Un dimanche, on peut se permettre de traîner au lit. Personne pour préparer le petit-déjeuner, aucun plan pour la journée. Après quelques minutes supplémentaires sous la couette, Élodie finit par se lever, prend une douche et boit son café. Et maintenant ? Comment occuper cette journée interminable ? Elle a des amies, mais elles sont prises par leurs maris et enfants. Aller voir ses parents ? Sa mère recommencerait à lui seriner qu’elle a commis une grande erreur.
Une mélancolie sourde s’installe. Élodie sait déjà qu’elle a eu tort de divorcer, mais il est trop tard pour éteindre l’incendie quand la maison est en cendres. Au fond, Vincent n’était pas un si mauvais mari. Il ne buvait pas, ne la trompait pas, se contentait de n’importe quel plat. Elle aurait pu lui servir n’importe quoi, il l’aurait avalé sans remarquer, trop absorbé par son ordinateur.
Il travaillait même la nuit, dormait jusqu’à midi. Le faire sortir était mission impossible : il s’ennuyait en société, s’endormait au cinéma, et rêvait de rentrer devant son écran. Quand il allait se coucher, Élodie partait au travail. Et quand ils partageaient le lit, c’était rapide, comme une course de cent mètres. En trois ans de mariage, Élodie n’était jamais tombée enceinte, bien qu’ils fussent tous deux en bonne santé.
L’absence d’enfant n’était pas la seule raison de leur divorce. Elle en avait marre de parler à son dos voûté. Elle voyait plus souvent son dos que son visage. Comment vivre avec le dos d’un homme ? Autant adopter un chat : au moins, il ronronnerait au lieu de répondre «ouais» distraitement. La différence était mince, mais le chat aurait été plus affectueux.
Pourtant, selon sa mère, être mariée donnait un statut. Célibataire, on suscite des questions.
«Un million de femmes t’envieraient. Et toi, tu n’es pas contente. Qu’est-ce qu’il te faut ?» demandait sa grand-mère.
Personne ne comprenait son choix, pas même ses amies, qui avaient des maris normaux. Ils travaillaient aux heures normales, dormaient avec leurs femmes la nuit, alors les enfants arrivaient sans problème. Ils se disputaient, se réconciliaient, s’inquiétaient quand leur mari buvait un verre de trop, puis le soignaient le lendemain avec un remède de grand-mère.
Elle et Vincent s’étaient connus au lycée. Il était un vrai intello, toujours plongé dans ses livres. Plus tard, il s’était passionné pour l’informatique. Élodie et ses amies se moquaient de ce garçon maladroit avec ses lunettes. Quand il parlait ordinateurs avec les autres, c’était comme une langue étrangère.
Ils s’étaient retrouvés par hasard des années plus tard. Vincent était devenu un homme plutôt séduisant, remplaçant ses lunettes par des lentilles. Il était cultivé, intéressant à écouter. Et Élodie savait écouter. Ils commencèrent à sortir ensemble. Trois semaines plus tard, il lui fit une proposition maladroite.
«Écoute, on traîne comme des ados. On se marie ?»
«Pourquoi pas», répondit-elle en riant.
«Maman, il est intelligent, c’est passionnant», expliqua-t-elle à sa mère en lui annonçant ses fiançailles.
«Et tu l’aimes ?» demanda sa mère.
Élodie fut surprise. Ils se connaissaient depuis longtemps, il était intéressant, mais l’amour… Ils n’en parlaient pas. Elle pensait que faire une demande, c’était une preuve d’amour. Sinon, pourquoi ? Leur mariage ressemblait à une amitié, à ceci près que les amis ne partagent pas le même lit.
Sa mère n’aimait pas Vincent. Le divorce la scandalisa.
