**LA VIE EN ORDRE**
Adèle, je te défends de parler à ta sœur et à sa famille ! Ils ont leur vie, nous avons la nôtre. Tu as encore appelé Élodie ? Pour te plaindre de moi ? Je tavais prévenue. Ne men veux pas si Bogdan me saisit lépaule avec une brutalité qui me fit grimacer.
Comme à chaque fois, je me réfugiais dans la cuisine, les larmes aux yeux. Non, je ne me plaignais jamais à ma sœur de ma vie misérable. Nous parlions simplement. Nos parents âgés nous donnaient assez de sujets à partager. Mais Bogdan détestait Élodie. Chez elle, régnaient paix et prospérité, ce qui nétait guère notre cas.
Quand javais épousé Bogdan, je me croyais la plus heureuse des femmes. Il mavait envoûtée, malgré sa petite tailleil me dépassait à peineet malgré sa mère, une alcoolique invétérée qui avait titubé jusquà notre mariage. Aveuglée par lamour, je navais rien vu.
Un an plus tard, le bonheur sétait évanoui. Bogdan rentrait ivre, fréquentait dautres femmes. Infirmière à lhôpital, je gagnais à peine de quoi vivre. Lui préférait ses compagnons de verre. Les enfants ? Jy avais renoncé. Je me contentais de mon chat de race, refusant de mettre au monde lenfant dun ivrogne. Pourtant, je laimais encore.
Idiote ! Des hommes te courent après, et toi, tu tentêtes avec ce nabot ! Crois-tu quon ne voit pas tes bleus sous ton fond de teint ? Quitte-le avant quil ne te tue ! me sermonnait Claire, ma collègue.
Bogdan battait souvent. Un jour, il me frappa si fort que je ne pus travailler. Il menferma, emportant la clé. Dès lors, la peur mhabita. Mon cœur vacillait au bruit de la clé dans la serrure. Je croyais quil me punissait de ne pas lui donner denfant, dêtre une mauvaise épouse. Alors je subissais sans broncher.
Sa mère, une harpie, me soufflait :
Adèle, obéis, aime-le de tout ton être, oublie ta famille et tes amies.
Et jobéissais.
Jaimais quand Bogdan, repentant, sagenouillait, embrassait mes pieds. La réconciliation était douce, enivrante. Il jonchait notre lit de pétales de rosesvolées, je le savais, au jardin dun ivrogne du quartier. Dans ces moments, je menvolais, croyant toucher le paradis.
Jaurais peut-être traîné cette existence misérable si une inconnue nétait venue me trouver :
Laisse Bogdan, il a un fils avec moi. Toi, tu es stérile.
Mensonge ! Partez ! criai-je.
Bogdan nia, jusquà ce que je lui demande de jurer. Son silence parla pour lui.
Adèle, je ne vous ai jamais vue joyeuse. Des soucis ? senquit soudain le Dr Laurent, le directeur de lhôpital, un homme discret, aux lunettes et à la calvitie naissante.
Tout va bien, balbutiai-je.
Tant mieux. Quand tout est en ordre, la vie est belle.
Ces mots me hantèrent. Était-ce mon cas ?
Je quittai Bogdan pour mes parents.
Quest-il arrivé ? Ton mari ta chassée ? sinquiéta ma mère.
Non. Je vous expliquerai.
Sa mère minjuria au téléphone, mais je respirais déjà mieux.
Bogdan me poursuivit, menaçant. Je lui dis :
Occupe-toi de ton fils. Notre histoire est finie.
Je retrouvai Élodie, mes parents. Je redevenais moi-même.
Adèle, tu rayonnes ! On dirait une mariée ! sexclama Claire.
Puis vint la demande du Dr Laurent :
Épousons-nous. Appelle-moi Olivier.
Maimez-vous ?
Pardon, joubliais les mots. Oui, je taime. Mais jai foi aux actes.
Jaccepte, Olivier.
Dix ans ont passé. Olivier ma prouvé son amour chaque jour, sans fioritures. Aucun enfant, mais sa fille nous a donné une petite-fille, notre bonheur.
Bogdan, lui, sest éteint avant la cinquantaine, rongé par lalcool. Sa mère me lance encore des regards haineux au marché, mais ses traits ne matteignent plus.
Avec Olivier, tout est en ordre. La vie est belle.







