Quand le destin se trompe
Après avoir obtenu son diplôme de lécole normale, Marianne revint dans son village natal pour enseigner dans lécole où elle avait étudié. Elle aimait ses collègues, elle aimait ce petit coin de campagne, et surtout, elle avait toujours eu le mal du pays, de sa maison et de ses parents.
Depuis lenfance, elle était amie avec sa voisine Juliette, bien quelles fussent deux opposées. Marianne, calme et réfléchie, contrastait avec Juliette, insouciante et effrontée, qui navait jamais respecté ses aînés et disait tout ce qui lui passait par la tête. Elles étaient dans la même classe, et Juliette se voyait sans cesse comparée à son amie.
Et alors, Marianne ? Moi, jai ma propre tête sur les épaules, rétorquait toujours Juliette.
Une tête, oui, mais encore faudrait-il quelle contienne un cerveau, lui lança un jour le directeur de lécole, Monsieur Henri, alors que la professeure principale lavait une fois de plus traînée dans son bureau.
Alors, quest-ce que cest cette fois-ci ? demanda le directeur.
Madame Claudine, la professeure principale, une femme âgée et respectée, répondit presque en larmes :
Marianne ma dit que je sentais la tombe et que je devrais rester chez moi, au lieu de prétendre éduquer qui que ce soit
Monsieur Henri en perdit presque la parole. Il tenta de faire honte à Juliette, mais celle-ci fit des yeux innocents et déclara :
Je nai jamais dit ça, cest elle qui invente tout.
Le directeur la laissa partir, ne sachant quoi faire delle.
Marianne entra à lécole normale, tandis que Juliette, faute de meilleures options, intégra une école dinfirmières. Elle y étudiait médiocrement, ayant toujours copié sur son amie au lycée.
Juliette était une belle jeune femme, aux cheveux noirs de jais et à la silhouette parfaite. Après lobtention de son diplôme, elle travailla dans un hôpital, au service de médecine générale. Elle se montrait brutale avec les patients, surtout les personnes âgées, quelle ne supportait pas.
Ces vieux devraient déjà être au cimetière au lieu de se soigner pour rien, disait-elle à ses collègues, qui en restaient souvent interloqués.
Juliette, pourquoi as-tu fait des études dinfirmière si tu détestes ce métier ? lui demandaient-ils.
Ça ne vous regarde pas. Jai pris ce qui se présentait.
Les patients se plaignaient delle, mais un jour, le chef de service lentendit parler si durement à une vieille dame que celle-ci fondit en larmes. Il la convoqua aussitôt :
Juliette, vous êtes renvoyée. Je nai pas besoin dinfirmières qui font pleurer les malades au lieu de les soigner. Je vous déconseille de poursuivre dans ce domaine, et je ferai en sorte que mes collègues le sachent.
En ville, Juliette chercha un mari riche, mais sans succès. Parfois, elle trouvait un prétendant, mais cela ne durait jamais. Dès que lhomme la connaissait mieux, son intérêt sévanouissait.
Juliette ne se sentait jamais coupable. Elle avait été élevée ainsi. Après trois ans dans la ville voisine, elle décida de rentrer au village. Elle avait travaillé comme vendeuse dans un supermarché, mais cela ne lui plaisait pas.
Salut Marianne, comment ça va ? appela-t-elle un jour son amie denfance. Je rentre au bercail. Ta mère travaille à la clinique, non ? Elle pourrait me trouver un poste ? Bon, on en parlera quand je serai là
De retour, Juliette se précipita chez Marianne.
Allez, raconte-moi tout ! Comment tu vis, comment tu supportes ces élèves fous et ces profs ridicules dans notre ancienne école ?
Marianne ne voulait pas parler de lécole, pas tout de suite. Elle versa calmement le thé, disposa des gâteaux, des biscuits et de la confiture sur la table.
Parlons de lécole plus tard. Dis-moi plutôt pourquoi tu es revenue. Je croyais que tu voulais vivre en ville.
Jai changé davis. Le pays natal ma manqué. Et toi, tu ne penses pas à te marier ?
Si, répondit Marianne avec tranquillité. Antoine ma demandée en mariage. Nous avons déposé notre demande, le mariage est dans deux mois.
Et cest qui, ce fiancé ? Un prof de géographie ? Ou un paysan du coin ? ricana Juliette. Il ny a pas dhommes bien ici.
Comment ça ? Antoine est agriculteur. Il a une grande ferme, du bétail, des machines. Il emploie des gens et les paie bien.
Ah bon ? éclata de rire Juliette. Le seul du coin, et cest le tien ! Il doit bien y avoir un problème avec lui.
Juliette avait toujours jugé son amie trop grosse, surtout comparée à elle, bien que Marianne fût simplement rondelette, ce qui lui donnait un air doux et féminin.
À ce moment, elles entendirent une voix :
Bonsoir, Marianne. Tu as de la visite ?
Les deux jeunes femmes se retournèrent. Juliette resta bouche bée. Dans lencadrement de la porte se tenait un bel homme grand et élégant, vêtu dun costume de sport chic et de baskets. Juliette étouffa presque de jalousie. Une pensée lui traversa lesprit :
Ce magnifique homme serait le fiancé de ma grosse voisine ?
Elle se reprit aussitôt et sourit.
Je mappelle Juliette. Et vous devez être Antoine. Marianne ma beaucoup parlé de vous.
Marianne, ne me flatte pas trop, répondit-il en souriant tendrement à sa fiancée.
Ils passèrent la soirée à discuter, mais Juliette ne pensait quà une chose : cet homme devait être son mari, à elle seule. Elle le méritait bien plus que cette souris grise. Elle avait cherché un tel homme pendant des années, et le voilà, sous son nez. Maintenant, elle ferait tout pour rétablir la justice.
Maman, tu as vu le fiancé de Marianne ? demanda Juliette en rentrant chez elle. Pourquoi tu ne mas jamais parlé de cet agriculteur ? Il devrait être mon mari, pas celui de cette petite chose. Je suis belle, je lui conviens bien mieux.
Ma chérie, répondit sa mère en lembrassant, bien sûr que tu lui conviens mieux. Tu es magnifique, intelligente. Il faut juste trouver le bon moment.
La mère de Juliette était sûre quelles lauraient vite. Loccasion ne tarda pas. Juliette se rendit à la clinique pour chercher du travail et croisa une ancienne camarade, Sophie, qui sexclama :
Juliette, tu es revenue ! Cest super. Jorganise une fête pour mon anniversaire samedi, au café. Viens ! Jai déjà invité Marianne et Antoine.
Bien sûr, je viendrai, répondit Juliette, regardant avec envie Sophie monter dans sa voiture neuve. Même cette timorée vit bien, mariée et conduisant sa propre voiture.
Ce jour-là, Marianne se sentit mal dès le matin, mais elle devait aller à lanniversaire. Quand Antoine vint la chercher avec un cadeau, elle était prête, mais très pâle.
Quest-ce quil y a ? demanda-t-il, inquiet. On ne va pas au café ?
Non, ça va aller, dit-elle avant de sentir un vertige. Il la rattrapa de justesse.
Ma tête tourne Je crois que je ne peux pas y aller. Va sans moi, donne le cadeau à Sophie.
Je ne veux pas te laisser seule
Ça va aller, je vais me reposer.
Quand Antoine entra seul dans le café, Juliette en resta bouche bée.
Quelle chance, sans Marianne !
Elle se précipita vers lui, le prit par la







