Élodie et Théo divorcèrent lorsque leur petite fille, Amélie, eut deux ans. Théo ne supportait plus sa femme. Elle nétait jamais satisfaite, toujours en colère. Tantôt elle se plaignait que Théo ne gagnait pas assez, tantôt quil passait trop peu de temps à la maison et ne laidait jamais avec lenfant.
Théo avait pourtant tout tenté pour lui faire plaisir. En vain. Beaucoup de leurs proches murmuraient quÉlodie souffrait de dépression post-partum. Quelle devrait consulter, prendre des médicaments.
Mais Théo en doutait. Elle navait jamais été un ange, même avant la naissance dAmélie. Maintenant, cétait pire, comme si la raison lavait quittée.
Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait vu un sourire sur son visage. Même avec leur fille, son irritation était palpable, au point quil avait envie de prendre Amélie dans ses bras et de la protéger loin delle.
Un jour, il osa suggérer à sa femme de voir un psychologue. La réponse quil reçut le glaça.
Quoi ? Tu penses que je suis folle ? Hystérique, cest ça ? Avec toi comme mari, qui ne le deviendrait pas ?
Après cela, Théo nen put plus. Il annonça quil demanderait le divorce. Par pure méchanceté, Élodie prit Amélie et partit sinstaller dans une autre ville. Elle ne réclama aucune pension alimentaire et ne lui donna pas leur nouvelle adresse.
Théo chercha sa fille un temps, puis abandonna. Il aimait Amélie et aurait voulu rester son père. Mais lidée daffronter sa femme, dendurer ses insultes, le découragea. Il finit par accepter linévitable.
Élodie, elle, ne cessa de bouillir de rage. Une colère qui ne sapaisa jamais. Elle rendait son ex-mari responsable de tout, persuadée quil lavait quittée pour une autre. Jamais elle ne songea à sa part de responsabilité.
Et cette amertume, elle la reporta sur Amélie.
Elle ne la frappa jamais, ne la maltraita pas physiquement. Mais lenfant grandit dans une atmosphère si lourde que peu auraient pu la supporter.
Chez elles, il ny eut jamais de fêtes. Amélie ne découvrit les anniversaires quen entrant à lécole maternelle.
Maman, devine quoi ? Aujourdhui, cétait lanniversaire de Lucas ! Tout le monde lui a dit « joyeux anniversaire » et il a eu un cadeau ! Moi aussi, jaurai ça un jour ?
Non. Cest stupide. Tu nas rien à fêter. Cest moi qui tai mise au monde, cest donc à moi quon devrait offrir des cadeaux ! Et ne me pose plus ce genre de question. Cest de largent jeté par les fenêtres !
Le Nouvel An non plus ne se célébrait pas chez elles. Heureusement, le Père Noël passait à lécole pour distribuer des friandises. Ce fut le seul moment de joie dAmélie. Le soir du réveillon, elles mangeaient un repas ordinaire et allaient se coucher comme dhabitude.
Élodie détestait les rires. Sans doute parce quelle avait elle-même oublié comment rire. Quand Amélie regardait des dessins animés et éclatait de rire, sa mère la réprimandait aussitôt.
Pourquoi tu ricanes comme une poule ? Il ny a rien de drôle là-dedans !
Et Amélie apprit que sourire était mal. Rire était mal. Il fallait être sérieuse et triste, comme maman.
Avait-elle des problèmes psychiatriques ? On ne le saura jamais. Elle ne consulta jamais, jugeant cela inutile. Pour elle, la vie nétait pas faite pour samuser. Les gens toujours heureux nétaient que des imbéciles superficiels.
Amélie goûta son premier bonbon à lécole, lors dun anniversaire. Ce fut une révélation.
La nuit, elle rêva quun jour, elle sachèterait un sac entier de bonbons. Cette pensée la réchauffa, et un sourire interdit se dessina sur ses lèvres.
Difficile de dire ce quil serait advenu delle si elle avait continué à vivre ainsi. Chaque année, sa mère devenait plus aigrie, plus haineuse. Même les voisins lévitaient, et les vieilles femmes se signaient à son passage. On disait quelle avait le diable au corps.
Pourtant, cette rage finit par la consumer. On lui diagnostiqua un cancer. Méfiante envers les médecins, elle ne se rendit à lhôpital que lorsque les secours ly emmenèrent, bien trop tard pour la sauver.
Une voisine recueillit Amélie en attendant. Avant de partir, Élodie lui avait donné le nom et la ville de Théo. Malgré tout, elle tenait à sa fille.
Élodie ne revint jamais. On ne dit pas tout de suite à Amélie que sa mère était morte. La petite était déjà terrifiée, effrayée à lidée de faire un faux pas.
Les services sociaux retrouvèrent rapidement Théo.
Il sétait remarié depuis six mois. Quand ils lappelèrent, il annonça à sa femme quil ne laisserait pas sa fille. Et quil lavait cherchée pendant des années.
Sa femme, une femme bonne, savait combien il avait souffert de cette séparation. Elle lencouragea à aller chercher lenfant.
Amélie, bien sûr, ne se souvenait pas de lui. Elle tremblait de peur, convaincue que vivre avec lui serait pire quavec sa mère.
Quand Théo arriva, la petite était toujours chez la voisine. On avait préféré ne pas la déplacer pour ne pas leffrayer davantage.
En chemin, Théo acheta une peluche géante, un chat, et une poignée de bonbons.
En entrant, il vit Amélie recroquevillée dans un coin. Mais ses yeux silluminèrent à la vue du jouet. Puis il sortit les bonbons.
Ce fut la révélation. Pour Amélie, quelquun qui offrait des bonbons ne pouvait pas être méchant. Le Père Noël en donnait à lécole. Personne dautre ne lui en avait jamais offert.
Pendant quelle découvrait sa nouvelle peluche, la voisine parla à Théo de son ex-femme.
On ne parle pas mal des morts, mais elle était difficile. Elle ne saluait personne, ne souriait jamais. Elle insultait ceux qui ne lui plaisaient pas. Et cette pauvre petite vivait dans la peur.
Le cœur de Théo se serra. Il se reprocha de ne pas avoir assez insisté, de ne pas lavoir arrachée à cette vie. La peur de revoir Élodie lavait paralysé. Et à cause de cela, sa fille avait souffert.
Une fois les formalités réglées et lenterrement passé, Amélie partit avec son père pour une nouvelle vie.
Ton anniversaire approche, lui dit-il en souriant pour la rassurer. Quaimerais-tu comme cadeau ?
Amélie le regarda, stupéfaite. Théo ne comprit pas son étonnement.
Je ne sais pas. Maman ne moffrait jamais de cadeaux. On ne fêtait pas les anniversaires.
Comment ça ? sétrangla-t-il.
Elle disait que cétait idiot. Que je ne méritais pas dêtre félicitée.
Ce nest pas vrai Tout le monde a le droit dêtre heureux le jour de son anniversaire, murmura-t-il, la gorge nouée.
Alors est-ce que je pourrais avoir un sac de bonbons ? demanda-t-elle timidement. Jadore les bonbons.
Théo ne répondit que par un hochement de tête. Les mots lui manquaient.
Le soir, après avoir couché Amélie,







