Lise, tes encore là ? demanda Ludivine en passant la tête dans la salle de bains, où sa sœur aînée se préparaît pour le boulot.
Bien sûr que je suis là ! Chez vous, les télécoms, cest nimporte quoi avec vos shifts à sept heures du mat ! Nous, les employés de bureau, on travaille comme des gens civilisés, de huit heures à cinq.
Ah ouais, les « employés de bureau », ricana Ludivine. Vous êtes aussi « les usines » que nous ! Sauf que vous, vous planquez dans vos bureaux en blouse blanche en vous croyant plus malins.
Qui ta empêchée de faire des études dingénieure, hein ? rétorqua Lise, agacée. Mais non, il fallait que tu ailles en école de télécoms parce que ton chéri Yannick y était !
Oh, la ferme ! coupa Ludivine en haussant les épaules. Yannick, cest de lhistoire ancienne ! Dégage de la salle de bains, jai besoin de me doucher et de dormir ! Cette nuit, cétait lenfer !
Ludivine détestait quon lui rappelle cette histoire. Yannick, son camarade de classe, était un vrai canon à ses yeux. Elle en était tombée folle amoureuse dès le collège. Lui, il aurait dû faire du cinéma, mais non, il avait choisi les télécoms. Alors, elle lavait suivi, soupirant dexaspération. Sauf quil navait jamais compris le sacrifice. Après le diplôme, il avait épousé une fille de sa promo.
Ludivine se rinça rapidement sous la douche, enfilait son pyjama douillet et traîna jusquà la cuisine en bâillant :
Il me faut un truc à grignoter pour pas me réveiller avant lheure.
Tas la moitié dune omelette sous le couvercle, jen avais fait pour deux, proposa Lise.
Encore des œufs ? Tarrives vraiment à en manger tous les jours ? Moi, jaurais besoin de plus léger.
Ludivine attrapa des flocons davoine instantanés, les recouvrit deau bouillante et remuait lentement.
Tu vas tendormir là-dessus ! gloussa sa sœur.
Après deux bouchées sans saveur, Ludivine repoussa son bol.
Non, je vais me coucher.
Elle disparut dans sa chambre, et bientôt, des ronflements réguliers séchappèrent. Lise regarda lheure. « Pourquoi je me suis levée si tôt ? Encore une demi-heure à scroller. » Elle sinstalla dans le fauteuil qui trônait dans un coin de leur spacieuse cuisine et plongea dans son téléphone.
Soudain, quelquun sonna à la porte. Lise ouvrit et reçut un télégramme de parents éloignés qui refusaient dadopter les moyens modernes : « Bonne année, santé, bonheur » Elle signa le reçu et retourna se blottir près de son radiateur.
Puis elle entendit Ludivine aller aux toilettes, sarrêter dans lentrée et sexclamer : « Mais quelle gourde ! » Un froissement de vêtements, une fermeture éclair, et la porte claqua.
Ludivine, tes partie où ? sexclama Lise en bondissant, mais sa sœur avait déjà disparu, laissant son téléphone sur la commode.
Mais quest-ce quelle fabrique ? Elle a oublié un truc au boulot ?
Elle retourna dans la chaleur de la cuisine.
***
Ludivine courait sur le trottoir verglé, scrutant les silhouettes devant elle. Il faisait encore nuit, mais elle espérait apercevoir le manteau de sa sœur. Quand le télégramme était arrivé, elle dormait encore, mais le claquement de porte lavait réveillée. Le silence lui fit croire que Lise était déjà partie.
Elle se tourna dans le lit, finit par se lever pour aller aux toilettes, et sur le chemin, vit le badge dusine de Lise sur la commode. « Mais quelle gourde ! » pensa-t-elle, croyant que sa sœur lavait oublié. Elle enfila sa doudou, ses bottes en vitesse, attrapa le badge et partit en courant.
Mais Lise nétait nulle part parmi les ouvriers. Lusine nétait quà dix minutes, alors Ludivine arriva vite à lentrée. Aucune trace de Lise. Elle demanda au gardien sil lavait vue. Il secoua la tête, perplexe.
Elle est pas là. Il est à peine sept heures et demie, elle arrive toujours à sept heures cinquante-cinq pile.
Sept heures et demie ? répéta Ludivine, abasourdie. Mais, quelle idiote !
Le gardien ajusta ses lunettes et la regarda comme si elle voulait faire entrer un missile dans lusine.
Je pars ! cria-t-elle avant de détaler.
Lise devait être en train de chercher partout son badge ! À bout de souffle, elle approchait de chez elle quand elle glissa sur une flaque glacée et sétala de tout son long.
Maman ! gémit-elle, tandis quun passant laidait à se relever.
Vous arrivez à tenir debout ? demanda linconnu avec sollicitude.
Je Je ne sais pas, je crois que non.
Cétait un homme jeune, dans un manteau chaud, sous lequel dépassait une blouse blanche. Ses yeux fatigués la dévisageaient avec curiosité et compassion.
Quest-ce qui vous a pris de courir comme ça sur le verglas ? demanda-t-il doucement.
Cest compliqué. Oh, faut que je rentre, ma sœur va me tuer !
Elle tenta de se lever et hurla de douleur.
Lhomme soupira.
Accrochez-vous à moi. Voilà, bien serré.
Il la souleva dans ses bras et la porta jusquà limmeuble.
Quel étage ? demanda-t-il dans lascenseur.
Troisième, murmura-t-elle, rougissante.
Jamais elle navait été aussi proche dun homme, encore moins dun aussi beau. Il sentait légèrement le parfum masculin et quelque chose dautre, médicamenté.
Ils sonnèrent enfin.
Ludivine ? Mais quest-ce qui se passe ? sexclama Lise, stupéfaite, en voyant linconnu porter sa sœur.
Bonjour. Votre sœur a une entorse ou une fracture, expliqua-t-il en se dirigeant vers le salon.
Lise, je texpliquerai plus tard ! fit Ludivine en lui tendant le badge.
Ah, le voilà ! Je le cherchais partout !
Lise le fourra dans son sac et fila vers la porte, avant de revenir.
Ludivine, cest un ami à toi ? Je peux te laisser avec lui ?
Bien sûr, rassura lhomme. Je suis médecin. Attention au verglas.
Lise hocha la tête et dévala lescalier.
Alors, Ludivine, reprit-il, examinons cette cheville.
Il retira délicatement ses bottes et siffla en voyant larticulation gonflée.
Cest grave ? gémit-elle.
Entorse. Il faut aller à lhôpital.
Oh non, pas lhôpital ! Après cette nuit, je suis crevé, et ils vont me balader partout pour des radios !
Vous avez aussi fait une nuit ? On est collègues ?
Oh non, rougit-elle. Je travaille au standard téléphonique de lusine. Cest ouvert 24/7, alors on assure la permanence.
Je vois. Mais il faudra quand même les urgences. Il faut remettre larticulation, et pour ça, une anesthésie.
Il sortit son téléphone.







