Je suis arrivé à l’hôpital pour rendre visite à mon amie et j’ai eu un choc en découvrant qui partageait sa chambre.
Chère Valérie, comme tu m’as fait peur ! Sylvie est entrée précipitamment dans la chambre d’hôpital, un sac de fruits à la main. Quand ta fille m’a appelée pour me dire que tu avais des problèmes cardiaques, j’ai failli m’évanouir !
Valérie était allongée près de la fenêtre, pâle mais déjà souriante.
Sylvie, ma chérie, merci d’être venue ! Elle tendit la main à son amie. Je commençais à m’ennuyer à mourir ici.
Sylvie posa son sac sur la table de nuit et jeta un regard autour d’elle. La chambre comptait quatre lits, mais seulement deux étaient occupés. Sur celui voisin, une femme aux longs cheveux gris, soigneusement tressés, était tournée vers le mur.
Et ta voisine, qui est-ce ? murmura Sylvie en s’asseyant près du lit de son amie.
On l’a amenée hier. Elle s’appelle Marine. Très discrète, elle parle peu. Elle lit ou regarde son téléphone, répondit Valérie à voix basse. Apparemment, elle a des problèmes de tension, comme moi avec mon cœur.
À ce moment, la voisine se retourna, et Sylvie sentit le sang quitter son visage. Ces yeux marron si familiers, ces traits fins que les années n’avaient pas altérés, ce grain de beauté sur la joue gauche…
Marine ? souffla Sylvie, incrédule. Marine Lefèvre ?
La femme sur le lit voisin se figea, puis se redressa lentement et fixa Sylvie.
Sylvie Dubois ? Sa voix portait les mêmes intonations que trente ans plus tard. Mon Dieu, cest impossible…
Valérie regardait tour à tour ses deux amies, perplexe.
Vous vous connaissez ? demanda-t-elle.
Oui, répondit sèchement Sylvie, sans quitter Marine des yeux. Très bien, même.
Un silence gênant s’installa. Marine baissa les yeux, tandis que Sylvie la dévisageait, comme si elle doutait encore de ce qu’elle voyait.
Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ? s’impatienta Valérie. On dirait que tu as vu un fantôme !
Presque, murmura Sylvie. Marine et moi… ça fait très longtemps quon ne sest pas vues.
Trente-deux ans, ajouta Marine, toujours sans lever les yeux.
Oh là là ! Valérie se redressa avec difficulté. Vous étiez amies à l’école ?
Pas vraiment amies, Sylvie sassit enfin, mais demeura tendue, prête à partir. Nous avions… des centres dintérêt communs.
Marine releva la tête et croisa enfin le regard de Sylvie.
Comment va Antoine ? demanda-t-elle doucement.
Sylvie serra les mains jusquà en blanchir les jointures.
Mon mari est mort il y a huit ans. Crise cardiaque.
Je suis désolée, je ne savais pas, Marine baissa de nouveau les yeux. Vraiment.
Ce nest rien, Sylvie fit un geste évasif. Cest la vie.
Valérie les observait avec une curiosité grandissante.
Allez, expliquez-moi ! Je ne comprends rien !
Sylvie et Marine échangèrent un regard. Aucune des deux ne semblait vouloir entrer dans les détails.
Nous travaillions ensemble, finit par dire Sylvie. Dans un collège. Jenseignais le français, et Marine… quelle matière enseignais-tu ?
Lhistoire et léducation civique, répondit Marine.
Tu vois, Valérie, Sylvie se tourna vers son amie. Nous étions collègues. Mais pas longtemps.
Non, approuva Marine. Deux ans seulement.
Et vous vous êtes disputées à cause du travail ? insista Valérie.
À cause dun homme, répondit Sylvie avec une franchise inattendue. Une histoire de femmes, classique.
Marine tressaillit comme si on lavait frappée.
Sylvie, pas maintenant…
Pourquoi pas ? rétorqua Sylvie. Valérie finira par tout savoir, elle est comme ça. Autant tout dire. De toute façon, cest du passé, non ?
Sans doute, murmura Marine.
Alors racontez ! sexclama Valérie. Je meurs de curiosité !
Sylvie sadossa à sa chaise et regarda par la fenêtre.
Javais vingt-quatre ans. Je sortais tout juste de luniversité, jenseignais au collège Pasteur. Jeune, naïve, romantique. Et là, il y avait le directeur adjoint, Antoine Morel. Beau, intelligent, dix ans de plus que moi. Marié, bien sûr.
Oh là là, souffla Valérie.
Exactement, gloussa Sylvie. Une histoire a commencé entre nous. En cachette, bien sûr. Il me disait que sa femme ne le comprenait pas, que leur mariage nétait quune formalité… Les mêmes mensonges que tous les hommes mariés racontent.
Marine écoutait en silence.
Un an plus tard, une nouvelle enseignante est arrivée, continua Sylvie. Marine. Belle, intelligente, drôle. Et Antoine a décidé quune maîtresse ne suffisait plus.
Ce nétait pas comme ça…
Non ? Sylvie se tourna vers Marine. Alors comment ? Tu savais quil y avait quelque chose entre nous ! Je te lavais dit ! Nous étions amies !
Nous létions, reconnut Marine. Et je ne voulais pas… Mais cest arrivé.
Cest arrivé, répéta Sylvie, amère. Tu as réussi à me le prendre.
Valérie les regardait comme si elle assistait à un match de tennis.
Je ne lai pas pris, dit Marine dune voix plus forte. Cest lui… Il ma dit que ce nétait pas sérieux avec toi, que cétait juste…
Juste quoi ? coupa Sylvie.
Quil sennuyait, que vous saviez tous les deux que ça ne durerait pas.
Sylvie éclata dun rire dur.
Le salaud ! À toi, il disait que cétait sans importance avec moi, et à moi, il racontait que tu étais une jeune fille frivole qui courait après les hommes mariés !
Marine devint encore plus pâle.
Il a dit ça ?
Exactement ça ! Sylvie se leva et marcha dans la pièce. Et nous, les idiotes, nous lavons cru ! Nous nous sommes disputées à cause de lui ! Pendant quil se frottait les mains !
Les filles, intervint prudemment Valérie, ne vous énervez pas, vous avez des problèmes de santé…
Ça va, Valérie, Sylvie agita la main. Au contraire, cest bien quon se parle enfin. Les cartes sont sur la table.
Elle se rassit et regarda Marine.
Et après ? Quand jai quitté le collège ?
Il est resté avec moi trois mois, murmura Marine. Puis il a dit que sa femme se doutait de quelque chose. On sest moins vus, puis plus du tout. À la fin de lannée, jai appris quil divorçait.
Il a divorcé ? Sylvie parut surprise. Je ne savais pas.
Oui, et un mois plus tard, il a épousé la prof de sport du collège voisin. Apparemment, ils sortaient ensemble depuis six mois.
Incroyable… Sylvie secoua la tête. Donc nous étions trois. Et peut-être plus.
Peut-être plus, acquiesça Marine. Jai réalisé à quel point javais été stupide. Et jai eu honte de ce qui sétait passé entre nous…







