Sœur

«Maman», sécria Cathy, «on rentre à la maison, on va regarder les achats.»
Cathy serra les dents, ferma les yeux. La porte souvrit sans cérémonie, et, tel un oiseau tropical flamboyant, un tourbillon rosevertviolet sengouffra dans la pièce.

«Maman», lança une voix, «regarde ce que maman Marie ma acheté»
Une jeune fille tourbillonnait devant Cathy, ses yeux semblant pousser hors du front. «Maman Marie?»

Dans lembrasure, Cathy aperçut une mère joviale, le sourire éclatant.

«Cathy, regarde ce quon a trouvé avec Marion, on ta tout mis de côté, viens, regarde.Cest exactement pour toi, cest ce que Marion a choisi.»

Cathy fixa un teeshirt rose orné dun animal bleu, micheval, milicorne, avec une corne dor au centre du front.

«Essaiele, vite.»

«Je le porterai pas, maman.»

«Cathy, questce que tu fais?Ta sœur a vraiment fait le tri.»

«Ce nest pas ma sœur», murmura lentement Cathy avant de se retirer dans sa chambre, claquant la porte.

«Petite ingrate», lança la mère, piétinant de frustration, «Allons, Marion, on y va, ma fille, tu comprends»

«Oui, je comprends, maman Marie»

Cathy se sentit secouée. Cette petite fille, apparue trois mois plus tôt, avait sonné à la porte et demandé à parler à son père en fait, à son beaupère. Le père de Cathy nétait pas son vrai père, elle lavait découvert le même jour où Marion était arrivée.

Le père, Jacques, passa des heures à la convaincre que tout nétait que des broutilles, quil lavait recueillie à la maternité, quil laimait et laimait toujours. Mais Cathy, déjà lourde de caractère, légèrement en surpoids, insatisfaite de son apparence, âme sensible, détestese, poète, peintre, amoureuse déçue, ne pouvait accepter ces nouvelles.

Elle avait toujours été la fille de Jacques, et maintenant elle sentait que cétait un substitut, que Jacques, en manque de sa vraie fille, sétait attaché à cet enfant étrangère, à Cathy. Larrivée de Marion avait fait perdre la raison à la mère, qui rêvait dune fille parfaite : belle, vive, mince, joyeuse, sans souci, tout le contraire de Cathy.

Marion sempara de tous les esprits et de tous les cœurs, sauf évidemment du cœur de Cathy. Jacques, désireux de combler les années perdues, se pâmait devant la nouvelle fille, la mère chantait de joie, et Cathy se sentait inutile.

Un jour, par hasard, ils discutèrent du fait que Jacques nétait pas son vrai père. Cathy lentendit sans le savoir, alors quils étaient tous trois à la cuisine. La mère, enflammée, clamait quelle navait jamais voulu voler le mari de la vraie mère de Cathy, quelle était une fille de dixhuit ans, abandonnée par son fiancé, enceinte, perdue dans la grande ville, quelle navait quune petite pièce à louer. Puis elle raconta comment Cathy, née plus tard, avait rapproché ces deux étrangers.

Jacques vivait un divorce, la mère aussi ; Cathy était le «remplaçant» de la fille perdue, tout était clair, nestce pas?

Le premier réflexe de Cathy fut de fuir la maison pour échapper à ces traîtres. Jacques comprit son intention et déclara quil laimait tant quil ny faisait aucune différence entre les filles.

«Cathy, jai un peu honte, mais je crois que je taime un peu plus que les autres, ma petite fille en or.»

«Oui, un peu plus, on le voit bien quand il tourne autour de cette poupéeMarion, ma fille en or, bien sûr.»

Cathy commença alors à réclamer les coordonnées de son véritable père.

«Pourquoi, ma chérie?Il ta abandonnée, nous Il a filé avant même le registre. Tous pensent que Jacques est ton père réel Pourquoi tout bouleverser?»

«Alors la petite Marion a le droit de voir son père, et pas moi?Elle a besoin damour paternel, et moi je me débrouille.»

«Va donc, réjouistoi, tu as maintenant une fille adorée, embrassela, cest ce dont tu rêvais, nestce pas?»

Après quelques réflexions, Cathy décida dattendre dêtre plus grande, célèbre, pour retrouver son vrai père, comme on saute avant de toucher le sol, comme les parents de Marion.

Les traîtres, tous les traîtres

Cathy sassit à la table, écrivit des poèmes sombres, peignit des silhouettes en capuchon avec une faux, des pendus, des démons, la pluie et le brouillard. Elle les détestait tous.

«Sœur, à lenfer!» criait-elle, «Notre sœur, hâtetoi de partir en vacances, daller au camp toute lété, loin de cette Marion omniprésente.»

Marion, avec ses cheveux noirviolet tombant en mèches épaisses, ses sweats oversize, semblait la parfaite beauté, les garçons la suivaient du regard, contrairement à Cathy, quelle jugeait «grosse et peu jolie».

Cathy observait les trois samuser, même sils linvitaient à les suivre par politesse. Un jour, ils allèrent au cinéma, des larmes roses coulaient, même le père sapprêtait à pleurer pour paraître bon devant sa fille adorée. Cathy resta morose, soupirant tout le long du film, regardant son téléphone, sans se soucier du «mal».

Ignorer son propre enfant, se mêler à une fille étrangère, gazouiller comme un merle, sourire? Se moquer de son propre sang pour plaire à une fille capricieuse, se faire tapis?

