«Il faut l’emmener à l’hôpital», murmura la jeune femme transie de froid sur la route, serrant son enfant dans ses bras

**Journal intime Un matin glacial**

Il faisait un froid mordant ce matin-là. Le ciel, encore pâle, navait pas eu le temps de se réchauffer, et la route était recouverte dune fine couche de givre, scintillante comme du sucre glace. Lair avait cette fraîcheur cristalline qui vous pousse à inspirer profondément, jusquà ce que le froid vous envahisse. On sentait les petites étoiles de gel se former sur le bout du nez et les joues. Ces matins-là, le temps semble ralentir, comme si le monde entier retenait son souffle.

Jean-Louis Moreau, chauffeur de bus depuis vingt ans, se sentait comme un poisson dans leau au volant. Ces routes, il les connaissait par cœur. Rien dexceptionnel pourtant : une simple liaison entre un petit village et la préfecture. Mais pour lui, chaque virage, chaque bosse avait une histoire. Les passagers daujourdhui étaient peu nombreux : deux étudiants absorbés par leurs écrans, un vieil homme plongé dans son journal, et un jeune couple endormi, blotti sous des écharpes épaisses.

Le bus roulait doucement, presque en berçant, quand soudain, au détour dun virage, Jean-Louis aperçut une silhouette sur le bas-côté. Une femme. Elle ne faisait pas signe, ne bougeait pas. Juste là, immobile, enveloppée dans une veste sombre bien trop légère pour lhiver. Dans ses bras, quelque chose était enveloppé. Dabord, il crut à un sac, mais en se rapprochant, il comprit : cétait un enfant. Un petit garçon, pâle, les yeux clos, comme étrangement absent.

« Bizarre, ces gens », murmura-t-il en ralentissant.

Il baissa la vitre : « Quest-ce que vous faites là, par ce froid ? »

La femme sursauta, visiblement surprise quon sarrête. Elle sapprocha, les yeux baissés, et dune voix tremblante : « Je jattends un lift »

Jean-Louis éclata presque de rire. « Un lift ? Par cette température ? » Il allait repartir, mais quelque chose dans son regard larrêta.

« Il y a des bus, vous savez. Pourquoi vous compliquer la vie ? »

Elle secoua la tête, comme si elle ne lécoutait pas. « Je dois aller à lhôpital mon fils cette nuit, ça sest aggravé. Je nai pas les moyens pour un taxi, et le bus ne passe pas avant des heures. »

Un coup dœil à lenfant lui confirma lurgence. Le petit respirait à peine, les lèvres bleutées. Sans réfléchir, il lui fit signe : « Montez. Assez attendre. »

Elle monta avec précaution, comme si chaque mouvement devait préserver le fragile équilibre de son fils. Une fois assise près du chauffage, elle frissonna encore, mais un peu de chaleur revint dans ses doigts engourdis. Les autres passagers jetèrent des regards discrets, mais personne ne dit mot. Parfois, les drames des autres sont trop lourds à porter.

La femme, sentant les regards, murmura : « Je mappelle Élodie. Merci je ne savais plus quoi faire. »

Jean-Louis hocha la tête. « Pas de souci. Limportant, cest darriver à lhôpital. »

Durant le trajet, il apprit quÉlodie élevait seule son fils. Son mari était parti quand lenfant avait un an. Pas de famille pour laider. Juste elle, contre tout.

Lorsquils arrivèrent enfin, Jean-Louis sarrêta devant les urgences. « Allez-y. Je vous attends. »

Élodie le regarda, incrédule. « Vous vous allez vraiment attendre ? »

Il esquissa un sourire. « Et où voulez-vous que jaille ? »

Les passagers descendirent sans protester. Certains allèrent prendre un café. Dautres restèrent à lextérieur, grelottant. Personne ne se plaignit.

Assis dans son bus, Jean-Louis repensa à sa propre vie. Des années plus tôt, sa femme avait été malade. Un inconnu les avait aidés, ce jour-là. Parfois, la bonté surgit là où on ne lattend pas.

Deux heures plus tard, Élodie ressortit, soulagée. « Tout va bien. Juste une forte fièvre. Ils nous ont donné des médicaments. »

Jean-Louis sentit un poids senvoler. « Parfait. Rentrons. »

Sur le chemin du retour, le petit garçon, enfin réveillé, observa Jean-Louis avec curiosité. Élodie lui confia ses difficultés : pas de pharmacie dans leur village, pas de transports la nuit « On doit se débrouiller. »

Arrivés chez elle, elle le remercia encore. « Je ne sais pas comment vous remercier. »

Il sourit. « Un simple «merci» suffit. »

Quelques mois plus tard, sur la même route, il la revit. Elle lui tendit un petit sac. « Des œufs, du lait de la ferme. » Il tenta de refuser, mais elle insista.

Et puis, le petit garçon murmura : « Merci, monsieur. »

Ces mots réchauffèrent son cœur mieux que nimporte quel chauffage.

Parfois, la bonté revient vers toi. Même quand tu ne ty attends pas.

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