*Journal intime 12 octobre*
Il pleuvait des cordes ce soir-là. Après le boulot, jai traîné en ville plutôt que de rentrer dans mon petit deux-pièces en locationun endroit provisoire, pas vraiment un chez-soi. Un cerne jaune sétait coincé dans lessuie-glace côté passager. Lété indien était fini. Mon père disait toujours : *« Tel été, telle femme »*.
Mon père Loin dêtre un saint, il aimait picoler. Ma mère râlait, mais moi, jadorais quand il rentrait éméché. Il devenait tendre et me glissait quelques billets. Le lendemain, je filais au *tabac* acheter un Opinel comme celui de Matthieu ou un Coca avec des chips.
Cétait une époque. Tout semblait simple. Mes parents me protégeaient, me conseillaient. Et il y avait Élodie. Fragile, avec des cheveux blonds et des yeux bleu clair. Un coup de vent et elle senvolait. Alors je lui tenais toujours la main.
On na jamais eu le temps daller plus loin. Je lai embrassée une seule fois, juste une pression des lèvres. Je rêvais de marcher des heures avec elle, main dans la main. Son père était militaire. Elle est arrivée dans notre collège en cinquième. En seconde, il a été muté à Lyon.
Jaurais pu lappeler. Mais pour quoi faire ? Elle ne reviendrait pas, et moi je nirais jamais à Lyon. Alors à quoi bon ? Elle non plus na jamais donné signe de vie.
Pourtant, son image est restée gravée en moi. Toutes les filles que jai fréquentées lui ressemblaient vaguement, sans jamais légaler.
Puis jai épousé Sandrineenfin, cest elle qui ma choisi. On était en licence ensemble. Elle sortait avec dautres, pas mon genre. Pendant un stage en entreprise, on rentrait souvent ensemble. Elle venait dun bled en Auvergne, mais disait que cétait « un village ».
Lété, la résidence universitaire se vidait. Un soir, elle ma invité : *« Jai fait une daube, je suis toute seule »*
Ses potes mavaient prévenu : *« Les provinciales cherchent un mari pour rester en ville. Méfie-toi, elles sont trop arrangeantes. »*
La daube était excellentemême ma mère ne faisait pas mieux. Puis ça devait arriver. Au dernier moment, jai hésité. Elle a murmuré : *« Tinquiète, je prends la pilule. »*
On a enchaîné les nuits pendant le stage. Je ne laimais pas, cétait purement physiquerien à voir avec Élodie.
À la rentrée, on sest évités. Un mois plus tard, elle ma coincé dans le couloir : *« Je suis enceinte. »*
*« Tu disais que tu te protégeais ! »*
*« Jai oublié deux fois Jai peur de lIVG, et si je ne pouvais plus avoir denfants ? »*
Je lai plainte. Je lai présentée à mes parents. Elle a aidé à mettre la table, donné des conseils de cuisine. Ma mère était conquise : *« Une vraie ménagère ! Au moins, tu ne crèveras pas de faim. »*
On sest mariés avant Noël. Robe blanche, pièce montée, concours débiles. Les potes rigolaient : *« Allez, Julien, montre que tas des muscles ! »* Sandrine, bien charpentée, ma fait suer, mais jai tenu le coup.
Là, jai compris : jétais pris.
Au début, ça allait. Mes parents nous ont acheté un studio. Sandrine préparait la venue du bébé, le frigo était toujours plein. Ma mère la trouvait parfaite.
Tout a changé avec la naissance. Sandrine a arrêté la fac. Ma mère venait le soir aider. Jai switché en cours du soir et bossé dans lentreprise de stage.
Je traînais, épuisé. Lenfant hurlait toute la nuit. Dès que je rentrais, Sandrine me le collait dans les bras. Ma mère arrivait, miracle : le bébé sendormait, elle cuisinait, Sandrine soufflait.
En partant, elle chuchotait : *« Prends ton temps pour le deuxième. »*
Devenue mère, Sandrine est devenue maniaque de la pilule. Elle se réveillait la nuit pour vérifier. Dommage quelle nait pas été aussi rigoureuse avant.
Le studio est devenu trop petit. Diplôme en poche, jai cherché mieux. Mais soit les salaires étaient minables, soit on me proposait des combines.
*« Tout le monde triche un peu, fais comme eux »*, râlait Sandrine quand je démissionnais.
Mais je ne pouvais pas. Je tenais la famille à bout de bras. Sandrine a fini ses études et est devenue assistante de direction. Salaire moyen, mais perspectives. Deux salaires, et toujours aussi fauchés.
*« Tu pourrais moins dacheter de fringues »*, je grognais.
*« Je représente la boîte ! Et toi, trouve un vrai boulot. »*
Elle rentrait tard. Réunions, clients. Je jaloux, disputes. Un jour, elle a lâché : *« Ça ne sert à rien quon reste ensemble. »*
*« Je men doutais. Tu as trouvé plus riche ? »*
*« Si tu mavais écoutée »*
*« Tu ne mas jamais aimé. Je servais juste à te caser ici. »*
Elle a sourit : *« Tu ne sais pas ce que cest, un village sans eau chaude. »*
Enfin, elle avouait venir dun trou.
*« Rassemble mes affaires. »*
Elle a tout plié soigneusement. Je nai pas voulu chez mes parents. Jai loué un apart. Me voilà seul, sans famille, sans logement, avec une pension à payer.
Jai commencé à picoler. Mon voisin me tenait compagnie : *« Tas de la chance, seul comme ça, personne pour te casser les pieds. »* Puis sa femme venait le chercher, et il filait joyeux.
Au chômage, jai compris : fallait arrêter lalcool, sinon cétait la descente.
*« Tas à boire ? »*
*« Jai arrêté. Un pote ma trouvé un job. »*
*« Ah bon Bon, je vais voir ailleurs. »*
La nuit, javais envie de boire. Je regardais les fenêtres séteindre une à une.
Le pote ma placé comme livreur. Un jour, jai livré une armoire. La porte souvre : cétait Camille. Le choc. Elle ressemblait à Élodie.
*« Vous montez les meubles ? »*
*« Non, juste livraison. Personne pour le faire ? »*
Si fragile. Javais envie de laider. *« Je peux revenir ce soir. »*
*« Vraiment ? Je vous paierai. »*
*« À 20h, ça va ? »*
Jy ai pensé toute la journée. Retard sur les livraisons, détour chez moi pour me changer. Chez elle à 22h.
*« Désolé du retard. »*
*« Ce nest rien. »*
Deux heures à monter larmoire. Lodeur du dîner me torturait. Rien mangé de la journée. Quand jai fini, elle ma invité à table. Moi, je ne cuisinais que des pâtes ou des œufs.
Camille. Je la croyais étudiante, mais elle bossait déjà. Jai refusé largent. Jai traîné