Cathy se dit quelle ne se réveillerait jamais, quils ne la remarqueraient même pas, quils seraient heureux avec Marion.

Elle nétait pas rentrée à luniversité, elle aurait pu rester dans sa ville natale, mais elle était partie. Elle écoutait une musique mélancolique, fixait le plafond, personne ne la comprenait, Dimka ne la remarquerait jamais, où estil? Où est Cathy

Peutêtre fuir? Partir à la mer, embarquer sur un bateau et voguer vers lAustralie?

«Cathy, toctoc, papa a dit quil faut renforcer ton anglais?Tu es douée, à ton âge je ratais tout, et regarde: en anglais tu as déjà un quatre.»

Elle se rappelait avoir vécu six ans à Brighton, en Angleterre, puis la mère avait quitté John, ils étaient partis en Espagne, où elle parlait aussi espagnol.

«Merci, pas besoin,» marmonna Cathy, se tournant vers le mur, montrant quelle nétait pas intéressée par cette conversation futile.

Marion essayait de créer un lien, mais Cathy se fermait davantage, devint même plus rude, goûta aux cigarettes réelles, comme pour montrer à sa mère que son vrai enfant glissait dans le précipice.

Lété passa, rien ne changea, au camp, tout le monde la harcelait, la «Rouge» collait à Dimka avec des propositions absurdes. Tous étaient contre elle.

La mère et le père, toujours obnubilés par Marion, avaient dédié à celleci leur chambre, sétaient retirés dans le salon, transformant la maison en un camp de gitans, quel désastre.

«Cathy, tu as tellement maigri!Regarde, papa, maman Marie, quelle beauté!Il faut te faire une nouvelle coupe, te débarrasser du noir.»

Cathy se détourna, marmonna, et regagna sa chambre, ne sortit même pas pour le dîner, détestant tout le monde.

Marion entra à luniversité, Cathy restait à lécole, où tout le monde la rejetait, la «Rouge» sasseyait à côté de Dimka.

«Des salauds, tous des traîtres» pensatelle, la haine bouillonnant.

Un soir dautomne, le temps était épouvantable. Cathy, insomniaque, sassit dans la cuisine sombre, buvant du thé dans sa grande tasse favorite que son père lui avait offerte. Elle nalluma pas la lumière, regardait la fenêtre, soupirait tristement.

Des pas se firent entendre, Cathy se tapit, la porte de la salle de bain grince, un mur unique, et elle entendit la voix étouffée de Marion au téléphone.

«Tu as perdu la raison?Cest la nuit, tout le monde dort, maman», disait Marion. Cathy se tendit.

«Non, maman, je ne vais pas à A je suis bien ici, jai enfin trouvé une famille.Maman, jai ma propre chambre, je peux dormir nue, même nue, personne ne viendra me déranger avec une bouteille de gin.Ils maiment, papa maime, pas comme tu disais, il nest plus un lâche, Tante Marie, la femme de papa, est devenue ma vraie mère.Elle prend soin de moi, me soigne quand je suis malade, elle me croit, mamanOui, je lui ai tout raconté, elle a pleuré, maman, avec papa et Cathy on a décidé de ne rien dire. Pour eux, je suis une fille joyeuse, pas une folle aux nerfs détraqués.Jai une petite sœur, une ado normale, Dieu, comme je lenvie, ma vraie maman.Elle est aimée, personne ne lenvoie en psychiatrie, aucun des maris de maman, les John, Thomas, Charlie, ne simmiscent dans son lit.Quand elle grandira, on sera encore plus proches, deux sœurs qui domineront le monde.Je suis heureuse davoir désobéi et dêtre rentrée chez nous, auprès de ceux qui maiment.Tu inventais tout sur ma patrie, sur mon pèreJe suis à lécole, jai une vraie famille, un vrai papa, une vraie maman et une sœur, je suis heureuse, maman Je veux que tu sois heureuse aussi, ne tinquiète pas, tout va bien pour moi.»

Cathy, les yeux fermés, se glissa sous son oreiller, murmurant que la femme était une véritable «garce», qui se fait passer pour une victime, mais que la vie était dure et inconfortable pour elle.

Quelques jours plus tard, gênée, les yeux rivés au sol, Cathy demanda à Marion de laider en anglais.

Un matin, elle essaya le teeshirt ridicule avec une licorne cornue, accompagné de short courts.

«Cest un pyjama,?»

«Sœur, tu crois vraiment que ta grande sœur a perdu la raison en te proposant de porter ça dans la rue?Oui, cest un pyjama, jen rêvais enfant, mais ma mère disait que cétait trop puéril, elle macheta des ensembles en soie, et je voulais celui avec une licorne»

Un jour, leurs parents les surprirent assises au sol, enlacées, pleurant amèrement.

«De quoi?Qui pourra comprendre ces filles?Quinze minutes plus tard, elles riaient comme le cheval à cornes de la pyjama de Cathy, quelle ne cessait de porter.»

Pour le Nouvel An, Cathy offrit à sa sœur un unicorn arcenciel et un kimono licorne rose. Marion sexclama être la plus heureuse, sassit et hurla.

Au printemps, la version allégée de Cathy, coiffée à la mode, cheveux naturellement teints, brillante élève, se vit approcher par Dimka, le même Dimka, qui, balbutiant, lui demanda si elle irait au camp cette année. Un sourire éclata sur le visage de Cathy, elle accepta, mais précisa que la seconde moitié de lété elle partirait en vacances en famille. Dimka promit dattendre son retour au camp.

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