Le Retour au Foyer

**Le Retour à la Maison**

Antoine boucla sa ceinture et ajusta machinalement le dossier de son siège. Il volait souvent trop souvent, pour être honnête. Une fois par mois, parfois plus : conférences, réunions, missions courtes qui lui donnaient le tournis autant quun whisky bas de gamme. Cette fois, tout avait été particulièrement routine : deux jours de négociations, des signatures, un dîner avec des partenaires et retour à Paris.

Une seule différence : la destination. Lavion ne se dirigeait ni vers lAllemagne ni vers Lyon, mais vers une petite ville du sud, où il était né et quil avait fuie vingt ans plus tôt. Depuis, il ny était revenu que deux fois pour lenterrement de son père, puis sur la tombe de sa mère. Les deux fois, il avait hâte de repartir, vers le bruit des embouteillages parisiens, ses projets, cette vie où lon na pas le temps de penser.

Il renversa la tête contre le siège et ferma les yeux. La veille, il était assis dans un bar avec des collègues, disputant un point de présentation. Quelquun, ivre, avait entonné *La Vie en rose* à la guitare. Drôle, mais cétait cette mélodie qui lui restait en tête, se mêlant au ronron des moteurs. Il esquissa même un sourire.

« Pardon, vous prendrez du jus ou de leau ? » demanda lhôtesse, penchée vers lui. Sourire standard, répété mille fois.
« De leau, merci. »
Elle lui tendit un gobelet en plastique, il hocha la tête. Leau était tiède, comme exposée au soleil. Mais il avait soif.

Le passager à sa droite marmonna quelque chose en feuilletant un magazine.
« Les prix sont fous, non ? » releva-t-il les yeux.
« Ça a toujours été le cas, » répondit Antoine. « Ils vendent des montres au prix dun appartement. »
Ils ricanèrent tous deux, et pour un instant, ce fut léger, presque familial.

Lavion volait droit, berçant légèrement. Un bébé pleura quelque part devant, mais sa mère le calma vite. Quelquun cliquait linterrupteur au-dessus de sa tête, cherchant la lumière. Une jeune fille dans lallée rigolait devant une vidéo lécran de son téléphone éclairait son visage dune lueur blanche, la rendant plus jeune quelle nétait.

Antoine regarda par le hublot. Il sattendait à voir au moins une lueur de village en bas, une route, une étoile. Mais derrière la vitre, seule sétendait une obscurité dense, comme un film noir collé contre le verre.

« Il fait noir, hein ? » reprit son voisin, par-dessus son épaule. « On ny voit goutte. »
Antoine haussa les épaules :
« Ben cest la nuit. »
Mais quelque chose dinconfortable remuait en lui. La nuit respire. Celle-ci était vide.

Il vérifia son téléphone. Lécran clignota, les barres de réseau disparurent. Rien.
Évidemment, lavion. Pourquoi sattendre à autre chose ? Il oubliait toujours. Pourtant, le réflexe restait : espérer un message de son fils. *« Envoie au moins un émoji, »* pensa-t-il, avant de verrouiller lécran, un sourire en coin.

« Ça ne capte pas non plus ? » demanda encore le voisin.
« Non. Ici, cest normal. »
« Ouais, » fit lautre, replongeant dans son magazine. Cette fois, il contemplait une pub de vestes chères, caressant la page comme pour en sentir le tissu.

Lavion tangua légèrement, comme soulevé par une bourrasque. Rien dinquiétant, se dit Antoine. Pourtant, leau dans son gobelet trembla, ses ondulations trop régulières, comme si des doigts invisibles tambourinaient dessus.

Une conversation lui parvint :
« Tes sûre quils nous attendront ? » demanda une voix féminine.
« Bien sûr, jai appelé. Ils ont dit : on sera là à la sortie, » répondit une autre.

Le mot *attendre* lui resta en tête. Il colla son front au hublot. Rien. Pas une étincelle. Juste un noir épais, comme un drap enroulé autour de lavion.

Il pensa à sa mère. Celle qui reposait dans le cimetière depuis dix ans. Il revit ce jour, debout en manteau noir devant la tombe, la terre fraîche sous ses yeux alors que son rire résonnait encore dans sa mémoire. Et maintenant, devant le hublot, il crut entendre ce *« Mon petit Antoine »* et tressaillit comme électrocuté.

« Tout va bien ? » le voisin linterrompit.
Antoine cligna des yeux. « Juste un souvenir. »
« Ah, » dit lautre. « Bon, lessentiel, cest de ne pas penser aux turbulences. »

Il essaya de lire, mais les mots glissaient. Les lignes se brouillaient, et il se surprit à fixer le hublot noir. Dehors, rien. La nuit, cest normal, non ?

Le voisin tourna une page et grogna :
« Six mille euros pour une montre. À ce prix, tachètes une Renault. »
« Ouais, » fit Antoine, poli mais pas amusé.

Dans lallée, une voix murmura :
« Elle a dit : *»Attends-nous pour le déjeuner.»* »
Et une autre, plus aiguë :
« La mienne aussi a dit ça. »

Coïncidence, bien sûr. Mais ce *»attends»* lui glaça le cœur, comme si une porte sétait ouverte, laissant entrer un courant dair. Il regarda encore le hublot.

La vitre noire reflétait son visage pâle, fatigué. Pas un nuage, pas une lumière. Juste un noir si dense quon pouvait y perdre la main.

« Il fait noir, hein ? » répéta le voisin. « On ny voit goutte. »
« La nuit, » répondit Antoine. « Rien danormal. »
Mais intérieurement, il corrigea : *La nuit vit. Celle-ci est morte.*

Il posa son livre sur ses genoux, but une gorgée deau tiède et ferma les yeux. *Un avion plein, et pourtant on se croirait dans une cave.*

Lhôtesse passa avec son chariot :
« Café ou thé ? »
Une femme dans lallée prit un gobelet :
« Thé, merci. Avec un citron, si possible. »
Sa voisine ajouta, narquoise :
« Moi aussi, thé avec citron. »

Même ton, comme répété. Antoine crut halluciner, mais une jeune fille avec des écouteurs gloussa, imitant : *« Avec citron, avec citron »*

Le voisin cessa de feuilleter son magazine, fronça les sourcils.

Lavion vibra. Une goutte deau oscilla dans le gobelet, sa surface tremblant comme un tambour. Antoine y trempa un doigt leau se figea, comme du verre. Bizarre, mais il mit ça sur le compte de la fatigue.

***

Le commandant Leroux regarda lobscurité derrière le pare-brise. Aucune étoile, pas même lhorizon. Juste un noir mat, comme si le cockpit était enfermé dans un hangar.

« On est peut-être dans les nuages, » dit-il, peu convaincu.
« À cette altitude ? Sans turbulences ? » Le copilote secoua la tête. « Et le radar est vide. »
« Une tempête magnétique ? » suggéra Leroux. « Des couches de plasma ça arrive. »
« Il y aurait des interférences. »
« Justement, » il tapota la radio, où seul crépitait le silence.

Il savait que ça

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