Mais je voulais juste regarder, c’est tout

Mes chers collègues, jai deux nouvelles à vous annoncer ! déclara la directrice dun ton solennel, parcourant du regard lassemblée des employés du musée.

Jespère quelles sont bonnes, Laure ? gazouilla Nadine, la guide, depuis son siège.

Je le pense ! Premièrement, dans trois jours, nous recevrons une visite guidée.

Voilà une nouvelle ! grogna tante Gisèle, lintendante. Encore une horde décoliers qui ne laisseront derrière eux que déchets et désolation !

Tout à fait ! approuva tonton Vincent, le gardien du musée et, accessoirement, époux de lintendante.

Non, pas des écoliers ! Cette fois, ce sera une délégation douvriers dune usine automobile. Et notre mission, chers collègues, est de rendre leur visite au musée aussi captivante que possible. Quils repartent avec des souvenirs enchanteurs !

Tonton Vincent sanima :

Vous avez bien choisi vos mots, Laure ! « Repartir avec », cest tout à fait ça ! Souvenez-vous de ces visiteurs de lusine de roulements en mars dernier. Ils étaient déjà bien « chargés » en arrivant ! Et nous, on a dû les ramasser aux quatre coins des bois alentour ! Ils ne viennent pas pour la culture, mais pour un jour de congé !

Votre cynisme est déplacé, Vincent ! le réprimanda sévèrement Laure. Nous sommes les gardiens du musée du grand écrivain Roubineau-Lalande. Notre devoir est de perpétuer son héritage, de le partager avec les masses et de préserver ce lieu sacré où il a créé ses chefs-dœuvre !

À part nous, qui connaît ce Roubineau-Lalande ? persifla le gardien, dhumeur taquine ce jour-là, prêt à contester lautorité comme un hussard frondeur.

Je proteste ! sécria le guide-conférencier, Constantin Arnold. Roubineau-Lalande est une gloire locale !

Et la deuxième nouvelle ? coupa Nadine, faisant taire lassemblée dans lattente.

Laure marqua une pause théâtrale, laissant monter la tension, avant dannoncer :

On nous nomme un nouveau directeur !

Enfin ! sexclama tante Élodie, la femme de ménage, en battant des mains.

Le personnel sagitait, bombardant Laure de questions :

Qui est-ce ? Doù vient-il ? Est-il marié ?

Les messieurs, minoritaires dans ce microcosme muséal, se redressèrent, ravis à lidée dun renfort masculin.

Je nen sais pas plus ! coupa Laure, levant un doigt mystérieux. On ma simplement dit quun certain « M. ou Mme Leclerc » arrivera bientôt.

Tout en commentant cette annonce, léquipe se dispersa, emplie dune excitation nouvelle. Depuis des années, leur routine insulaire navait pas connu le moindre changement.

Parmi eux, Laure était la plus soulagée. Épuisée par la double charge de comptable et de gestionnaire, elle priait pour que ce « Leclerc » ne fuie pas dès son arrivée.

Alors, pour accueillir dignement ce mystérieux directeur, on déclencha un grand nettoyage.

Dès laube, léquipe saffaira à polir chaque recoin du domaine.

Nadine, repassez un coup sur le porte-parapluies de lentrée ! ordonna Véronique. Jacques Roubineau-Lalande y tenait tant !

Vincent, retire donc ta perceuse du pavillon dété ! hurla Gisèle par la fenêtre. Si les ouvriers la voient, elle disparaîtra !

À lheure dite, un bateau apparut à lhorizon, craquant sous le vent fluvial, chargé de visiteurs…

Fixant lembarcation qui grossissait, Laure donna ses ultimes consignes :

Constantin, évitez la zone marécageuse. Et Nadine, interdisez à quiconque de sasseoir sur le lit de lécrivain !

Si Véronique arrêtait de raconter que cest là quil a conçu ses huit enfants, il y aurait moins de volontaires ! ricana le guide.

Le navire accosta, déversant sur le quai une foule douvriers hilares, avides de terre ferme.

Vincent, pas un verre de bienvenue, cest compris ? murmura Gisèle entre ses dents.

Les visiteurs se scindèrent : certains suivirent Véronique vers la maison, dautres Constantin vers les bois.

Voici le saint des saints : le bureau où Roubineau-Lalande créait ses œuvres immortelles, déclama Véronique, perchée sur ses talons.

Ces paysages ont inspiré notre illustre compatriote, dont le nom brille dans les annales littéraires, claironna Constantin, écrasant les herbes jaunies.

Ne touchez pas au lit, cest une pièce historique ! supplia Nadine, rouge de honte.

Je tinterdis de cracher tes graines partout ! gronda Élodie.

Assise dans le bureau, Laure savourait ce tumulte vivifiant.

Soudain, un cri : « Au voleur ! » (Nadine, sans doute).

Laure bondit, suivie par le claquement des talons de Véronique et les savates dÉlodie.

Au milieu du bureau, un jeune homme en veste légère fixait, stupéfait, un carnet tombé à ses pieds. Une copie, heureusement, car loriginal était précieusement gardé.

Remettez ça immédiatement ! Cest interdit de toucher ! implorait Nadine.

Véronique avança, prête à en découdre.

Quelle honte ! Ce carnet contient lunique brouillon de « Les Ancres de lÂme », son roman inachevé !

Je voulais juste regarder, bredouilla lintrus.

Montrez vos papiers ! tonna Véronique, jouant les gendarmes.

Lhomme tendit son passeport.

Véronique lexamina avec gravité, puis Laure le lui arracha.

Bienvenue, monsieur le directeur, murmura-t-elle.

***

Pardonnez-moi, Adrien, bafouilla Véronique en le conduisant à son bureau. On ne vous attendait pas ainsi.

Cest parfait, ma chère. Maintenant, je sais que la discipline est impeccable ici !

Continuez ainsi !

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