«Tu es folle ? Il ne boit pas, reste à la maison, gagne de l’argent, et toi tu veux le quitter ? Où trouveras-tu un autre mari comme lui ? Ce n’était pas le pire choix. Si tu n’en voulais pas, il ne fallait pas te marier. Tu t’ennuies parce que tu n’as pas d’enfant. Avec un bébé, tu n’aurais pas le temps de t’énerver. On ne verra jamais de petits-enfants…»
Élodie se tut. Elle aurait eu un enfant maintenant, si seulement… Toujours ces «si seulement».
Vincent fut sincèrement surpris quand elle lui annonça le divorce. Il ne discuta pas, fit ses valises et partit chez sa mère. Celle-ci appela aussitôt pour cracher son venin sur cette «incapable impulsive». Élodie raccrocha au milieu de la conversation. Le divorce fut rapide : pas d’enfants, et l’ordinateur, elle s’en débarrassa sans regret.
D’abord soulagée, elle sombra dans la tristesse. L’automne arriva, elle n’avait plus envie de sortir, et ces quatre murs lui pesaient. Un long hiver solitaire l’attendait. Vincent lui manquait. Au moins, c’était un être humain, quelqu’un à qui penser. Mais à quoi bon se ronger le cœur ?
Sa mère l’appelait pour lui présenter des hommes, mais Élodie refusait.
Elle n’était pas la seule dans cette situation. Beaucoup divorcent, puis finissent par rencontrer quelqu’un, et la vie reprend, meilleure qu’avant. Mais où trouver cet homme quand on reste cloîtrée chez soi ?
Une amie l’inscrivit sur un site de rencontres. Elle força Élodie à poser devant l’objectif, à sourire de manière sensuelle. Comme si Élodie savait ce qu’était un sourire sensuel. Elle n’avait personne pour le pratiquer. À l’époque, elle y voyait une blague, une façon de rendre Vincent jaloux.
Élodie s’installa sur le canapé, ordinateur sur les genoux, et visita le site par curiosité. Tant d’hommes cherchant l’âme sœur. Beaux, moins beaux, jeunes ou mûrs, il y en avait pour tous les goûts.
Elle lut les profils des femmes. Toutes se décrivaient comme des fées du logis, cuisinières hors pair, avec un travail prestigieux, une vie stable… mais l’amour manquait.
Élodie n’avait aucun talent particulier. Pas de passion pour le sport ou le tricot. Elle se creusa la tête avant d’écrire : «Je sais écouter.»
Les demandes affluèrent. Des beaux gosses. Pourquoi étaient-ils sur ce site ? Ils ne devaient pas manquer de conquêtes. Un certain Théo, avec une barbe de trois jours et un regard perçant, la captiva.
Après une heure de discussion animée, il proposa une rencontre.
«Ne précipitons rien», répondit-elle prudemment.
«À quoi bon attendre ? Autant voir tout de suite», répliqua-t-il.
Évidemment, ce n’était pas son vrai nom, ni peut-être sa photo. Mais l’idée lui parut logique. Pas besoin d’aller loin.
«On se voit aujourd’hui ? Tu es libre ?» écrivit-il. Elle n’avait rien de prévu. «Alors dans une heure, au café La Bohème.»
Elle se précipita vers son placard, puis changea d’avis. Qu’il la voie comme elle est. Elle enfila un jean et un pull moulant qui soulignait ses formes. Elle pouvait se le permettre : son corps était intact, pas de grossesse pour l’altérer. Un peu de maquillage, les cheveux détachés, et elle s’admira dans le miroir.
Il l’attendait devant le café. Elle le reconnut aussitôt. Il n’avait pas menti sur sa photo. Peu de clients à cette heure. Ils prirent une table près de la fenêtre. Théo commanda un café, elle refusa une pâtisserie.
Il l’observait sans gêne. Son regard la fit frissonner.
«Tu es déçu ?» demanda-t-elle.
«Non. Mais je te croyais plus âgée.»
«Tu préfères les retraitées, comme Depardieu ?» plaisanta-t







