**Journal Intime**
Jattendais des turbulences en vol, pas dans mon mariage. Une minute, nous jonglions avec les sacs à langer et les billets davion pour nos jumeaux. La suivante, mon mari disparaissait derrière un rideau, direction la classe affaires, me laissant seule dans le chaos.
Avez-vous déjà eu cette intuition que votre partenaire sapprête à faire une bêtise, mais votre raison refuse dy croire ? Cétait moi à laéroport Charles de Gaulle : des lingettes dépassant de ma poche, un bébé en écharpe, lautre mâchouillant mes lunettes de soleil.
Cétait censé être nos premières vraies vacances en famillemoi, Théo, et nos jumeaux de dix-huit mois, Élodie et Mathis. Nous partions pour Nice rendre visite à ses parents dans leur réside.
Nous étions déjà chargés comme des mules : poussette, sacs à langer, sièges auto, tout le cirque. Puis Théo murmura : « Je vais juste vérifier un truc », et fila vers le comptoir.
Aurais-je dû me méfier ? Impossible. Jétais trop occupée à prier pour quaucune couche nexplose avant le décollage.
À lembarquement, lhôtesse scanna son billet et sourit. Théo se tourna vers moi, lair satisfait : « Chérie, jai eu une upgrade. Tu te débrouilleras avec les enfants, hein ? À larrivée. »
Jai ri. Une blague, évidemment.
Sauf que non.
Avant que je ne réalise, il membrassa la joue et disparut en classe affaires comme un prince traître. Moi, je restais plantée là avec deux bambins hurlants et une poussette qui menaçait de seffondrer.
Il pensait avoir gagné. Mais le karma avait déjà embarqué.
Une fois assise au siège 32B, je transpirais sous mon pull, les jumeaux se battant pour un biberon. Élodie renversa son jus de pomme sur mon jean.
« Parfait », murmurai-je en messuyant avec une lingette douteuse.
Mon voisin appuya sur le bouton dappel. « Pouvez-vous me changer de place ? Cest un peu bruyant ici. »
Javais envie de pleurer. À la place, je le regardai senfuir, enviant secrètement sa liberté.
Puis mon téléphone vibra.
Théo.
« La nourriture est incroyable ici. Ils mont même donné une serviette chaude »
Je fixai le message, une lingette collante à la main, me demandant si lunivers acceptait les pots-de-vin.
Quelques secondes plus tard, un autre messagede mon beau-père.
« Envoie-moi une vidéo de mes petits-enfants dans lavion ! Je veux les voir voler comme des grands ! »
Alors je filmai Élodie frappant sa tablette comme une DJ, Mathis mordillant sa girafe en peluche, et moiépuisée, les cheveux gras, le teint blême.
Théo ? Absent.
Je lenvoyai. Il répondit par un simple .
Caurait dû sarrêter là. Mais ce ne fut pas le cas.
À latterrissage, je luttai avec les jumeaux grognons, les sacs et la poussette récalcitrante. Théo descendit derrière moi, bâillant comme sil sortait dune séance de spa.
« Quelle superbe vol. Tu as goûté les amuse-gueules ? Ah non, cest vrai » ricana-t-il.
À la récupération des bagages, son père nous aperçut. Il prit Élodie dans ses bras, membrassa la joue et déclara : « Regarde-toiune vraie guerrière des airs. »
Puis Théo savança. « Salut, Papa ! »
Le sourire de son père sévanouit. Dun ton glacial, il lança : « Mon garçon nous parlerons plus tard. »
Et ils parlèrent.
Cette nuit-là, une fois les jumeaux endormis, jentendis : « Théo. Dans le bureau. Tout de suite. »
Je fis semblant de scroller sur mon téléphone, mais les éclats de voix étaient clairs :
« Tu trouves ça drôle ? »
« Elle a dit quelle pouvait gérer »
« Ce nest pas la question, Théo ! »
Quand la porte souvrit, mon beau-père passa devant moi, me tapota lépaule et murmura : « Ne tinquiète pas, ma chérie. Jai réglé ça. »
Théo grimpa les escaliers, muet.
Le lendemain soir, sa mère proposa un dînersa tournée. Théo sillumina : « Super ! Un restaurant chic ? »
Nous atterrîmes dans un établissement en bord de mer, aux chandelles, avec un quatuor à cordes. Le serveur prit nos commandes.
Beau-père : « Un cognac, sec. »
Belle-mère : « Un thé glacé. »
Moi : « De leau pétillante. »
Puis il se tourna vers Théo. Impassible.
« Et pour lui un verre de lait. Puisquil semble incapable de se comporter en adulte. »
Le silence fut saisissantpuis les rires éclatèrent. Sa mère gloussa, je faillis métouffer, même le serveur sourit. Théo resta rouge, silencieux, tout le repas.
Mais le karma navait pas fini.
Deux jours plus tard, alors que je pliais le linge, mon beau-père saccouda à la balustrade. « Pour info », dit-il, « jai mis à jour le testament. Un trust pour les enfants, et pour toiassez pour tassurer un confort. La part de Théo ? Elle diminue chaque jour jusquà ce quil comprenne ce quest une famille. »
Je restais sans voix. Il sourit, complice.
Au vol retour, Théo se transforma soudain en Père de lAnnée : portant les sièges auto, les sacs, tout ce quil pouvait.
À lenregistrement, lagent lui tendit sa carte dembarquement et marqua une pause. « Monsieur, vous avez été upgradé. »
Théo cligna des yeux. Sur létui, une note manuscrite : « Classe affaires, encore. Profite. Mais cest un aller simple. Tu expliqueras à ta femme. »
Je reconnus lécriture instantanément.
« Mon Dieu », chuchotai-je. « Ton père na pas »
« Si », grommela-t-il. « Il ma dit de « profiter du luxe » à lhôtel où je passerai quelques jours seul. Pour réfléchir à mes priorités. »
Jéclatai de rire. « Apparemment, le karma voyage en première classe. »
Alors que jembarquais avec les jumeaux, Théo traînait derrière, penaud, tirant sa valise.
Juste avant de monter, il se pencha : « Alors une chance que je puisse revenir en classe éco ? »







