Mes chers collègues, jai deux nouvelles à vous annoncer ! déclara la directrice en parcourant lassemblage dun regard chargé de sous-entendus.
Jespère quelles sont bonnes, Laurence ? gazouilla Nadège, la guide du musée, depuis son siège.
Je le pense ! Dabord, dans trois jours, nous recevrons une visite guidée.
Quelle nouveauté ! grogna tante Élodie, lintendante. Encore une série décoliers qui laisseront derrière eux un sillage de déchets et de désordre !
Tout à fait ! renchérit loncle Lucien, gardien du musée et, accessoirement, époux de lintendante.
Non, pas des écoliers ! Cette fois, ce sera une délégation douvriers dune usine automobile. Et notre mission, chers collègues, est de rendre leur visite au domaine de lécrivain aussi mémorable que possible. Quils repartent avec des souvenirs enchanteurs !
Loncle Lucien sanima :
Vous avez bien choisi vos mots, Laurence ! « Repartir avec des souvenirs », cest juste ! Rappelez-vous la visite des ouvriers de lusine de roulements en mars dernier. Ils en avaient déjà « ramassé des souvenirs » sur le trajet ! Et nous, nous avons dû les traquer dans les bois alentour ! Est-ce quils viennent ici pour la beauté des lieux ? Non, pour un jour de congé !
Votre scepticisme est déplacé, Lucien ! linterrompit sévèrement Laurence. Nous sommes les gardiens du musée de lillustre écrivain Dubois-Lefèvre. Notre devoir est de partager son héritage avec le public, de préserver sa mémoire et ce lieu où il créa ses chefs-dœuvre !
À part nous, qui donc connaît ce Dubois-Lefèvre ? continua le gardien, dhumeur chaleureusement mutine ce jour-là.
Je proteste ! sécria le guide local, Théo Morel. Dubois-Lefèvre est une gloire régionale !
Et la seconde nouvelle ? coupa Nadège, faisant taire lassemblée dans lattente.
Laurence marqua une pause théâtrale, laissant lintrigue monter, avant dannoncer :
On nous nomme un nouveau directeur !
Enfin ! sexclama tante Margot, la femme de ménage. Nous lattendions depuis si longtemps !
Léquipe sagita à nouveau, bombardant Laurence de questions :
Qui est-ce ? Doù vient-il ? Est-il jeune ? Marié ?
Les hommes, minorités silencieuses du musée, se raidirent dabord, puis se réjouirent dun renouvellement de leurs rangs.
Je nen sais pas plus ! coupa Laurence, levant un doigt solennel. On ma simplement appelée pour mannoncer son arrivée. Il sappelle Lefranc. Cest tout ce que je sais !
Les employés se dispersèrent, animés par lexcitation du changement. Depuis des années, leur routine insulaire navait pas été troublée.
Laurence, surtout, se réjouissait. Elle était lasse de cumuler les rôles de comptable et de directrice intérimaire. Personne ne voulait sexiler dans ce domaine perdu, malgré le prestige du poste. Les promesses des autorités régionales restaient vaines.
Vous comprenez, Laurence, les conditions sont rudes. Les candidats acceptent, puis se rétractent en apprenant les détails, se justifiait toujours quelque bureaucrate.
Pour éviter que ce Lefranc ne prenne la fuite dès son arrivée Laurence espérait secrètement un homme , on décida dorganiser un grand nettoyage avant son entrée en fonction.
Dès laube, tout le domaine fut astiqué avec ferveur.
Nadège, repassez un coup sur le porte-parapluies dans lentrée ! ordonna Élodie. Vous savez combien Dubois-Lefèvre y tenait !
Lucien, retire donc ta perceuse de la gloriette ! cria tante Élodie par la fenêtre. Les ouvriers la voleraient sans hésiter !
Au jour dit, un bateau apparut à lhorizon, apportant les visiteurs dans ses flancs grinçants, parfumés de vent fluvial.
Laurence, scrutant lembarcation grandissante, donna ses dernières instructions :
Théo, je vous en prie, ne les emmenez pas vers les marais. La dernière fois, quelquun y a perdu ses chaussures. Et vous, Nadège, soyez ferme avec ceux qui veulent sasseoir sur le lit de lécrivain !
Si Élodie ne racontait pas à tout le monde que cest là que Dubois-Lefèvre conçut ses huit enfants, il y aurait moins de volontaires ! plaisa le guide, un peu vexé.
Le bateau accosta enfin. Une foule joyeuse douvriers débarqua, avide de terre ferme.
Lucien, pas de « tournée de bienvenue », compris ? murmura tante Élodie.
Les groupes se séparèrent : certains suivirent Élodie dans la maison, dautres Théo vers la nature.
Voici le cabinet de travail, le sanctuaire où Dubois-Lefèvre créa ses œuvres immortelles, déclama Élodie, perchée sur ses talons.
Ces paysages inspirèrent notre illustre compatriote, dont le nom brille dans les annales littéraires, expliqua Théo en écrasant les herbes jaunies.
Ne vous asseyez pas sur le lit, cest une pièce de musée ! supplia Nadège, rouge de honte.
Attends, je te réglerai ton compte des graines de tournesol ! grondait tante Margot.
Laurence, assise dans le bureau, écoutait avec plaisir ce vacarme vivifiant.
Soudain, un cri fusa : « Au voleur ! ». La voix timide trahissait Nadège.
Laurence bondit, suivie par Élodie et tante Margot.
Dans le cabinet, un jeune homme en jeans et veste légère tenait un carnet. À ses pieds gisait une copie parfaite du journal de Dubois-Lefèvre loriginal était bien protégé.
Remettez ça en place ! On ne touche à rien ! implorait Nadège.
Élodie savança, prête à défendre lhonneur du musée.
Quelle arrogance ! Ce carnet contient lunique brouillon de son roman inachevé, « Les Ancres de lÂme » !
Je voulais juste regarder, balbutia le jeune homme.
Montrez vos papiers ! tonna Élodie, en gendarme improvisée.
Lhomme tendit son passeport.
Élodie lexamina avec solennité, ajustant ses lunettes dorées.
Nous dresserons un procès-verbal, monsieur Lefranc ! Dégradation de bien culturel !
Laurence lui arracha le passeport et y vit le nom.
Bienvenue, monsieur le directeur, murmura-t-elle.
***
Pardonnez-moi, Victor ! bredouillait Élodie en escortant le nouveau venu. Nous ne savions pas que vous arriveriez ainsi.
Tout va bien, chère Élodie, rit-il. Au moins, je sais que lordre règne ici ! Continuez ainsi !







