la belle-fille en jetant ses charentaises dans le couloir

Va-ten, tu as tout gâché ! cria Élodie en lançant ses pantoufles dans le couloir.

Jeanne Lefèvre ramassa ses vieilles chaussons dintérieur et les enfila lentement. Ses mains tremblaient de honte et de chagrin. À soixante-huit ans, personne ne lavait jamais chassée de chez elle. Et voilà que sa belle-fille, quelle avait accueillie comme sa propre fille, lui hurlait de partir.

Élodie, quest-ce qui se passe ? Explique-toi, je ne comprends pas, tenta Jeanne dune voix douce.

Tu ne comprends pas ? Vraiment ? Tu ne vois pas ce que tu as fait ?

Jeanne regardait, désemparée, cette jeune femme en colère. Tout allait bien ce matin. Elle sétait levée tôt, comme dhabitude, avait préparé le petit-déjeuner pour toute la famille. Son fils, Théo, était parti travailler, les petits-enfants sétaient préparés pour lécole. Élodie aussi se dépêchait pour aller à son travail à la banque, où elle était gestionnaire.

Mémé Jeanne, noublie pas de chercher Lila à la crèche à trois heures, avait demandé Élodie en enfilant son manteau. Je demeurera tard, des clients importants arrivent.

Bien sûr, ma chérie, ne tinquiète pas, avait répondu Jeanne. Je lai toujours fait.

Et en effet, depuis six mois, depuis quelle avait emménagé chez eux après la mort de son mari, Jeanne allait chercher Lila, quatre ans, à la crèche. Lappartement était assez grand : Théo et Élodie dormaient dans la chambre principale, leur fils aîné, Mathis, dans la chambre denfant, et Lila sur le canapé-lit du salon. Jeanne sétait installée dans une petite pièce qui servait autrefois de débarras.

Ils vivaient en harmonie. Élodie travaillait, Théo aussi, et Jeanne soccupait de la maison et des enfants. Elle cuisinait, faisait la lessive, le ménage. Elle économisait pour la famille, achetant les produits moins chers au marché, chez des commerçants quelle connaissait.

À trois heures, Jeanne était allée chercher Lila. La petite fille sétait précipitée vers elle, rayonnante.

Mémé, aujourdhui une dame des services sociaux est venue nous voir à la crèche ! Elle a posé des questions sur tous les enfants, comment on vit à la maison, qui soccupe de nous.

Ah bon ? sétonna Jeanne. Et quest-ce que tu lui as dit ?

Jai dit que javais la meilleure mamie du monde ! Lila serra la main de Jeanne. Et que tu nous fais à manger, tu nous lis des histoires, et quand papa et maman se disputent, tu me défends.

Jeanne fronça les sourcils. Théo et Élodie sétaient effectivement beaucoup disputés ces derniers temps, surtout à cause dargent. Le crédit immobilier, les prêts, les dépenses des enfants tout pesait sur leur budget. Élodie reprochait à Théo de ne pas gagner assez, bien quil travaille comme conducteur de bus douze heures par jour.

Lila, pourquoi tu parles de moi quand tes parents parlent ? demanda prudemment Jeanne.

Mais tu as dit que maman avait tort quand elle criait sur papa ! Hier, tu as dit : « Ne tinquiète pas, ma chérie, maman est juste fatiguée, et papa est gentil. » Et tu as aussi dit que cétait dur pour papa de travailler et que maman ne comprenait pas.

Jeanne sentit son cœur se glacer. Elle avait effectivement essayé de rassurer Lila après une dispute. Mais avait-elle dit quelque chose de mal ? Elle avait juste défendu son fils, comme toute mère.

Rentrées à la maison, elles déjeunèrent, puis Lila fit la sieste. Jeanne commença à préparer le dîner. Il fallait quelle ait fini avant le retour de Mathis, toujours affamé en rentrant de lécole.

Élodie revint à cinq heures, le visage sombre, les yeux rouges. Jeanne pensa quil y avait eu un problème au travail.

Élodie, ça va ? Tu dois être fatiguée. Viens, on va prendre le thé.

Mais sa belle-fille passa devant elle sans un mot, senferma dans leur chambre et téléphona longuement dune voix agitée.

Théo rentra à huit heures, épuisé. Il dîna rapidement et alla se coucher. Élodie ne sortit pas de la chambre, disant quelle navait pas faim.

Maman, quest-ce quelle a, Élodie ? demanda Théo à voix basse sur la cuisine. Elle est de mauvais poing depuis ce soir.

Je ne sais pas, mon fils. Un problème au travail, sans doute.

Le lendemain, latmosphère était tendue. Élodie préparait les enfants en silence, évitant le regard de Jeanne. Théo aussi se taisait, sentant quune dispute approchait.

Maman, cest quoi les services sociaux ? demanda Mathis pendant le petit-déjeuner.

Jeanne faillit sétouffer.

Où as-tu entendu ça ?

Hier, maman et papa en parlaient. Maman a dit quils pouvaient nous enlever si la famille allait mal. Papa a répondu que cétait des bêtises.

Élodie se leva brusquement.

Mathis, va thabiller. Lila, prépare-toi.

Les enfants obéirent et quittèrent la cuisine. Élodie les suivit du regard avant de se tourner vers Jeanne.

Il faut quon parle.

Théo regarda sa femme, puis sa mère.

De quoi ?

Va au travail, coupa Élodie. Tu vas être en retard.

Théo ne savait que faire. Il embrassa sa femme sur la joue et partit. Les enfants aussi quittèrent lappartement. Seules restèrent Élodie et Jeanne.

Asseyez-vous, Jeanne, dit Élodie dun ton glacial.

Jeanne sassit. Son cœur battait fort.

Hier, mon supérieur ma convoquée. Vous savez pourquoi ?

Jeanne secoua la tête.

On ma informée quun signalement avait été fait aux services sociaux. Anonyme. Quelquun a écrit que notre famille allait mal. Que les parents se disputaient, que les enfants étaient livrés à eux-mêmes, que seule la grand-mère sen occupait.

Mon Dieu, qui a pu écrire ça ? sexclama Jeanne.

Cest justement ce que je me demande, répondit Élodie en fixant Jeanne. Qui connaît nos affaires familiales ? Qui entend nos disputes ? Qui peut raconter à des étrangers que Théo et moi nous querellons ?

Élodie, tu ne penses pas que cest moi

Qui dautre ? explosa Élodie. Qui dautre sait tout sur nous ?

Mais pourquoi je ferais ça ? balbutia Jeanne. Ce sont mes petits-enfants !

Je ne sais pas ! Peut-être pour nous séparer ? Peut-être que vous trouvez que votre fils mérite mieux ?

Mais quest-ce que tu racontes ! Je taime comme ma fille !

Élodie rit amèrement.

Vous maimez ? Alors pourquoi répétez aux enfants que leur père est gentil et que je suis méchante ? Pourquoi dites-vous à Lila que je ne comprends pas que Théo est fatigué ?

Je ne voulais pas quelle soit triste

Vous montez les enfants contre moi ! hurla Élodie. Hier, lassistante sociale a parlé aux éducatrices. Elles ont dit que Lila répétait sans cesse : « Maman a tort, papa est gentil. »

Jeanne pâlit. Elle avait effectivement dit ça, mais avec de bonnes intentions.

Je ne voulais pas

Et quont-ils écrit dans leur rapport ? poursuivit Élodie. Que lenfant parle des disputes

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– Pars, tu as tout gâché – lança la belle-fille en jetant ses charentaises dans le couloir
Je t’ai mis au monde pour moi