– C’est de votre faute si je n’ai pas de famille ! – cria la nièce en s’emparant de l’appartement

**Journal dun homme**

*Paris, le 15 octobre*

*Cest de votre faute si je nai pas de famille !* a hurlé ma nièce en partant avec colère.

*Tante Élodie, avez-vous déjà regretté de ne pas avoir eu denfants ?* demanda soudainement Aurélie, posant sa tasse de thé à moitié vide.

Élodie Dubois sursauta. Sa nièce était venue lui rendre visite après des mois dabsence, et jusque-là, elles avaient parlé de choses et dautres : le travail, la météo. Et puis, cette question tombait comme un couperet.

*Quest-ce qui te prend, ma chérie ?* répondit-elle avec prudence, ajustant la nappe en dentelle sur la table. *La vie suit son cours. Tout le monde ne doit pas devenir mère.*

*Mais ça doit être triste, non ? De vivre seule…* Aurélie scrutait son visage, comme si elle cherchait quelque chose dans ses rides.

Élodie rit nerveusement. Dehors, une bruine dautomne tombait sur Paris. Lappartement était chaud, rangé avec soin. Elle tenait toujours à ce que tout soit impeccable quand sa nièce venait. Aurélie était tout ce qui lui restait de famillela fille de son frère disparu.

*Pourquoi cette question ? Tout va bien avec Julien ?* Elle tenta de changer de sujet. Aurélie fréquentait ce garçon depuis trois ans, et Élodie espérait un mariage prochain.

*Julien et moi, cest fini*, lança-t-elle sèchement, tournant les yeux vers la fenêtre. *Depuis un mois.*

*Mon Dieu, ma puce ! Pourquoi ne mas-tu rien dit ? Jaurais pu…*

*Quauriez-vous fait ?* se retourna-t-elle brusquement. *Mapitoier ? Me plaindre ? Me dire que dautres poissons nagent dans la Seine ?*

Une colère inhabituelle perçait dans sa voix. Aurélie avait toujours été douce, discrèteune élève modèle, puis une comptable brillante. Élodie en était fière.

*Aurélie, quest-ce qui tarrive ? Tu nes pas toi-même aujourdhui.*

*Pas moi-même ?* Elle se leva, marchant comme un fauve en cage. *Et comment devrais-je être ? Toujours souriante, prétendant que tout va bien ? À trente-deux ans, sans vie amoureuse ?*

Élodie la suivit des yeux, la regardant sapprocher de la commode où trônaient des photos de famille. Aurélie prit un cadre : elle, petite fille, aux côtés dune Élodie plus jeune.

*Javais sept ans quand mes parents sont morts dans cet accident*, murmura-t-elle sans se retourner. *Vous souvenez-vous quand je suis venue vivre ici ?*

*Bien sûr, ma chérie. Nous avons traversé cela ensemble.*

*Ensemble ?* Elle eut un rire amer. *Je ne comprenais pas, à lépoque. Je croyais que cétait temporaire. Que mes parents reviendraient.*

*Aurélie, pourquoi reparler de ça maintenant ? Nous en avons discuté…*

*Nous navons rien discuté !* se retourna-t-elle. *Vous avez décidé pour moi ! Décidé que je vivrais ici, que cétait mieux ainsi !*

Un pincement au cœur. Vingt-huit ans à lépoque, son mari venait de la quitter, sa carrière seffondrait, et voilà quune enfant lui tombait dans les bras.

*Jétais jeune, moi aussi. Jai fait de mon mieux…*

*Votre mieux ?* ricana-t-elle. *Vous mavez enfermée ici ! Pas dactivités, pas damis !*

*Cest faux ! Tu avais des amis au lycée…*

*Quels amis ? Vous répétiez chaque jour : Pourquoi sortir ? Pourquoi perdre ton temps au théâtre ? À la danse ?*

Élodie sassit, submergée par ces souvenirs. Elle croyait la protéger des mauvaises fréquentations.

*Je voulais te préserver…*

*Me préserver ? De la vie ? Des gens ?*

*Regarde ce que tu es devenue : une femme bien, éduquée…*

*Oui, éduquée ! Mais incapable de parler aux hommes, de mamuser ! Vous avez fait de moi votre clonerenfermée, peureuse !*

Les mots frappaient comme des gifles.

*Je sais que tu es blessée par cette rupture…*

*Julien nest que le quatrième ! Le quatrième qui me quitte parce que je suis trop froide ! Parce quau premier problème, je me recroquevillecomme vous mavez appris !*

Un silence lourd.

*Il ma dit : «Tu es comme un fantôme. Tu vis sans vivre. Travail, maison, télé. Aucune passion.»*

*Aurélie !* soffusqua-t-elle.

*Cest la vérité ! Et moi, je passe mes soirées seule à me demander : pourquoi personne ne maime ?*

*Tu es belle, intelligente…*

*Peu importe ! Julien a résumé : «Tu es gentille, mais ennuyeuse.» Ennuyeuse, vous entendez ?*

Elle reprit la photo.

*Parfois, je me dis : et si vous maviez laissée à lorphelinat ? Peut-être quune autre famille maurait adoptée ? Des gens vivants, heureux ?*

*Comment peux-tu dire ça ?*

*Facile. Là-bas, je naurais pas cette dette envers vous ! Cette culpabilité dexister !*

*Tu ne me dois rien…*

*Si ! Dêtre reconnaissante, docile, invisible !* Elle reposa le cadre. *Vous ne mavez pas élevée comme une fille. Mais comme une compagne pour votre vieillesse.*

Élodie frissonna. Une vérité quelle navait jamais osé savouer.

*Vous, une femme seule, avez tout fait pour que je le sois aussi.*

*Ce nest pas vrai…*

*Si. Vous navez jamais voulu mon bonheur. Vous vouliez que je reste.*

*Je taimais…*

*Vous aimiez votre tranquillité.* Sa voix tremblait. *Mais ça ne me console pas.*

Elle se dirigea vers la porte.

*Je dois y aller.*

*Attends, dînons ensemble…*

*Non. Jai besoin de réfléchir.*

*Quand reviendras-tu ?*

*Je ne sais pas.*

*Tu ne peux pas disparaître…*

*Si. Comme vous avez disparu de ma vie. En mempêchant de vivre.*

Elle ouvrit la porte.

*Je vais prendre un appartement. Loin de vous.*

*Mais pourquoi ? Tu as ta chambre ici…*

*Vous ne mécoutez jamais !* cria-t-elle. *Je dois apprendre à exister sans vous !*

Un dernier regard.

*Et cet appartement ?*

*Quoi, cet appartement ?*

*Je nen veux pas. Quand vous ne serez plus là, je le donnerai. À lÉtat, à une association. Peu importe.*

*Mais cest ton héritage !*

*Non. Cest le prix de mon silence. De ma vie volée.*

Ses larmes coulaient.

*Cest votre faute si je nai pas de famille ! Et votre appartement, je nen veux pas !*

La porte claqua. Élodie resta seule, dans le noir, sous la pluie parisienne.

**Leçon du jour :**
On croit parfois protéger ceux quon aime. En réalité, on les emprisonne. Et un jour, ils brisent leurs chaînesen nous brisant aussi.

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